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André Malraux, Antimémoires

Publié le 27/04/2011

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malraux

En 1944, les combattants de la Résistance ont entreposé du matériel militaire au fond des grottes de Lascaux — récemment découvertes. André Malraux, alors combattant du maquis, descend vérifier les cachettes ; au long des labyrinthes souterrains, il voit surgir sur les murs les figures peintes de bisons de la Préhistoire...    Toute caverne souterraine suscite l'angoisse, parce qu'un éboulement y ensevelirait les vivants. Ce n'est pas la mort, c'est le tombeau ; et le bison (*) donnait à ce tombeau une âme énigmatique, comme si, pour nous guider, il eût resurgi de la terre sans âge.    Au-dessus de nous passaient peut-être les patrouilles allemandes, nous marchions vers nos armes, et les bisons couraient sur la pierre depuis deux cents siècles. La faille s'élargit, sa ramifia. Nos lampes n'éclairaient pas ces abîmes : leur faisceau nous y guidait comme le bâton guide l'aveugle. Nous ne distinguions plus le roc que par les fragments clairs et luisants des parois qui nous entouraient. Dans chaque faille, la torche dégageait une autre faille — jusqu'au cœur de la terre. Cette obscurité ne se confondait pas avec la nuit, elle appartenait à des fissures aussi fermées que le ciel est ouvert, et qui se succédaient à l'infini. Dans une angoisse accrue, parce qu'elles paraissaient façonnées. Mes compagnons avaient cessé de parler : ils chuchotaient. Un passage d'autant plus étroit que nos cercles de lumière le circonscrivaient, et dans lequel il fallut nous courber, conduisait à une crevasse d'une trentaine de mètres de long sur dix de large. Les guides s'arrêtèrent, tous les faisceaux convergèrent : sur des parachutes rouges et bleus étendus, reposaient des caisses et des caisses : semblables à deux animaux d'une ère future, deux mitrailleuses sur leur trépied comme des chats égyptiens sur leurs pattes de devant, veillaient sur elles. A la voûte, nette cette fois, d'immenses animaux à cornes.    Ce lieu avait sans doute été sacré, et il l'était encore, non seulement par l'esprit des cavernes, mais aussi parce qu'un incompréhensible lien unissait ces bisons, ces taureaux, ces chevaux et ces caisses qui semblaient venues d'elles-mêmes, et que gardaient ces mitrailleuses tournées vers nous. Sur la voûte couverte d'une sorte de salpêtre, les animaux sombres et magnifiques couraient, emportés par le mouvement de nos ronds de lumière, comme une fuite d'emblèmes (1).    André Malraux, Antimémoires, 1968.    Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous montrerez par exemple comment l'écrivain donne à l'étrangeté du décor et de la situation le pouvoir de susciter une émotion et une méditation dont vous dégagerez l'intérêt.   

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