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Le serment de Koufra

Publié le 02/08/2006

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2 mars 1941 -   Le Tchad, fin 1940 : un lac et un désert qui paraissent n'intéresser personne. Quel rôle peut jouer dans la guerre cette immense étendue de sable, de rocailles et de montagnes ?

   Le territoire s'est rallié à la France libre sous l'impulsion de son gouverneur noir Félix Eboué, que vient de remplacer Pierre Olivier Lapie. On n'y compte que trois cent soixante civils et militaires français et un régiment de tirailleurs dits sénégalais, en réalité tchadiens et camerounais.

   Leur tombe du ciel un très jeune colonel, cavalier de surcroît, qui leur annonce tout de go qu'il se prépare avec eux à s'emparer de la citadelle italienne de Koufra, conquise en 1931 sur les senousistes par trois mille hommes, sept mille chameaux, trois cents camions et trente avions, et puissamment fortifiée depuis lors. Leclerc arrive du Gabon. Il l'a arraché à Vichy après avoir libéré " au culot " le Cameroun.

   Philippe de Hauteclocque, dit Leclerc, est un homme d'acier, tendu sans relâche vers son but. De Gaulle, lui montrant le Sahara oriental, lui a dit : " Et puis, il y a çà et çà. " C'est tout. Le chef de la France libre considère que le Tchad peut être appelé à jouer un rôle de pilier dans la défense de l'Afrique subsaharienne si les forces britanniques en Egypte sont écrasées par celles de l'Axe, tandis que l'Afrique du Nord est restée entre les mains des gens de Vichy.

   Koufra est au centre du désert de Libye entouré de " 400 à 500 kilomètres de néant ", " le plus grand blanc à l'époque de la carte saharienne ", selon le géographe Gauthier.

   La base arrière du Tchad est à Pointe-Noire, au Congo, à 4 000 kilomètres. On se battra à bout de bras. La plupart des postes ne possèdent pas d'autre moyen de transport que le chameau.

   On transforme de vieux camions en véhicules de combat, on stocke l'essence, on transforme les cent vingt méharistes du groupe nomade de l'Ennedi en combattants motorisés. Leclerc n'est pas un simple " fonceur ", c'est un organisateur minutieux, infatigable, qui ne cesse de harasser l'intendance, de bousculer ses subordonnés, vole d'un poste à l'autre dans un vieil avion, pousse lui-même les véhicules ensablés. Le commandement anglais du Caire est prévenu. Le responsable du Long Range Desert Group (LRDG), qui, depuis l'Egypte, organise des raids dans le Sud, le major Clayton, accepte d'accompagner l'expédition jusqu'à Koufra, d'où il regagnera Le Caire. Il part en éclaireur. Le 25 janvier 1941, les premières forces françaises s'ébranlent de Largeau. Et font 4 kilomètres dans la journée, tant le matériel est usé et le terrain difficile. La progression reprend. On dépasse Tekro, dernier point habité avant Koufra. On s'enlise à qui mieux mieux dans le sable et l'on voit arriver des restes du LRDG mis à mal par son homologue italienne de Koufra, la compagnie motorisée Sahariana. Clayton est prisonnier, une grande partie de ses véhicules sont détruits. Les survivants vont gagner Le Caire  ils laissent aux Français une voiture pourvue d'un compas solaire et son équipage. L'ennemi est maintenant prévenu.

   Leclerc regroupe tout son monde à Tekro et part à la tête d'une patrouille formée des vingt voitures les plus solides. Le 7 février, il est en vue de Koufra. Il tâte les défenses, et, les Italiens se repliant pour la nuit dans le fort d'El Tag qui domine la palmeraie, s'empare d'un avion sur l'aérodrome.

   Le 16 février, tout le monde se retrouve à Sarra, un ancien puits bouché par les Italiens que l'on remet en état. Leclerc sait maintenant qu'il a en face de lui, à Koufra, un bataillon dans le fort, la Sahariana, et une aviation de bombardement redoutable.

" Jurez de ne déposer les armes que... "

   Premier objectif : détruire ou neutraliser la dangereuse Sahariana avec ses rutilantes voitures blindées. Sans radio : les ordres seront hurlés dans le bruit des moteurs. Un débordement par la gauche échoue. Leclerc fonce par la droite, contourne la Sahariana qui, après une vaine contre-attaque appuyée par les bombardiers Savoia Marchetti, tente de rentrer dans le fort. Impossible, la route est barrée. La compagnie motorisée italienne s'éloigne et ne reviendra pas.

   Ne restent que le fort et les Savoia. Les Français occupent la palmeraie, le village, l'aérodrome et les points d'eau extérieurs. Le siège s'organise. Les Italiens ignorent la force réelle de leurs adversaires : deux cent cinquante hommes.

   Leclerc fait constamment bouger les armes automatiques. Son canon tire vingt obus par jour, sur des objectifs soigneusement choisis pour démoraliser l'adversaire : le mess des officiers, par exemple, à l'heure du déjeuner. Il entretient des rapports amicaux avec les habitants de la palmeraie, qui lui vendent du ravitaillement. Du fort, sur des cibles sans cesse changeantes, partent des tirs imprécis. Les Savoia ne reviennent bientôt plus : un observateur a pris le vieux Potez d'évacuation sanitaire pour un avion de chasse.

   Dans le fort paralysé, on songe à capituler. Un civil apporte, le 28 février, un premier message à Leclerc. Le commandant italien lui propose d'organiser le ramassage des blessés.

   Leclerc n'entend discuter qu'avec des parlementaires. Il refoule les premiers qui se présentent. Le 1 mars au matin, un drapeau blanc flotte sur la muraille. Des officiers italiens s'avancent en voiture et demandent à connaître les conditions d'une capitulation. Leclerc, exaspéré par ces tergiversations, les enfourne dans leur auto, y monte avec deux officiers et donne au chauffeur effaré l'ordre de le conduire au fort à toute vitesse. La poterne est restée ouverte. Le colonel se heurte au commandant de la garnison en grand uniforme, qui s'écrie : " Vous n'avez pas le droit ! " " Faites ce que je vous dis ", répond Leclerc, qui donne l'ordre de rassembler tous les officiers dans la salle d'honneur, les salue un par un et les félicite de leur résistance. Il dicte la capitulation et la fait immédiatement signer. La garnison italienne en armes défile devant le vainqueur. Les Français libres font de même le lendemain 2 mars. Leur chef déclare : " Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg. " L'effet moral et médiatique de cette victoire, dans le plus perdu des coins perdus, d'une petite bande de trois cent cinquante hommes dépenaillés, mais entraînés et fortement motivés sur un gros bataillon appuyé par une compagnie saharienne et des bombardiers, déborde largement l'épisode, si héroïque soit-il. Des unités de la France libre combattent déjà en Ethiopie, mais c'est sous commandement britannique. C'est, insiste la BBC, le premier " acte offensif victorieux mené contre l'ennemi par des forces françaises partant de territoires français, aux ordres d'un commandement uniquement français ".

   Koufra, pour Leclerc, n'est qu'un point de départ. Il veut, d'une part, chasser les Italiens du Fezzan, région relativement peuplée à l'ouest de Koufra, et, de là, s'élancer jusqu'à la mer et faire la liaison avec l'armée britannique. A celle-ci, il a remis la garde de Koufra, où il ne laisse qu'une section et le drapeau tricolore sur El Tag. Il obtiendra des renforts, des véhicules et des armes. Ses hommes lui viennent d'un peu partout, même du bagne de Cayenne. Peu lui importe. Il a été promu en août 1941 général de brigade, mais, considérant cette promotion comme excessive, il n'en portera les insignes que six mois plus tard, sur les injonctions de de Gaulle. Encore s'agissait-il des étoiles de capitaine de l'armée italienne, cousues sur un morceau de chéchia pourvu d'une visière. En décembre 1942, il franchit la frontière et entreprend de détruire les nombreux postes italiens du Fezzan, où la France conservera des garnisons jusqu'en 1955. Il a dû attendre que les Britanniques, d'abord refoulés par Rommel de Libye, aient repris l'offensive, sous les ordres de Montgomery, et vaincu l'Afrika Korps à El Alamein pour rejoindre la côte d'où il s'élancera avec eux vers la Tunisie.

JEAN PLANCHAIS Le Monde du 25 février 1991

 

« Dans le fort paralysé, on songe à capituler.

Un civil apporte, le 28 février, un premier message à Leclerc.

Le commandantitalien lui propose d'organiser le ramassage des blessés. Leclerc n'entend discuter qu'avec des parlementaires.

Il refoule les premiers qui se présentent.

Le 1 mars au matin, un drapeaublanc flotte sur la muraille.

Des officiers italiens s'avancent en voiture et demandent à connaître les conditions d'une capitulation.Leclerc, exaspéré par ces tergiversations, les enfourne dans leur auto, y monte avec deux officiers et donne au chauffeur effarél'ordre de le conduire au fort à toute vitesse.

La poterne est restée ouverte.

Le colonel se heurte au commandant de la garnisonen grand uniforme, qui s'écrie : " Vous n'avez pas le droit ! " " Faites ce que je vous dis ", répond Leclerc, qui donne l'ordre derassembler tous les officiers dans la salle d'honneur, les salue un par un et les félicite de leur résistance.

Il dicte la capitulation et lafait immédiatement signer.

La garnison italienne en armes défile devant le vainqueur.

Les Français libres font de même lelendemain 2 mars.

Leur chef déclare : " Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront ànouveau sur la cathédrale de Strasbourg.

" L'effet moral et médiatique de cette victoire, dans le plus perdu des coins perdus,d'une petite bande de trois cent cinquante hommes dépenaillés, mais entraînés et fortement motivés sur un gros bataillon appuyépar une compagnie saharienne et des bombardiers, déborde largement l'épisode, si héroïque soit-il.

Des unités de la France librecombattent déjà en Ethiopie, mais c'est sous commandement britannique.

C'est, insiste la BBC, le premier " acte offensifvictorieux mené contre l'ennemi par des forces françaises partant de territoires français, aux ordres d'un commandementuniquement français ". Koufra, pour Leclerc, n'est qu'un point de départ.

Il veut, d'une part, chasser les Italiens du Fezzan, région relativement peupléeà l'ouest de Koufra, et, de là, s'élancer jusqu'à la mer et faire la liaison avec l'armée britannique.

A celle-ci, il a remis la garde deKoufra, où il ne laisse qu'une section et le drapeau tricolore sur El Tag.

Il obtiendra des renforts, des véhicules et des armes.

Seshommes lui viennent d'un peu partout, même du bagne de Cayenne.

Peu lui importe.

Il a été promu en août 1941 général debrigade, mais, considérant cette promotion comme excessive, il n'en portera les insignes que six mois plus tard, sur les injonctionsde de Gaulle.

Encore s'agissait-il des étoiles de capitaine de l'armée italienne, cousues sur un morceau de chéchia pourvu d'unevisière.

En décembre 1942, il franchit la frontière et entreprend de détruire les nombreux postes italiens du Fezzan, où la Franceconservera des garnisons jusqu'en 1955.

Il a dû attendre que les Britanniques, d'abord refoulés par Rommel de Libye, aientrepris l'offensive, sous les ordres de Montgomery, et vaincu l'Afrika Korps à El Alamein pour rejoindre la côte d'où il s'élanceraavec eux vers la Tunisie. JEAN PLANCHAIS Le Monde du 25 février 1991 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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