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Peut-on être heureux dans l'illusion ?

Publié le 15/12/2012

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Peut-on être heureux dans l'illusion ? Comme le souligne Pascal dans ses Pensées, « tous les hommes recherchent d'être heureux ; cela est sans exception ; quelques différents moyens qu'ils y emploient, ils tendent tous à ce but «. Cependant, comme le souligne Freud dans Malaise dans la culture, « il y a beaucoup moins de difficultés à faire l'expérience du malheur « que du bonheur, tant la souffrance nous menace de tous côtés, en provenance du corps, du monde extérieur ou des relations d'autrui. C'est pourquoi, selon lui, la recherche du bonheur se confond la plupart du temps avec celle du meilleur moyen d'éviter la souffrance, comme la sublimation, les jouissances de l'amour, ou les stupéfiants en tout genre (drogues). Dès lors, on peut se demander si l'illusion contribue au bonheur, en donnant aux hommes un moyen de soulager leurs souffrances, ou bien si, au contraire, elle ne fait que les précipiter dans la déception et la douleur. En quoi l'illusion est-elle un obstacle au bonheur ? N'y a-t-il pas, cependant, des illusions qui rendent heureux ? Quel bonheur l'illusion est-elle susceptible de procurer ? Comme l'a bien montré Platon au livre VII de La République au moment de la célèbre allégorie de la Caverne, l'illusion est une tromperie des sens qui nous fait croire à un monde de chimères en tout point opposé à la réalité véritable, dont la connaissance seule peut nous apporter le repos de l'âme et la béatitude. Chacun fait un jour l'expérience de la désillusion, dans laquelle il découvre qu'il s'était trompé, que ce qu'il avait cru était faux. Ainsi, en 1492, Christophe Colomb croit découvrir les Indes, alors qu'il mettait en réalité le pied sur le sol américain. Mais, comme le souligne Freud dans L'Avenir d'une illusion, « une illusion n'est pas la même chose qu'une erreur «. Selon lui, il faut appeler « une croyance illusion lorsque, dans sa motivation, l'accomplissement d'un désir vient au premier plan «. Dès lors, toute illusion est une déception potentielle. Dans Malaise dans la culture, Freud dresse la liste de tous les procédés pas lesquels, dans la conduite de leur vie, les hommes cherchent à éviter la souffrance. L'un des plus efficaces consiste à produire des satisfactions substitutives qui diminuent la souffrance de l'existence : dans ce cas, écrit-il, « la satisfaction est obtenue à partir d'illusions, que l'on reconnait comme telles, sans se laisser troubler dans leur jouissance par le fait qu'elles s'écartent de la réalité effective. Le domaine d'où sont issues ces illusions est celui de la vie de fantaisie «. Par là, il faut entendre les productions de notre imagination, des rêves aux oeuvres d'art. Dans Le Livre du philosophe, Nietzsche écrit que « la vie a besoin d'illusions, c'est-à-dire de non-vérités tenues pour des vérités «. Pour lui, il s'agit principalement des illusions de l'art en tant qu'elles constituent l'un des plus grands bonheurs de l'existence. Dans la Lettre à Elisabeth du 6 octobre 1645, Descartes écrit : « Voyant que c'est une plus grande perfection de connaître la vérité, encore même qu'elle soit à notre désavantage, que l'ignorer, j'avoue qu'il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance « car ce n'est « pas toujours lorsqu'on a le plus de gaieté qu'on a l'esprit plus satisfait «. Dès lors, il n'y a rien de bon « à se tromper, en se repaissant de fausses imaginations ; car tout le plaisir qui en revient, ne peut toucher que la superficie d'âme «. Dans Malaise dans la culture, après avoir reconnu que les illusions de la vie de fantaisie peuvent nous apporter de la satisfaction, Freud ajoute que « celui qui est réceptif à l'influence de l'art ne saurait la tenir en assez haute estime comme source de plaisir et comme consolation dans la vie « car « la douce narcose dans laquelle nous plonge l'art ne fait pas plus que soustraire fugitivement aux nécessités de la vie et n'est pas suffisamment forte pour faire oublier une misère réelle «. Toute la tradition philosophique depuis Platon condamne l'illusion comme source d'erreur contraire à la raison qui, seule, peut mener au bonheur. Au premier abord, il semble donc inconcevable que l'illusion puisse rendre heureux d'une quelconque manière. Cependant, nous avons vu que, dans la vie artistique et imaginaire, de grandes sources de plaisir, de joie et de bonheur proviennent d'illusions fabriquées dans ce but. Dès lors, il faut considérer la capacité de l'illusion à produire du bonheur de façon mesurée : les illusions peuvent être source de bonheur quand nous n'en sommes pas les esclaves inconscients, mais quand, au contraire, nous pouvons consciemment et délibérément choisir de nous laisser porter par elles, chacun à la manière qu'il sait lui convenir, sans perdre pied avec la réalité.

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