Devoir de Philosophie

Analyse textuelle: TARTUFE de Molière (commentaire complet de l'oeuvre intégrale)

Publié le 28/05/2015

Extrait du document

Le silence d'Elmire

Les deux personnages qui dominent, en fait cette discussion, n'apparaissent pas : Tartuffe est absent et Elmire s'abstient. On devine pourtant que c'est entre eux que la partie va se jouer.

Au théâtre il est convenu d'admettre que la prise de parole équivaut à la prise du pouvoir. Celui qui garde la parole occupe le terrain et, en obligeant ses adversaires à l'écouter, marque par là même sa supériorité momentanée. Au théâtre la parole est action. Une alchimie spontanée tire la parole de son état de parole, au sens où Hamlet s'écrie avec dérision : «Des mots! Des mots! «, et la transforme en événement qui modifie la réalité.

Pourtant, dans cette scène de Tartuffe le silence d'Elmire est peut-être plus significatif que les longs discours de Ma­dame Pernelle.

Elmire juge inutile, en effet, de perdre son temps en vaines disputes. Cette réserve et cette sagesse la distinguent des autres membres de la famille. Elle partage avec son frère Cléante le goût de la modération, de la mesure, mais celui-ci est beaucoup plus raisonneur. Par sa discrétion, Elmire est l'un des personnages féminins les plus mystérieux du théâtre de Molière.

Sa seule répartie aux paroles bourrues de sa belle-mère est chargée de sous-entendus et suffit à caractériser ses relations avec son entourage :

De ce que l'on vous doit envers vous on s'acquitte.«

Le sentiment du devoir, le respect des convenances, le souci de l'harmonie familiale guident sa conduite, mais Elmire est un personnage qui ne se livre pas, qui ne s'épanche pas, qui n'élève pas la voix et qui garde toujours la maîtrise d'elle-même.

Elle sait défendre en quelques mots sa dignité face à sa belle-mère, comme elle saura défendre le bonheur de Ma-riane contre l'absurde tyrannie d'Orgon. Le seuil invisible qu'elle pose devant elle pour se protéger des excès est fondé sur une philosophie de la vie pleine de scepticisme et de lucidité. Ainsi elle évitera de céder à la contagion de l'hysté­rie que fait régner Orgon, manipulé par Tartuffe, et elle restera grâce à son sang-froid la meneuse du jeu.

La cour du roi Pétaud

 

Certes, l'animosité de Madame Pernelle pourrait être attri­buée à la traditionnelle jalousie des belles-mères. Il semble plutôt que la mère d'Orgon en veuille à Elmire d'avoir intro­duit chez son fils des moeurs dont la liberté tranche sur les habitudes antérieures de la maison. Il était donc grand temps qu'un Tartuffe vienne remettre de l'ordre dans cette « cour du roi Pétaud «. Madame Pernelle compare avec acrimonie la conduite d'Elmire à celle de la première femme d'Orgon :

PREMIER ACTE

SCÈNE 1

Vie mondaine et vie dévote

Cette scène est construite sur un triple mouvement. D'abord Madame Pernelle lance une offensive contre les membres de la famille d'Orgon, dont elle critique le train de vie qu'elle juge indécent. Damis réagit en prenant pour cible Tartuffe : «Votre Monsieur Tartuffe est bienheureux sans doute...« Cette répartie marque le passage à la deuxième partie centrée sur Tartuffe, présenté comme un modèle de moralité par Madame Pernelle, comme un parasite et un hypocrite par Damis, vigoureusement relayé par Dorine.

Exaspérée par ces reproches, Madame Pernelle coupe ver­tement la parole à Dorine : « Taisez-vous et songez aux choses que vous dites. «

Pressée de justifier Tartuffe et de reprendre le dessus, Ma­dame Pernelle aborde un troisième thème qui n'est, en fait, que la reprise élargie et argumentée du premier : les médisances auxquelles donne lieu la conduite d'Elmire et des jeunes gens.

Le silence d'Orgon

Elmire, après avoir toussé en vain une troisième fois, comprend qu'elle a épuisé tous les moyens de retarder le moment du sacrifice. Elle tente alors une ultime démarche pour tirer Orgon de sa torpeur et éviter de le faire cocu sous ses yeux.

Elle tient un discours à double sens, utilisant de nouveau avec une grande finesse le pronom impersonnel «on«, qui, tout en faisant croire à Tartuffe qu'elle s'adresse à lui, désigne surtout son mari caché sous la table et toujours silencieux :

Enfin je vois qu'il faut se résoudre à céder,

Qu'il faut que je consente à vous tout accorder,

Et qu'à moins de cela, je ne dois point prétendre

Qu'on puisse être content, et qu'on veuille se rendre.

Sans doute il est fâcheux d'en venir jusque-là,

Et c'est bien malgré moi que je franchis cela;

Mais puisque l'on s'obstine à m'y vouloir réduire,

Puisqu'on ne veut point croire à tout ce qu'on peut dire,

Et qu'on veut des témoins qui soient plus convaincants,

Il faut bien s'y résoudre, et contenter les gens. «

Elmire est tellement exaspérée et humiliée par le silence obstiné de son mari qu'elle semble vraiment prête à aller jusqu'au bout. En se disculpant au préalable de l'adultère qu'elle se prépare à commettre, elle se trouve dans l'une des situations prévues par les casuistes et exactement définie par Tartuffe :

« Si ce consentement porte en soi quelque offense,

Tant pis pour qui me force à cette violence;

La faute assurément n'en doit point être à moi.«

La pureté de l'intention rectifie, en effet le mal de l'action, puisqu'elle acceptera de cocufier son mari afin de convaincre celui-ci de la traîtrise de Tartuffe. Conformément au pacte qu'elle a passé avec Orgon, Elmire est disposée à jouer le jeu et à « consentir « à donner à celui qui les demande les «der­nières faveurs «.

L'attitude d'Orgon montre bien qu'il n'en a pas encore assez vu et entendu pour être convaincu. Dans ce cas, le transfert de culpabilité est évident, puisque c'est Orgon, par son entête­ment, qui force sa femme à se donner à Tartuffe. La réponse de Tartuffe, victime du quiproquo, vient apporter une note comique à cette relation triangulaire originale. Confirmant les propos qu'il vient de tenir sur «les accommodements« avec le Ciel, le dévot tient, en effet, à rassurer celle qu'il s'apprête à « tartuffier « : «Oui, Madame, on s'en charge...«

Toutefois, pour se ménager une dernière chance, Elmire demande à Tartuffe d'aller vérifier à l'extérieur de la pièce si son mari ne se trouve point dans les parages. Tartuffe juge cette précaution inutile et ricane de la naïveté d'Orgon, «un homme, entre nous, à mener par le nez «.

SCÈNES 5, 6, 7

 

Pendant l'absence de Tartuffe, Orgon sort de dessous la table et s'exclame sur les abominations qu'il vient d'entendre. Elmire ulcérée l'accable de sarcasmes et l'invite ironiquement à « rentrer sous le tapis « pour « voir les choses sûres «. Orgon est visiblement, comme il l'avoue, «assommé« par la trahison de Tartuffe. Pour mieux surprendre l'imposteur il se cache derrière Elmire. Quand ce dernier revient, au comble de «son contentement«, Orgon I'« arrête et lui intime l'ordre de déguerpir. Mais Tartuffe le prend de haut et, fort de la donation qu'il a reçue d'Orgon, réplique :

« 50 1 Molière.

Œuvres majeures Cléante et Dorine dénoncent la tyrannie de l'opinion publi­ que fondée sur l'hypocrisie et sur l'envie.

Les unes, comme Daphné, moralisent pour dissimuler leurs propres vices, les autres, comme Orante, une vieille prude, veulent interdire à leurs prochains des plaisirs dont elles sont désormais privées elles-mêmes.

Madame Pernelle prononce alors une ultime tirade pour opposer l'exemple de piété offert par Tartuffe à la dissipation et à la frivolité de la vie mondaine menée par la famille de son fils.

Il est évident que l'inspiratrice de ce désordre est à ses yeux sa belle-fille Elmire, qui, après les quelques mots qu'elle adresse au début à la mère d'Orgon, garde ensuite ostensiblement le silence tout au long de la scène.

Toute cette première scène est aussi gestuelle que verbale.

Elle est emportée par le mouvement d'humeur, de mauvaise humeur, de Madame Pernelle.

Les invectives dont celle-ci accable sa servant Flipote, au début de la scène: et à la fin: «Marchons, gaupe, marchons>>, donnent le ton et le mouve­ ment.

L'effet de reprise ainsi produit marque la gradation de l'impatience et de l'irritation de la vieille dévote, signes exté­ rieurs de son intolérance.

On se représente très bien Madame Pernelle tournant en rond et traînant la pauvre Flipote dans un véritable tourbil­ lon, tout en harcelant ses adversaires les uns après les autres, avec fureur.

Ce jeu quasiment chorégraphique, à la limite du ballet, traduirait scéniquement la logique obsessionnelle dans la­ quelle la passion dévote enferme Madame Pernelle ainsi qu'Orgon dans un piège savamment tissé par Tartuffe, mais constitué surtout par leur propre fanatisme.

Le silence d'Eimire Les deux personnages qui dominent, en fait cette discussion, n'apparaissent pas: Tartuffe est absent et Elmire s'abstient.

On devine pourtant que c'est entre eux que la partie va se jouer.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles