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MONTAIGNE : La librairie (Liv. III, chap. 3, De trois commerces.)

Publié le 09/05/2011

Extrait du document

montaigne

Michel de Montaigne, conseiller à la cour des aides de Périgueux, puis au Parlement de Bordeaux, consacra les loisirs que lui laissaient ces diverses charges à lire les anciens, et à écrire les deux premiers livres de ses Essais, qu'il publia en 1580. Il voyagea alors, pour étudier, comme le fera plus tard Descartes, « le grand livre du monde «. A son retour, il fut nommé maire de Bordeaux. A partir de 1585, Montaigne ne quitta plus guère son château, et il publia en 1588 une deuxième édition de ses Essais, augmentée d'un troisième livre. Quand il mourut en 1592, il laissait un exemplaire des Essais, retouché et augmenté, qui, par les soins de Mlle de Gournay, fournit la troisième édition en 1595. — C'est le texte de cette édition que nous adoptons pour les Extraits suivants.

TEXTE COMMENTÉ

La « librairie « de Montaigne (1588. — Texte de 1595).

Chez moy, ie me destourne un peu plus souvent à nia 'librairie, d'où, tout d'une main, ie commande à mon mes-nage 2. le suis sur l'entree et veois soubs moy mon iardin, ma bassecourt, ma court, et dans la pluspart des membres de ma maison. Là ie feuillette à cette heure un livre, à cette heure un aultrei sans ordre et sans desseing, à pièces descousues. Tantost ie resve, tantost s'enregistre et dicte, en me promenant, mes songes què voicy. Elle 4 est au troisiesme estage d'une tour : le premier, 'c'est ma chapelle; le second, une chambre et sa suitte, où ie me couche souvent, pour estre seul; au-dessus, elle a une grande garderobbe : c'estoit, au temps passé, le lieu plus inutile de ma maison. le passe là et la pluspart des jours de ma vie, et la pluspart des heures du four : ie n'y suis jamais la nuit. A sa suitte est un cabinet assez poly'6, capable à recevoir du feu pour l'hyver, tres plaisamment percé : et si ie ne craignois non plus le soing que la despense, le soing qui me chasse de toute besongne, i'y pourrois facilement couldre6 à chasque costé une gallerie de cent pas de long et douze de large, à plain pied, ayant trouvé touts les murs montez, pour aultre usage, à la haulteur qu'il me fault. Tout lieu retiré requiert un promenoir; mes pensées dorment, si ie les assis; mon esprit ne va pas seul, comme si les iambes l'agitent; ceulx qui estudient sans- livre en sont touts là. La figure' en est ronde, et n'a de plat que ce qu'il fault à ma table et à mon siege; et, vient m'offrant, en se courbant, d'une veue, touts mes livres, rengez sur des pulpitres à cinq degrez tout à l'environ. Elle age.trois veues a de riche et libre prospect, et seize pas de vuide en diamètre. En hyver, i'y suis moins continuellement; car ma maison est iuchee sur un tertre, comme dict son nom, et n'a point de piece plus esventée que cette cy, qui me plaist d'estre un peu penible et à l'escart, tant pour le fruict de l'exercice, que pour reculer de moy la presse. C'est là mon siege; T'essaye à m'en rendre la domination pure, et à soustraire ce seul coing à la communauté et conjugale, et filiale, et civile; partout ailleurs ie n'ay qu'une auctorité verbale, en essence confuse. Miserable à mon gré, qui n'a chez soy, où estre à soy; où se faire particulierement la court ; où se cacher!

(Liv. III, chap. 3, De trois commerces.)

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