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André Gide, Les nourritures terrestres, 1897. Vous ferez un commentaire composé de cette page. Vous pourriez, par exemple, étudier par quels moyens (variété du vocabulaire, parallélismes, rythmes...) l'écrivain rend sensibles les transformations et la « féerie » du paysage en cette heure privilégiée.

Publié le 27/04/2011

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gide

 La terrasse monumentale où nous étions (des escaliers tournants y menaient) dominait toute la ville et semblait, au-dessus des feuillages profonds, une nef immense amarrée; parfois elle semblait avancer vers la ville. Sur le haut pont de ce navire imaginaire, cet été, je montais quelquefois goûter, après le tumulte des rues, l'apaisement contemplatif du soir. Toute rumeur en montant s'épuisait ; il semblait que ce fussent des vagues et qu'elles déferlassent ici. Elles venaient encore et par ondes majestueuses, montaient, s'élargissaient, contre les murs. Mais je montais plus haut, là où les vagues n'atteignaient plus. Sur la terrasse extrême, on n'entendait plus rien que le frémissement des feuillages et l'appel éperdu de la nuit.    Des chênes verts et des lauriers immenses, plantés en régulières avenues, venaient finir au bord du ciel, où la terrasse même finissait ; pourtant, des balustrades arrondies, par instants, s'avançaient encore, surplombant et formant comme des balcons dans l'azur. Là, je venais m'asseoir, je m'enivrais de ma pensée ; là je croyais voguer. Au-dessus des collines sombres qui s'élevaient de l'autre côté de la ville, le ciel était de la couleur de l'or : des ramures légères, parties de la terrasse où j'étais, penchaient vers le couchant splendide, ou s'élançaient, presque sans feuilles, vers la nuit. De la ville montait ce qui semblait une fumée ; c'était de la poussière illuminée qui flottait, s'élevait à peine au-dessus des places où plus de lumière brillait. Et parfois jaillissait comme spontanément, dans l'extase de cette nuit trop chaude, une fusée, lancée on ne sait d'où, qui filait, suivait comme un cri dans l'espace, vibrait, tournait, et retombait défaite, au bruit de sa mystérieuse éclosion. J'aimais celles surtout dont les étincelles d'or pâle tombent si lentement et si négligemment s'éparpillent qu'on croit, après, tant les étoiles sont merveilleuses, qu'elles aussi sont nées de cette subite féerie, et que, de les voir, après les étincelles, demeurantes, l'on s'étonne... puis, lentement, on reconnaît chacune à sa constellation attachée, — et l'extase en est prolongée.       

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