Devoir de Philosophie

La saga des Bhutto

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

6 août 1990 -   Toute l'énergie de Benazir Bhutto n'aura pas résisté deux ans face aux problèmes qui s'amoncellent au Pakistan. Son prédécesseur, mort en août 1988 dans un mystérieux accident d'avion, le général-président-dictateur Zia Ul-Haq, qui avait fait pendre son père, Zulficar Ali Bhutto, n'y était pas parvenu malgré sa poigne de fer. Pendant vingt mois depuis son élection au poste de premier ministre-elle avait pris ses fonctions le 1e décembre 1988- " Benazir " aura bataillé avec énergie, d'abord pour tenter de résoudre les crises qui se succédaient tout en s'efforçant de maintenir un semblant de démocratie, puis, tout simplement, pour survivre.    C'est le chef de l'Etat, le vieux Ghulam Ishaq Khan, qui, en novembre 1988, avait joué pour l'occasion le jeu démocratique en confiant le pouvoir au vainqueur sorti des urnes, le Parti du peuple ( PPP), qui a, cette fois, fait tomber Benazir Bhutto. Le 6 août 1990, profitant de ses pouvoirs étendus, il a révoqué le chef du gouvernement, la remplaçant par un premier ministre par intérim, chargé de préparer de nouvelles élections, Ghulam Mustafa Jatoi. Ce dernier n'est autre qu'un ancien adjoint d'Ali Bhutto, passé à l'opposition par dépit d'avoir été devancé par " Benazir ", et qui est devenu le porte-drapeau d'une coalition hétéroclite. Regroupée dans le COP ( sigle pour Partis d'opposition combinés), elle comprend des déçus du PPP, des conservateurs et des mollahs, des forces régionales et des proches de l'armée, unis par un seul objectif, renverser Benazir Bhutto. L' " homme " du clan    L'attaque était attendue. Car, à peine élue, Benazir Bhutto était déjà sur la défensive. Cette jeune femme de trente-cinq ans ( elle est née en 1953), élégante et brillamment diplômée d'Oxford, n'avait en effet, au terme d'une difficile campagne qui avait à la fois révélé un charisme et un populisme certains, mais aussi la somme des haines accumulées contre la famille Bhutto, connu que quelques jours de sursis avant de subir les premières attaques de ses adversaires.    N'ayant pas obtenu la majorité absolue à l'Assemblée-le Sénat étant bien tenu par les conservateurs,-elle avait été contrainte à une alliance de circonstance avec le MQM, mouvement d'exilés indiens, les Mohajirs, puissants à Karachi et dans la province du Sind, le berceau de la famille Bhutto. La défection du MQM et le cortège d'affrontements sanglants à Karachi qui s'en est ensuivi auront joué un rôle déterminant dans sa chute.    Et pourtant, " Benazir " -cette " vierge en culotte de fer " pour reprendre l'image du sacrilège Salman Rushdie-avait tout fait pour calmer l'inquiétude des militaires après son arrivée au pouvoir. Pour ces derniers, le nom de Bhutto, l'homme qui avait pris le pouvoir après leur défaite face à l'Inde en 1971, et dont ils portaient la responsabilité de la mort, sentait le soufre. D'autant que le militantisme de sa fille, et enfant préféré, qui avait pris le relais de la Bégum, Nusrat Bhutto, et s'était fait reconnaître comme l'héritier politique de la famille, partageant pendant des années son temps entre l'exil et la résidence surveillée, bénéficiait d'un large courant populaire et menaçait la position privilégiée de l'armée dans la société pakistanaise. Rares ont en effet été, au Pakistan, les civils qui ont dirigé le pays depuis l'indépendance en 1947. Des oppositions de tous bords    Seule dans la famille, la Bégum Bhutto soutenait fidèlement " Benazir ". Cette dernière avait, en mars 1989, fait de sa mère un ministre sans portefeuille, à la fois son plus proche conseiller et son éventuel successeur en cas de malheur car, dans la famille des Bhutto, depuis la mort du père en 1979, les hommes n'ont guère brillé par leur sens politique. Pas même le mari que s'était donné " Benazir ", passage obligé vers la respectabilité dans une société islamique à l'extrémisme à fleur de peau, où les dignitaires religieux rêvent d'imposer la charia et donc la soumission des femmes. En février 1989, une manifestation d'islamistes contre les Versets sataniques, de Salman Rushdie avait dégénéré en émeute anti-Bhutto.    Bel homme, moustachu, grand joueur de polo et de golf, issu d'une bonne famille de propriétaires fonciers du Sind, choisi pour elle par sa famille, Asif Ali Zardari ne s'est pas contenté de lui donner deux enfants, un fils en 1988, une fille le 25 janvier dernier. Discret sur le plan politique, ce " play-boy " semble s'être bien rattrapé, en compagnie de son père, par son âpreté dans les affaires en tout genres, au point de devenir la cible des critiques conjuguées de l'opposition et de nombreux membres du PPP. Un pays ingouvernable    Ferme en politique, Benazir Bhutto n'aura pas su, ou osé, en dépit des mises en garde, faire marcher droit son mari. Ce qui lui vaudra des accusations de corruption, délit sans doute le mieux partagé dans la classe politique locale et qu'elle aurait pu aussi bien retourner contre ses adversaires.    Il faut dire, à sa décharge, qu'elle avait hérité d'un pays ingouvernable. Pour se concilier les bonnes grâces de ses adversaires, ou pour tenter de les neutraliser, elle avait été contrainte de mettre beaucoup d'eau dans son " socialisme ", de mettre entre parenthèses le volet social de son programme, en particulier agraire, dans une société encore dominée par les latifundiaires, et de poursuivre la politique afghane de Zia Ul-Haq de soutien aux moudjahidines pour ne pas heurter l'armée.    En même temps, Benazir Bhutto devait faire face à une situation économique difficile et à des relations avec l'Inde envenimées par la crise du Cachemire. " Benazir ", qui était aux côtés de son père lors du " sommet " avec Indira Gandhi, à Simla, en 1972, qui avait reçu officiellement à Islamabad il y a un an Rajiv Gandhi, alors premier ministre, a été prise dans le maelström des haines religieuses au Cachemire. Les rivalités politiques dans ce territoire revendiqué par l'Inde et le Pakistan, les massacres entre hindous et musulmans, majoritaires, la violence de la répression militaire, l'impossibilité des gouvernements indiens de parvenir à un compromis ou de museler les extrémismes et de calmer les bruits de bottes ont conduit le sous-continent au bord d'une nouvelle guerre.    Benazir Bhutto avait tenté de reprendre à son compte le nationalisme de ses compatriotes tout en s'efforçant d'éviter l'irréparable. Mais, là comme ailleurs, face à ses adversaires de tous bords, sa détermination, son ambition et ses qualités politiques n'auront pas suffi à l'emporter. PATRICE DE BEER Le Monde du 8 août 1990

Liens utiles