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Dissertation de philosophie : "la pudeur"

Publié le 09/01/2011

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Phénomène à plusieurs formes, la pudeur est liée à la condition d’homme en société. On pourrait tenter de la definir comme une impossibilité, ponctuelle ou permanente, d’énoncer ou de laisser voir certaines manifestations psychiques, ou attributs corporels, en rapport avec des désirs, besoins ou émotions individuels. Ce qui nous amène à nous demander en quoi ce sentiment, éminemment social car n’existant pas en dehors de la communication humaine, peut s’avérer être un phénomène autant collectif que particulier, et dans quelle mesure il influe sur les relations entre individus. La pudeur apparaît bien comme une condition fondamentale de la société des hommes, et nécessaire à l’insertion de l’individu dans le groupe social : elle prend ses racines dans la morale collective. Mais il s’agit également d’un sentiment subjectif, d’une réaction de réserve liée au vécu individuel. Enfin on verra que la pudeur n’est pas qu’une barrière de convenances sociales, ou une simple réaction de déni destinée à sauver la vanité de l’homme, et qu’elle est aussi un moyen d’élévation de l’humanité.

 

La pudeur est d’abord une convention sociale, condition fondamentale de l’insertion de l’individu dans la société humaine.

La pudeur au sens le plus courant se rapproche d’une certaine notion de honte que pourrait éprouver un individu envers ce qui heurte les convenances, conventions morales de la société. Cette honte est avant tout honte du corps, des fonctions sexuelles, des actes intimes, qu’il convient de ne pas montrer en public, de ne pas évoquer sans une certaine réserve. Cette notion de pudeur du corps s’inculque dans le cadre de la famille, unité de la société, dès l’enfance de l’individu. Si l’enfant a souvent tendance à refuser de telles conventions, il reçoit vite l’éducation sociale qui C’est un fait particulier à l’espèce humaine, et un des grands symboles du passage à l’état de culture, de société des hommes, dont témoigne le livre de la Genèse : le péché originel a pour conséquence immédiate la prise de conscience de l’homme de sa nudité, s’ensuit  l’exclusion du jardin d’Eden. Le début symbolique de la société humaine commence bien par l’expression la plus primaire du sentiment de pudeur : le port du vêtement pour se dissimuler.

La pudeur permet en effet l’insertion sociale en ce qu’elle est une partie de la morale. Chaque individu doit faire preuve de décence, autre synonyme qu’on pourrait donner à la pudeur. Kant définit la décence comme « l’inclination à susciter chez autrui du respect à notre égard par nos bonnes manières (dissimulation de ce qui pourrait éveiller du mépris) ». Il s’agit donc des efforts que chaque individu fait pour cacher ce qu’il a de trop intime ou au demeurant critiquable, pour se rendre respectable et digne de ce qui est bon. La norme sociale de bonne conduite se trouve donc dans la modération, la continence, le refoulement conscient du mauvais acte, de l’acte préjudiciable pour la société. Même si pour Aristote il s’agit plutôt d’un état mixte dans lequel on n’exerce qu’à moitié la « vertu », il dit que la pudeur, ou la honte, touche l’homme qui s’écarte de l’honnêteté. La pudeur apparaît ainsi comme un caractère de l’humanité, inextricablement lié à la morale, comme un signal qui prévient « l’être vil » que l’acte qu’il commet est mauvais, tout conscient qu’il soit de cet acte. Pour Aristote, c’est donc qu’elle est une condition si nécessaire et évidente de la vie en société que la pudeur devient un signe, une « affection » et non un « état » de l’homme (Ethique à Nicomaque). Ainsi dans toute société humaine, l’impudeur, du corps comme de la mauvaise action en général, est considérée comme une déviance dangereuse, si ce n’est une pathologie mentale, comme c’est le cas pour l’exhibitionnisme, par exemple.

Mais la pudeur imposée par la société peut apparaître comme un carcan par trop aliénant. C’est le cas pour les sociétés totalitaires où règne la censure et la délation : dans un système de valeurs excessivement manichéiste, la pudeur devient culpabilité. Les individus déviants, gênants, en sont d’autant plus marginalisés.

La pudeur, liée au sentiment de honte sociale mais aussi à un vécu subjectif, est aussi à la base de moyens de pression sur lesquels jouent religions, politiques, forces de l’ordre auteurs de tortures.

Même sans aller jusqu’à l’exemple totalitaire, il est clair que la pudeur apparaît comme un moyen pour la société de garder le contrôle de ses membres.

 

On a vu que la pudeur était une valeur sociale de base et par conséquent le fondement de nombreux comportements de l’individu par rapport à la société, avec les dérives qu’il peut impliquer. Mais elle renvoie aussi fortement à la subjectivité d’un individu, à son vécu. Cette pudeur est beaucoup plus perceptible dans la relation individuelle entre des personnes bien distinctes.

Plus que « décence » ou « honte », les synonymes de pudeur qui conviennent ici sont « retenue » ou plus encore « timidité ». La pudeur repose ici donc, moins sur une éducation sociale que sur un vécu personnel. En dehors de règles quasi universelles qui ont cours dans toutes les sociétés (dissimulation des fonctions intimes, etc.), chaque individu a effectué un parcours différent qui le rend plus ou moins pudique sous certains aspects. Chez l’un se développent alors des « sujets tabous », chez l’autre une crainte de montrer une certaine partie du corps. La timidité prend des formes variées chez l’homme, dans ses relations inter-individuelles.

La peur de dévoiler ses pensées intimes, de laisser sonder les profondeurs de son esprit pousse l’homme à la retenue. Cette pudeur de la communication n’a pas de fondement moral, même « l’honnête homme » peut avoir des réticences à transmettre sa pensée, à dévoiler son savoir : c’est la crainte de mal se faire comprendre qui l’en empêche. Chez Nietzsche, le savoir s’accompagne de la pudeur «Tout esprit profond a besoin d’un masque ; je dirais plus : un masque se forme sans cesse autour de tout esprit profond, parce que chacune de ses paroles, chacun de ses actes, chacune de ses manifestations est continuellement l’objet d’une interprétation fausse, c’est-à-dire plate » (Par delà bien et mal). Si l’esprit doit porter un masque, c’est à la fois pour protéger son entourage de son savoir et pour préserver ce savoir de son entourage (de toute interprétation erronée que ce savoir peut engendrer). Mais cela ne se traduit pas par l’incommunication, au contraire « beaucoup parler de soi peut être un moyen de se cacher » et l’esprit dissimule sa vraie pensée, enfouie sous une barrière de langage.

Mais dans les relations avec son entourage, l’individu fait encore preuve d’un autre type de retenue ; c’est la « pudeur de la pudeur ». En effet, les relations sociales de grande proximité appellent l’homme à recourir à moins de timidité, à éviter le plus possible le sentiment de honte, qui contribue à tenir l’organisation sociale mais a moins de raison d’être dans un cercle plus restreint d’individus proches. C’est un surcroît d’humanité que concède à son entourage l’homme qui lui épargne la pudeur. L’être humain mauvais est celui qui veut soumettre à la honte, qui veut utiliser à son profit ce mécanisme de la société. Nietzsche va jusqu’à dire que le plus humain serait donc de pouvoir se libérer et de libérer ceux qu’on respecte en tant qu’êtres humains, du sentiment de pudeur, barrière artificielle à la liberté humaine. « Ne plus avoir honte de soi-même » est « le sceau de l’acquisition de la liberté. » (Le Gai Savoir)

 

Ceci nous amène à penser que la pudeur n’est pas une simple barrière sociale, collective ou individuelle. En tant que particularité humaine, elle doit être considérée comme un « facteur d’humanité », et non d’une manière négative, ce que la notion de « refus » semble inviter à faire. La pudeur joue, comme on l’a vu, sur les modes de la communication entre individus. Ce phénomène universel de « retenue » amène l’homme à jouer sur les moyens d’énonciation pour transmettre son message sans se dévoiler excessivement : c’est la base des rapports de séduction, de persuasion, etc. L’humour, les sous-entendus, l’ironie, sont autant de moyens de voiler son propos tout en permettant à l’interlocuteur de déchiffrer le message. Le réflexe de refus devient donc le vecteur d’une poétique de langage. C’est d’ailleurs, dans une plus large mesure, ce que font tous les poètes en élevant au rang d’art le plus élevé, leur poétique du langage, si dense en significations, et parfois si crypté. « Les poètes n’ont pas la pudeur de ce qu’ils écrivent, ils l’exploitent », dit Nietzsche à ce sujet.

La pudeur, loin d’être uniquement un moyen de se conformer aux convenances sociales, ou de se dissimuler pour se protéger soi-même, va jusqu’à être un facteur d’altruisme important. La pudeur de ses défauts, comme le dit Nietzsche dans le Gai Savoir, n’est pas motivée par la vanité quand il s’agit de l’être aimé, « Lorsque nous sommes amoureux, nous voulons que nos défauts resdtent cachés, - non pas par vanité, mais parce que l’être aimé ne doit pas souffrir. » La pudeur des défauts, mais aussi des sentiments, des desseins, bons ou mauvais, apparaît donc sous ce jour, comme un moyen éminemment humain d’éviter la souffrance à autrui.

Mais la situation dans laquelle la pudeur apparaît le plus comme un facteur d’humanisation est formulée par Kant ; et on en revient à la pudeur corporelle. En effet, avant d’être un facteur d’unification de la société, elle apparaît comme une manifestation de la raison. Dissimuler ses fonctions reproductives pour en rendre « l’inclination plus dense et plus durable », c’est se séparer de l’animal, de dominer de la raison les pulsions passagères. Mais ce premier phénomène de refus est la base de tout, et en allant plus loin, on voit qu’il encourage l’homme à élever ses désirs, du désir sensuel et animal à l’amour, à l’idéalisation, et enfin à l’idée très kantienne du sentiment de l’agréable devenant goût esthétique. La pudeur est donc bien le « fondement de la véritable sociabilité », non en ce qu’elle donne un ordre moral susceptible de maintenir la société unie, mais en ce qu’elle est la base de tout progrès culturel quel qu’il a été, « le premier signe de formation de l’homme en tant que créature morale » (Conjectures).

 

On a vu avant tout, que la pudeur est à la base de la société humaine en ce qu’elle fait partie de la morale qui assure la cohésion de cette société ; et que sa présence ou non (par l’éducation) déterminait l’insertion sociale de l’individu. Cependant elle apparaît aussi comme définie par le vécu particulier d’une personne, et en cela elle est un sentiment très subjectif. Enfin on a vu qu’elle n’était pas qu’une notion négative et qu’elle était le point de départ d’activités éminemment humaines et culturelles. La pudeur est finalement un comportement fondamentalement humain et en cela participe de l’élévation de l’homme en tant que tel, et ne saurait donc être considérée comme un simple mal nécessaire à la vie sociale de celui-ci.

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