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Anthologie philosophique: MARX

Publié le 25/03/2015

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marx

EXTRAITS

1. Le caractère révolutionnaire du capitalisme

bourgeois et sa traduction

dans la « mondialisation « (1890)

Marx et Engels, Manifeste du Parti communiste, trad. Émile Bottigelli, GF-Flammarion, 1998, I,

p. 76-79.

La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle haute­ment révolutionnaire.

Là où elle est arrivée au pouvoir, la bourgeoisie a détruit tous les rapports féodaux, patriarcaux, idylliques. Elle a impitoyablement déchiré la variété bariolée des liens féodaux qui unissaient l'homme à ses supérieurs naturels et n'a laissé subsister d'autre lien entre l'homme et l'homme que l'intérêt tout nu, le « paiement comp­tant «. Elle a noyé dans les eaux glacées du calcul égoïste les frissons sacrés de l'exaltation religieuse, de l'enthou­siasme chevaleresque, de la mélancolie sentimentale des petits-bourgeois. Elle a dissous la dignité personnelle dans la valeur d'échange et substitué aux innombrables libertés reconnues par lettres patentes et chèrement acquises la seule liberté sans scrupules du commerce. En un mot, elle a substitué à l'exploitation que voilaient les

illusions religieuses et politiques l'exploitation ouverte, cynique, directe et toute crue.

La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités tenues jusqu'ici pour vénérables et considérées avec une piété mêlée de crainte. Elle a transformé le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, l'homme de science, en salariés à ses gages.

La bourgeoisie a arraché aux relations familiales leur voile sentimental attendrissant et les a ramenées à un pur rapport d'argent. [...]

La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner en permanence les instruments de production, donc les conditions de la production, donc l'ensemble des rap­ports sociaux. Le maintien sans changement de l'ancien mode de production était au contraire la condition d'existence première de toutes les classes industrielles antérieures. Le bouleversement constant de la produc­tion, l'ébranlement incessant de toutes les conditions sociales, l'insécurité et l'agitation perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les époques antérieures. Tous les rapports bien établis, figés par la rouille, avec leur cortège d'idées et de conceptions surannées et véné­rables sont dissous ; tous les rapports nouveaux tombent en désuétude avant d'avoir pu se scléroser. Toute hiérar­chie sociale et tout ordre établi se volatilisent, tout ce qui est sacré est profané et les hommes sont enfin contraints de considérer d'un oeil froid leur position dans la vie, leurs relations mutuelles.

Pressée par le besoin de débouchés toujours plus éten­dus pour ses produits, la bourgeoisie se répand sur la terre entière. Il faut qu'elle s'implante partout, s'installe partout, établisse partout des relations.

Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie a donné une tournure cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand regret des réactionnaires, elle a sapé sous les pieds de l'industrie sa

base nationale. Les antiques industries nationales ont été anéanties et continuent à l'être chaque jour. Elles sont évincées par des industries nouvelles, dont l'introduction devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, des industries qui ne transforment plus des matières premières du pays, mais des matières pre­mières en provenance des zones les plus reculées et dont les produits sont consommés non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du monde à la fois. Les anciens besoins que satisfaisaient les produits natio­naux sont remplacés par des besoins nouveaux qui exi­gent pour leur satisfaction des contrées et des climats plus lointains. L'ancien isolement de localités et de nations fait place à des relations universelles, à une interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production matérielle l'est tout autant de la production intellectuelle. Les produits de l'esprit des diverses nations deviennent bien commun. L'exclusivisme et l'étroitesse nationaux deviennent de plus en plus impossibles, et de la multipli­cité des littératures nationales et locales naît une littéra­ture mondiale.

Grâce au perfectionnement rapide de tous les instru­ments de production, grâce aux communications rendues infiniment plus faciles, la bourgeoisie entraîne brutale­ment dans la civilisation toutes les nations, même les plus barbares. Le bon marché de ses marchandises est l'artille­rie lourde avec laquelle elle abat toutes les murailles de Chine et contraint à capituler les barbares qui nourrissent la haine la plus opiniâtre de l'étranger. Elle oblige toutes les nations à faire leur, si elles ne veulent pas disparaître, le mode de production de la bourgeoisie ; elle les contraint à introduire chez elles ce qu'elle appelle la civili­sation, c'est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se crée un monde à son image.

2. Le destin d'autodestruction du système capitaliste : « Tendance historique

de l'accumulation capitaliste « (1867)

Karl Marx, Le Capital, trad. Joseph Roy, t. II, Livre premier, Huitième section, chap. XXXII, Champs-Flammarion, 1985, p. 206-207.

Dès que ce procès de transformation a décomposé suf­fisamment et de fond en comble la vieille société, que les producteurs sont changés en prolétaires et leurs condi­tions de travail en capital, qu'enfin le régime capitaliste se soutient par la seule force économique des choses, alors la socialisation ultérieure du travail, ainsi que la méta­morphose progressive du sol et des autres moyens de pro­duction en instruments socialement exploités, communs, en un mot, l'élimination ultérieure des propriétés privées — va revêtir une nouvelle forme. Ce qui est maintenant à exproprier, ce n'est plus le travailleur indépendant, mais le capitaliste, le chef d'une armée ou d'une escouade de salariés.

Cette expropriation s'accomplit par le jeu des lois immanentes de la production capitaliste, lesquelles abou­tissent à la concentration des capitaux. Corrélativement à cette centralisation, à l'expropriation du grand nombre des capitalistes par le petit, se développent sur une échelle toujours croissante l'application de la science à la tech­nique, l'exploitation de la terre avec méthode et ensemble, la transformation de l'outil en instruments puissants seulement par l'usage commun, partant l'éco­nomie des moyens de production, l'entrelacement de tous les peuples dans le réseau du marché universel, d'où le caractère international imprimé au régime capitaliste. À mesure que diminue le nombre des potentats du capi­tal qui usurpent et monopolisent tous les avantages de

cette période d'évolution sociale s'accroît la misère, l'oppression, l'esclavage, la dégradation, l'exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grossissante et de plus en plus disciplinée, unie et organi­sée par le mécanisme même de la production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centrali­sation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L'heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés.

L'appropriation capitaliste, conforme au mode de pro­duction capitaliste, constitue la première négation de cette propriété privée qui n'est que le corollaire du travail indépendant et individuel. Mais la production capitaliste engendre elle-même sa propre négation avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature. C'est la négation de la négation. Elle rétablit non la propriété privée du travailleur, mais sa propriété individuelle, fondée sur les acquêts de l'ère capitaliste, sur la coopéra­tion et la possession commune de tous les moyens de production, y compris le sol.

Pour transformer la propriété privée et morcelée, objet du travail individuel, en propriété capitaliste, il a naturel­lement fallu plus de temps, d'efforts et de peine que n'en exigera la métamorphose en propriété sociale de la pro­priété capitaliste, qui de fait repose déjà sur un mode de production collectif. Là il s'agissait de l'expropriation de la masse par quelques usurpateurs ; ici il s'agit de l'expro­priation de quelques usurpateurs par la masse.

3. « La formule générale du capital « : acheter pour vendre (1867)

Karl Marx, Le Capital, ibid., t. I, Livre premier, Deuxième section, chap. IV, p. 115-117.

La circulation des marchandises est le point de départ du capital. Il n'apparaît que là où la production mar­chande et le commerce ont déjà atteint un certain degré de développement. L'histoire moderne du capital date de la création du commerce et du marché des deux mondes au )(Vie siècle.

Si nous faisons abstraction de l'échange des valeurs d'usage, c'est-à-dire du côté matériel de la circulation des marchandises, pour ne considérer que les formes écono­miques qu'elle engendre, nous trouvons pour dernier résultat l'argent. Ce produit final de la circulation est la première forme d'apparition du capital. [...]

L'argent en tant qu'argent et l'argent en tant que capi­tal ne se distinguent de prime abord que par leurs diffé­rentes formes de circulation.

La forme immédiate de la circulation des marchandises est M-A-M [Marchandise-Argent-Marchandise], trans­formation de la marchandise en argent et retransforma-tion de l'argent en marchandise, vendre pour acheter. Mais à côté de cette forme nous en trouvons une autre, tout à fait distincte, la forme A-M-A, Argent-Marchan­dise-Argent, transformation de l'argent en marchandise et retransformation de la marchandise en argent, acheter pour vendre. Tout argent qui dans son mouvement décrit ce dernier cercle, se transforme en capital, devient capital et est déjà par destination capital. [...]

Ce qui distingue cependant tout d'abord les mouve­ments M-A-M et A-M-A, c'est l'ordre inverse des mêmes phases opposées. La circulation simple commence par la

vente et finit par l'achat ; la circulation de l'argent comme capital commence par l'achat et finit par la vente. Là c'est la marchandise qui forme le point de départ et le point de retour, ici c'est l'argent. Dans la première forme, c'est l'argent qui sert d'intermédiaire ; dans la seconde, c'est la marchandise.

Dans la circulation M-A-M, l'argent est enfin converti en marchandise qui sert de valeur d'usage ; il est donc définitivement dépensé. Dans la forme inverse A-M-A, l'acheteur donne son argent pour le reprendre comme vendeur. Par l'achat de la marchandise, il jette dans la circulation de l'argent, qu'il en retire ensuite par la vente de la même marchandise. S'il le laisse partir, c'est seule­ment avec l'arrière-pensée perfide de le rattraper. Cet argent est donc simplement avancé. [...]

Le cercle M-A-M a pour point initial une marchandise et pour point final une autre marchandise qui ne circule plus et tombe dans la consommation. La satisfaction d'un besoin, une valeur d'usage, tel est donc son but définitif. Le cercle A-M-A, au contraire, a pour point de départ l'argent et y revient ; son motif, son but détermi­nant est donc la valeur d'échange.

4. L'activité capitaliste comme accroissement infini du capital (1867)

Karl Marx, Le Capital, ibid., p. 118-120.

Le renouvellement ou la répétition de la vente de mar­chandises pour l'achat d'autres marchandises rencontre, en dehors de la circulation, une limite dans la consom­mation, dans la satisfaction de besoins déterminés. Dans l'achat pour la vente, au contraire, le commencement et la fin sont une seule et même chose, argent, valeur d'échange, et cette identité même de ses deux termes extrêmes fait que le mouvement n'a pas de fin. Il est vrai que A est devenu A + AA [une plus-value gagnée dans la transaction], que nous avons 100 + 10 livres sterling, au lieu de cent ; mais sous le rapport de la qualité, cent dix livres sterling sont la même chose que cent livres sterling, c'est-à-dire argent, et sous le rapport de la quantité, la première somme n'est qu'une valeur limitée aussi bien que la seconde. Si les cent livres sterling sont dépensées comme argent, elles changent aussitôt de rôle et cessent de fonctionner comme capital. Si elles sont dérobées à la circulation, elles se pétrifient sous forme de trésor et ne grossiront pas d'un liard quand elles dormiraient jusqu'au jugement dernier. Dès que l'augmentation quand même de la valeur forme le but final du mouvement, cent dix livres sterling ressentent le même besoin de s'accroître que cent livres sterling. [...]

C'est comme représentant, comme support conscient de ce mouvement, que le possesseur d'argent devient capitaliste. Sa personne, ou plutôt sa poche, est le point de départ de l'argent et son point de retour. Le contenu objectif de la circulation A-M-A', c'est-à-dire la plus-value qu'enfante la valeur, tel est son but subjectif, intime. Ce n'est qu'autant que l'appropriation toujours

croissante de la richesse abstraite est le seul motif déter­minant de ses opérations, qu'il fonctionne en capitaliste ou, si l'on veut, comme capital personnifié, doué de conscience et de volonté. La valeur d'usage ne doit donc jamais être considérée comme le but immédiat du capita­liste, pas plus que le gain isolé, mais bien le mouvement incessant du gain toujours renouvelé. [...]

Dans la circulation A-M-A' [...], marchandise et argent ne fonctionnent l'une et l'autre que comme des formes différentes de la valeur elle-même, de manière que l'un en est la forme générale, l'autre la forme particulière, et, pour ainsi dire, dissimulée. La valeur passe constam­ment d'une forme à l'autre sans se perdre dans ce mouve­ment. Si l'on arrête soit à l'une soit à l'autre de ces formes, dans lesquelles elle se manifeste tour à tour, on arrive aux deux définitions : le capital est argent, le capi­tal est marchandise ; mais en fait la valeur se présente ici comme une substance automatique, douée d'une vie propre et qui, tout en échangeant ses formes sans cesse, change aussi de grandeur, et spontanément, en tant que valeur mère, produit une pousse nouvelle, une plus-value, et finalement s'accroît par sa propre vertu. En un mot, la valeur semble avoir acquis la propriété occulte d'enfan­ter de la valeur parce qu'elle est valeur, de faire des petits ou du moins de pondre des œufs d'or.

5. Contradictions et injustices inhérentes à la logique du capital (1867)

Karl Marx, Le Capital, ibid., Livre premier, Deuxième section, chap. V, p. 127-128.

La forme A-M-A', acheter pour vendre plus cher, se révèle le plus distinctement dans le mouvement du capi­tal commercial. D'un autre côté, ce mouvement s'exécute tout entier dans l'enceinte de la circulation. Mais comme il est impossible d'expliquer par la circulation elle-même la transformation de l'argent en capital, la formation d'une plus-value, le capital commercial paraît impossible dès que l'échange se fait entre équivalents. Il ne semble pouvoir dériver que du double bénéfice conquis, sur les producteurs de marchandises dans leur qualité d'ache­teurs et de vendeurs, par le commerçant qui s'interpose entre eux comme l'intermédiaire parasite. C'est dans ce sens que [Benjamin] Franklin dit : « La guerre n'est que brigandage, le commerce que fraude et duperie. «

Ce que nous venons de dire du capital commercial est encore plus vrai du capital usuraire. Quant au premier, les deux extrêmes, c'est-à-dire l'argent jeté sur le marché et l'argent qui revient plus ou moins accru, ont du moins pour intermédiaire l'achat et la vente, le mouvement même de la circulation. Pour le second, la forme A-M-A' se résume sans moyen terme dans les extrêmes A-A', argent qui s'échange contre plus d'argent, ce qui est en contradiction avec sa nature et inexplicable au point de vue de la circulation des marchandises. Aussi lisons-nous dans Aristote : « La Chrématistique [science de l'argent] est une science double ; d'un côté elle se rapporte au commerce, de l'autre à l'économie ; sous ce dernier rap­port, elle est nécessaire et louable ; sous le premier, qui a pour base la circulation, elle est justement blâmable (car

elle se fonde non sur la nature des choses, mais sur une duperie réciproque) ; c'est pourquoi l'usurier est haï à juste titre, parce que l'argent lui-même devient ici un moyen d'acquérir [d'avoir plus d'argent] et ne sert pas à l'usage pour lequel il avait été inventé. Sa destination était de favoriser l'échange des marchandises ; mais l'inté­rêt fait avec de l'argent plus d'argent. De là son nom (Tôxog, né, engendré), car les enfants sont semblables aux parents. De toutes les manières d'acquérir, c'est celle qui est le plus contre nature. «

6. Aliénation et déshumanisation du travailleur dans le mode de production capitaliste (1844)

Karl Marx, Manuscrits de 1844, trad. Jacques-Pierre

Gougeon, GF-Flammarion, 1996,

« Premier manuscrit «, p. 112-113.

En quoi consiste l'aliénation dans le travail ?

D'abord dans le fait que le travail est extérieur à l'ouvrier, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, l'ouvrier ne s'affirme pas, mais se nie, ne se sent pas à l'aise, mais malheureux ; il n'y déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. En consé­quence, l'ouvrier ne se sent lui-même qu'en dehors du travail et dans le travail il se sent extérieur à lui-même. Il est à l'aise quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas à l'aise. Son travail n'est donc pas volon­taire, mais contraint, c'est du travail forcé. Il n'est donc pas la satisfaction d'un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire ses besoins en dehors du travail. Le caractère du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. Le travail extérieur à l'homme, dans lequel il se dépouille, est un travail de sacrifice de soi, de mortification. Enfin le caractère extérieur à l'ouvrier du travail apparaît dans le fait qu'il n'est pas son bien propre, mais celui d'un autre, qu'il ne lui appartient pas, que dans le travail l'ouvrier ne s'appartient pas lui-même, mais appartient à un autre. De même que, dans la reli­gion, l'activité propre de l'imagination humaine, du cer­veau humain et du coeur humain, agit sur l'individu indépendamment de lui, c'est-à-dire comme une activité étrangère, divine ou diabolique, de même l'activité de l'ouvrier n'est pas son activité propre. Elle appartient à un autre, elle est la perte de soi-même.

On en vient donc à ce résultat que l'homme (l'ouvrier) se sent agir librement seulement dans ses fonctions ani­males : manger, boire et procréer, ou encore, tout au plus, dans le choix de sa maison, de son habillement, etc. ; en revanche, il se sent animal dans ses fonctions proprement humaines. Ce qui est animal devient humain, et ce qui est humain devient animal.

7. Des droits de l'homme à l'émancipation humaine réelle (1843)

Karl Marx, La Question juive, trad. Lucien Sève, in Marx. Écrits philosophiques, Champs-Flammarion,

2011, p. 129-132.

La révolution politique a aboli le caractère politique de la société civile-bourgeoise. Elle fit éclater cette société en ses éléments simples, d'un côté les individus, de l'autre les éléments matériels et spirituels qui forment le contenu de vie, la situation civile de ces individus. Elle dégagea de ses chaînes l'esprit politique qui était en quelque sorte débité, démembré, défait dans les diverses impasses de la société féodale ; contre cette dispersion elle le rassembla, le libéra de sa confusion avec la vie civile et le constitua en sphère de la communauté, de la cause générale du peuple dans une indépendance idéale envers ces éléments particuliers de la vie civile. L'activité déterminée, la situa­tion déterminée dans l'existence furent rabaissées au niveau d'une signification simplement individuelle. Elles ne formèrent plus la relation générale de l'individu au tout de l'État. C'est bien plutôt la cause publique comme telle qui devint la cause générale de chaque individu, et la fonction politique sa fonction générale.

Cependant l'accomplissement de l'idéalisme de l'État était en même temps l'accomplissement du matérialisme de la société civile-bourgeoise. Secouer le joug politique, c'était en même temps secouer les liens qui tenaient enchaîné l'esprit égoïste de cette société. L'émancipation politique était en même temps l'émancipation de la société civile-bourgeoise à l'égard de la politique, de l'apparence même d'un contenu général.

La société féodale était réduite à son fondement, à l'homme. Mais à l'homme qui était son fondement effec­tif, à l'homme égoïste.

Cet homme, le membre de la société civile-bourgeoise, est maintenant la base, la présupposition de l'État poli­tique. Et il est reconnu par lui comme tel dans les Droits de l'homme.

Mais la liberté de l'homme égoïste et la reconnaissance de cette liberté est bien davantage la reconnaissance du mouvement sans frein des éléments spirituels et matériels qui forment le contenu de son existence.

C'est pourquoi l'homme n'a pas été libéré de la reli­gion, il a obtenu la liberté de religion. Il n'a pas été libéré de la propriété, il a obtenu la liberté de posséder. Il n'a pas été libéré de l'égoïsme de métier, il a obtenu la liberté d'exercer un métier.

La constitution de l'État politique et la dissolution de la société civile-bourgeoise en individus indépendants — dont les rapports sont le droit, comme les rapports entre membres des états et corporations étaient le privi­lège — s'accomplissent en un seul et même acte. L'homme tel qu'il est comme membre de la société civile-bour­geoise, l'homme apolitique apparaît nécessairement comme l'homme naturel. Les Droits de l'homme appa­raissent comme droits naturels, dès lors que l'activité consciente d'elle-même se concentre dans l'acte politique. L'homme égoïste est le résultat passif, donné d'avance, de la société dissoute, objet de la certitude immédiate, donc objet naturel. La révolution politique décompose la vie civile en ses éléments sans révolutionner ces éléments eux-mêmes ni les soumettre à la critique. Elle ne se rapporte à la société civile-bourgeoise, au monde des besoins, du travail, des intérêts privés, du droit privé, que comme au fondement de son existence, à une présupposition qui n'est pas à fonder davantage, donc comme à sa base naturelle.

En fin de compte, l'homme tel qu'il est comme membre de la société bourgeoise passe pour l'homme authentique, pour l'homme distinct du citoyen, parce qu'il est l'homme dans son existence sensible individuelle la

plus proche, alors que l'homme politique n'est que l'homme abstrait, artificiel, l'homme comme allégorie, personne morale.

Rousseau décrit très justement ainsi l'abstraction qu'est l'homme politique : « Celui qui ose entreprendre d'insti­tuer un peuple doit se sentir en état de changer 1 pour ainsi dire la nature humaine, de transformer chaque indi­vidu, qui par lui-même est un tout parfait et solitaire, en partie d'un plus grand tout dont cet individu reçoive en quelque sorte sa vie et son être, [d'altérer la constitution de l'homme pour la renforcer 2 ;] de substituer une exis­tence partielle et morale à l'existence physique et indépen­dante que nous avons tous reçue de la nature. Il faut [en un mot] qu'il ôte à l'homme ses forces propres pour lui en donner qui lui soient étrangères et dont il ne puisse faire usage sans le secours d'autrui. «

Toute émancipation consiste à ramener le monde humain et ses conditions à l'homme lui-même.

L'émancipation politique est la réduction de l'homme d'une part au membre de la société civile-bourgeoise, à l'individu égoïste indépendant, de l'autre au citoyen, à la personne morale.

1.  Tous les mots soulignés dans cette citation le sont par Marx. (Note de Lucien Sève.)

2.  Je rajoute entre crochets des membres de phrase omis dans la citation de Rousseau que fait Marx. (Note de Lucien Sève.)

8. Tocqueville, porte-parole de la peur libérale du communisme et du socialisme (1848)

Alexis de Tocqueville, Discours prononcé devant la Chambre sur le « droit au travail «, 12 septembre 1848, in Œuvres complètes, Lévy frères, 1866, t. IX, p. 537-539.

Par sa dernière rédaction, la Commission se borne à imposer à la société le devoir de venir en aide, soit par le travail, soit par le secours proprement dit et dans les mesures de ses ressources, à toutes les misères ; en disant cela, la Commission a voulu, sans doute, imposer à l'État un devoir plus étendu, plus sacré que celui qu'il s'était imposé jusqu'à présent ; mais elle n'a pas voulu faire une chose absolument nouvelle : elle a voulu accroître, consa­crer, régulariser la charité publique, elle n'a pas voulu faire autre chose que la charité publique. L'amendement, au contraire, fait autre chose, et bien plus ; l'amende­ment, avec le sens que les paroles qui ont été prononcées et surtout les faits récents lui donnent, l'amendement qui accorde à chaque homme en particulier le droit général, absolu, irrésistible, au travail, cet amendement mène nécessairement à l'une de ces conséquences : ou l'État entreprendra de donner à tous les travailleurs qui se pré­senteront à lui l'emploi qui leur manque, et alors il est entraîné peu à peu à se faire industriel ; et comme il est l'entrepreneur d'industrie qu'on rencontre partout, le seul qui ne puisse refuser le travail, et celui qui d'ordinaire impose la moindre tâche, il est invinciblement conduit à se faire le principal, et bientôt, en quelque sorte, l'unique entrepreneur de l'industrie. Une fois arrivé là, l'impôt n'est plus le moyen de faire fonctionner la machine du gouvernement, mais le grand moyen d'alimenter l'indus­trie. Accumulant ainsi dans ses mains tous les capitaux

des particuliers, l'État devient enfin le propriétaire unique de toutes choses. Or, cela c'est le communisme. (Sensation.)

Si, au contraire, l'État veut échapper à la nécessité fatale dont je viens de parler, s'il veut, non plus par lui-même et par ses propres ressources, donner du travail à tous les ouvriers qui se présentent, mais veiller à ce qu'ils en trouvent toujours chez les particuliers, il est entraîné fatalement à tenter cette réglementation de l'industrie qu'adoptait, si je ne me trompe, dans son système, l'honorable préopinant. Il est obligé de faire en sorte qu'il n'y ait pas de chômage ; cela le mène forcément à distri­buer les travailleurs de manière à ce qu'ils ne se fassent pas concurrence, à régler les salaires, tantôt à modérer la production, tantôt à l'accélérer, en un mot, à le faire le grand et unique organisateur du travail. (Mouvement.)

Ainsi, bien qu'au premier abord la rédaction de la Commission et celle de l'amendement semblent se tou­cher, ces deux rédactions mènent à des résultats très contraires ; ce sont comme deux routes qui, partant d'abord du même point, finissent par être séparées par un espace immense : l'une aboutit à une extension de la charité publique ; au bout de l'autre, qu'aperçoit-on ? Le socialisme. (Marques d'assentiment.)

Ne nous le dissimulons pas, on ne gagne rien à ajour­ner des discussions dont le principe existe au fond même de la société, et qui, tôt ou tard, apparaissent d'une manière ou d'une autre, tantôt par des paroles et tantôt par des actes, à la surface. Ce dont il s'agit aujourd'hui, ce qui se trouve à l'insu peut-être de son auteur, mais ce que je vois du moins pour mon compte, avec la clarté du jour qui m'éclaire, au fond de l'amendement de l'honorable M. Mathieu, c'est le socialisme... (Sensation prolongée. Murmures à gauche.)

Oui, messieurs, il faut que tôt ou tard cette question du socialisme, que tout le monde redoute et que personne,

jusqu'à présent, n'ose traiter, arrive enfin à cette tribune ; il faut que cette Assemblée la tranche, il faut que nous déchargions le pays du poids que cette pensée du socia­lisme fait peser, pour ainsi dite, sur sa poitrine ; il faut que, à propos de cet amendement, et c'est principalement pour cela, je le confesse, que je suis monté à cette tribune, la question du socialisme soit tranchée ; il faut qu'on sache, que l'Assemblée nationale sache, que la France tout entière sache si la révolution de Février est ou non une révolution socialiste. (Très bien !)

9. Lutte des classes et révolution communiste : vers la dictature du prolétariat (1890)

Marx et Engels, Manifeste du parti communiste, op. cit., II, trad. Émile Bottigelli, p. 100-102.

La révolution communiste est la rupture la plus radi­cale avec les rapports de propriété traditionnels ; rien d'étonnant à ce que la marche de son développement entraîne la rupture la plus radicale avec les idées tradi­tionnelles.

Mais laissons là les objections de la bourgeoisie contre le communisme.

Nous avons déjà vu plus haut que le premier pas des ouvriers vers la révolution, c'est le prolétariat s'érigeant en classe dominante, la conquête de la démocratie.

Le prolétariat utilisera sa domination politique pour arracher peu à peu à la bourgeoisie tout capital, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l'État, c'est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour accroître le plus vite possible la masse des forces de production.

Cela ne peut naturellement se faire tout d'abord qu'au moyen d'interventions despotiques dans le droit de pro­priété et dans les rapports de production bourgeois, donc grâce à des mesures qui apparaissent économiquement insuffisantes et insoutenables, mais qui, au cours du mouvement, tendent à se dépasser elles-mêmes et qui sont inévitables comme moyen de bouleverser tout le mode de production.

Ces mesures seront naturellement différentes selon les divers pays.

Pour les pays les plus développés toutefois, les mesures suivantes pourront être assez généralement appli­quées :

1.   Expropriation de la propriété foncière et utilisation de la rente foncière pour les dépenses de l'État ;

2.  Impôt progressif et élevé ;

3.  Abolition du droit d'héritage ;

4.   Confiscation de la propriété de tous les émigrés et rebelles ;

5.   Centralisation du crédit entre les mains de l'État au moyen d'une banque nationale à capital d'État et à monopole exclusif ;

6.   Centralisation de tous les transports entre les mains de l'État ;

7.  Multiplication des usines nationales, des instru­ments de production, défrichement et amélioration des terres selon un plan commun ;

8.   Obligation de travail égale pour tous, constitution d'armées industrielles, en particulier pour l'agriculture ;

9.  Union entre le travail agricole et le travail indus­triel, mesures visant à faire disparaître peu à peu l'opposi­tion de la ville et de la campagne ;

10.    Éducation publique et gratuite de tous les enfants. Suppression du travail des enfants en usine sous sa forme actuelle. Combinaison de l'éducation et de la production matérielle, etc., etc.

Une fois que les différences de classes auront disparu au cours du développement et que toute la production sera concentrée entre les mains des individus associés, les pouvoirs publics perdront leur caractère politique. Le pouvoir politique au sens propre est le pouvoir organisé d'une classe pour l'oppression d'une autre. Lorsque dans la lutte contre la bourgeoisie le prolétariat s'unit nécessai­rement en une classe, qu'il s'érige en classe dirigeante par une révolution et que, classe dirigeante, il abolit par la violence les anciens rapports de production, il abolit du même coup les conditions d'existence de l'opposition des classes, des classes en général et par suite sa propre domi­nation de classe.

À la vieille société bourgeoise avec ses classes et ses oppositions de classes se substitue une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condi­tion du libre développement de tous.

EXTRAITS

1. Résumé de la théorie de la libido (1924)

Sigmund Freud, Trois Essais sur la théorie sexuelle,

trad. Fernand Cambon, Flammarion,

« Champs classiques «, 2011, p. 218-221.

Nous avons fixé pour notre usage le concept de libido au sens d'une force quantitativement variable, susceptible de mesurer des processus et les transpositions dans le domaine de l'excitation sexuelle. Cette libido, nous la distinguons de l'énergie qu'il convient de supposer géné­ralement aux processus psychiques, compte tenu de son origine particulière ; et nous lui conférons ainsi égale­ment un caractère qualitatif. En distinguant entre énergie libidinale et énergie psychique autre, nous exprimons la présupposition que les processus sexuels de l'organisme différent des processus nutritifs par un chimisme particu­lier. L'analyse des perversions et des psychonévroses nous a permis d'apercevoir que cette excitation sexuelle n'est pas fournie par les seules parties dites sexuelles, mais par tous les organes du corps. Nous formons donc pour nous la représentation d'un quantum de libido, dont nous appelons la représentation libido moïque [tournée vers le moi], dont la production, l'augmentation ou la diminu­tion, la répartition et le déplacement sont censés nous

fournir les possibilités d'explication des phénomènes psy-chosexuels observés.

Toutefois, cette libido moïque ne devient commodé­ment accessible à l'étude psychanalytique que quand elle a trouvé une utilisation psychique propre à investir des objets sexuels, soit quand elle est devenue libido objectale [tournée vers un objet extérieur]. Nous la voyons alors se concentrer sur des objets, se fixer sur eux, ou encore quit­ter ces objets, passer d'eux à d'autres, et guider à partir de ces positions l'activité sexuelle de l'individu, laquelle conduit à la satisfaction, c'est-à-dire à l'extinction par­tielle et temporaire de la libido. La psychanalyse de ce qu'on appelle névroses de transfert (hystérie et névrose obsessionnelle) nous permet d'en avoir un aperçu assuré.

Quant aux destins de la libido, nous pouvons encore repérer qu'elle est retirée des objets, maintenue en sus­pens en des états de tension particuliers, et finalement ramenée dans le moi, de sorte qu'elle est redevenue libido moïque. La libido moïque, nous l'appelons aussi, par opposition à la libido objectale, libido narcissique. [...] La libido narcissique ou moïque nous apparaît comme le grand réservoir à partir duquel les investissements d'objets sont émis et dans lequel ils sont réabsorbés ; l'investissement libidinal narcissique nous apparaît comme l'état originaire réalisé dans la première enfance, état qui n'est que masqué par les émissions ultérieures de la libido, s'étant au fond maintenu derrière celles-ci.

La tâche d'une théorie libidinale des troubles névro­tiques et psychotiques devrait consister à exprimer tous les phénomènes observés et tous les processus induits dans les termes de l'économie libidinale.

2. La culpabilité et l'emprise du surmoi (1930)

Sigmund Freud, Le Malaise dans la culture, trad. Dorian Astor, 2010, GF-Flammarion, p. 152-153.

Nous connaissons donc deux origines au sentiment de culpabilité, celle qui naît de la peur de l'autorité et celle, plus tardive, qui naît de la peur du surmoi. Le premier contraint à renoncer aux satisfactions pulsionnelles, le second pousse en outre à la punition, puisqu'on ne peut cacher au surmoi la persistance de ses désirs interdits. Nous avons vu aussi comment on peut comprendre la sévérité du surmoi, donc l'exigence de la conscience morale. Elle prolonge simplement la sévérité de l'autorité extérieure relayée et en partie remplacée par elle. Nous voyons à présent quelle est la relation du renoncement pulsionnel à la conscience de culpabilité. À l'origine, le renoncement pulsionnel est en effet la conséquence de la peur de l'autorité extérieure [des parents] ; on renonce à des satisfactions afin de ne pas perdre son amour. Si l'on est parvenu à ce renoncement ; on est pour ainsi dire quitte avec elle, il ne devrait subsister aucun sentiment de culpabilité. Il en est autrement dans le cas de la peur du surmoi. Ici, le renoncement pulsionnel n'aide pas suf­fisamment, car le désir demeure et ne saurait se dissimu­ler devant le surmoi. Un sentiment de culpabilité surviendra malgré le succès du renoncement, et ceci est un grand inconvénient économique de l'instauration du surmoi, ou pour le dire autrement, de la formation de la conscience morale. Désormais, le renoncement pulsion­nel n'a plus un plein effet libérateur, l'abstinence ver­tueuse n'est plus récompensée par l'assurance de l'amour ; contre un malheur extérieur menaçant — perte d'amour et punition de la part de l'autorité extérieure —, on a échangé un malheur intérieur permanent, la tension de la conscience de culpabilité.

3. Toutes ces « petites choses « qui nous trahissent (1910)

Sigmund Freud, Sur la psychanalyse. Cinq Leçons données à la Clark University, trad. Fernand Cambon, Flammarion, « Champs classiques «, 2010, III, p. 123-125.

D'après ce qui a été dit jusqu'ici, vous pouvez facile­ment comprendre comment l'interprétation des rêves, quand elle n'est pas rendue trop difficile par les résis­tances du malade, conduit à la connaissance de ses sou­haits cachés et refoulés et des complexes qu'ils nourrissent ; et je peux passer au troisième groupe de phénomènes psychiques dont l'étude est devenue un moyen technique pour la psychanalyse.

Il s'agit des petits actes manqués de personnes nor­males autant que nerveuses, auxquels on n'accorde habi­tuellement pas d'importance, l'oubli de choses qu'elles pourraient savoir et que, d'autres fois, elles savent d'ailleurs effectivement (par exemple des noms propres qui se dérobent temporairement), le lapsus linguae, qui nous arrive si fréquemment à nous-mêmes, pareillement, le lapsus calmi et le lapsus de lecture, le geste manqué lors de manipulations et la perte ou le bris d'objets, etc., toutes choses pour lesquelles on ne cherche pas habituel­lement de détermination psychique, et qu'on laisse passer sans y trouver à redire au titre de résultats fortuits, d'effets de la distraction, de l'inattention ou de condi­tions semblables. À cela s'ajoutent encore les actions et gestes qu'exécutent les humains sans même y prendre garde — il faut s'attendre encore moins à ce qu'ils leur attachent une portée psychique —, tels que jouer avec les objets, les tripoter, fredonner des mélodies, manipuler son propre corps, ses vêtements et autres choses sem‑

blables. Ces petites choses, actes manqués comme actions symptomatiques et fortuites, ne sont pas autant dépourvues de signification qu'on est disposé à l'admettre par une sorte d'accord tacite. Elles sont tout à fait pleines de sens, la plupart du temps faciles à interpréter avec certitude à partir de la situation dans laquelle elles se produisent, et il apparaît qu'elles expriment à leur tour des impulsions et des intentions qui doivent être remisées, dissimulées à la conscience propre, ou qu'elles sont justement issues des mêmes motions de souhaits et complexes refoulés que ceux dont nous avons déjà fait connaissance en tant que créateurs des symptômes et façonneurs des rêves. Ils méritent donc d'être mis au rang de symptômes, et leur examen attentif peut, comme celui des rêves, conduire à mettre au jour ce qui est dissimulé dans la vie de l'âme. Grâce à eux, l'homme trahit en général les plus intimes de ses secrets. S'ils surgissent avec une facilité et une fré­quence particulières, même chez la personne saine, qui a très bien réussi à refouler ses motions inconscientes, ils le doivent à leur caractère anodin et inapparent. Mais ils peuvent prétendre à une haute valeur théorique, dans la mesure où ils avèrent l'existence du refoulement et de la formation substitutive, même dans les conditions de la bonne santé.

4. La charge érotique des rêves (1901)

Sigmund Freud, Sur le rêve, trad. Fernand Cambon, Flammarion, « Champs classiques «, 2010, chap. xii, p. 157-162.

Quiconque se tient fermement au point de vue de la censure comme motif principal de la déformation du rêve

ne sera pas déconcerté en apprenant à partir des résultats de l'interprétation du rêve que la plupart des rêves des adultes sont ramenés par l'analyse à des souhaits érotiques. Cette affirmation ne vise pas les rêves à contenu sexuel non voilé, qui sont sans doute connus de tous les rêveurs à partir de leurs propres expériences vécues et qui sont habituellement les seuls à être décrits comme « rêves sexuels «. De tels rêves présentent encore pas mal d'aspects déconcertants, de par le choix des personnes dont ils font des objets sexuels, la mise au rancart de toutes les barrières face auxquelles le rêveur met le holà, dans la vie éveillée, à ses besoins sexuels, et de par bien des détails singuliers qui évoquent tout ce qu'on nomme pervers. Mais l'analyse montre que beaucoup d'autres rêves, qui ne laissent rien deviner d'érotique dans leur contenu manifeste, sont démasqués par le travail inter­prétatif comme étant des accomplissements de souhaits sexuels, et que, d'autre part, un très grand nombre de pensées que le travail du penser vigile laisse derrière lui au titre de « restes diurnes « ne parviennent à être présen­tées dans le rêve que moyennant le recours à des souhaits érotiques refoulés.

Afin d'élucider cet état de fait qui ne répond pas à un postulat théorique, il convient de rappeler qu'aucun groupe de pulsions autre que justement celui des pulsions sexuelles n'a subi une répression aussi ample de par les exigences de l'éducation à la culture, mais aussi que ce sont les pulsions sexuelles qui, chez la plupart des humains, s'entendent le mieux à se soustraire aux instances psychiques suprêmes. Depuis que nous avons fait la connaissance de la sexualité infantile, souvent si peu apparente dans ses manifestations, régulièrement inaperçue et sujette à méprise, nous sommes justifiés à dire que presque chaque homme civilisé a conservé sur un point quelconque la forme infantile de la vie sexuelle, et nous comprenons ainsi que les souhaits sexuels infan‑

tiles refoulés sont les forces pulsionnelles les plus fré­quentes et les plus fortes qui contribuent à la formation des rêves.

Si le rêve qui exprime des souhaits érotiques peut réus­sir à avoir, dans son contenu manifeste, des allures inno­cemment asexuelles, cela ne peut devenir possible que d'une manière. Le matériel de représentations sexuelles n'est pas autorisé à être présenté comme tel ; il doit au contraire être remplacé dans le contenu du rêve par des suggestions, des allusions et autres modes de présentation indirecte ; cependant, à la différence d'autres cas de pré­sentation indirecte, il faut que celle qui est utilisée dans le rêve soit soustraite à la compréhensibilité immédiate. On s'est habitué à qualifier les moyens de présentation qui répondent à ces conditions de symboles de ce qui est présenté par eux. On leur a porté un intérêt particulier depuis qu'on a remarqué que les dormeurs parlant la même langue se servent des mêmes symboles, voire que, dans des cas particuliers, la communauté symbolique outrepasse la communauté linguistique. Les rêveurs ne connaissant pas eux-mêmes les symboles qu'ils utilisent, cela demeure d'abord une énigme que de savoir d'où sort la relation de ceux-ci à ce qu'ils remplacent et désignent. Mais le fait lui-même est indubitable, et il prend de l'importance pour la technique de l'interprétation du rêve, car, grâce à la connaissance de la symbolique du rêve, il est possible de comprendre le sens d'éléments isolés du contenu du rêve, ou de fragments isolés du rêve, ou bien parfois même le sens de rêves entiers, sans être obligé d'interroger le rêveur quant à ses idées incidentes. Nous approchons ainsi l'idéal populaire d'une traduction du rêve et, d'autre part, nous revenons à la technique interprétative des peuples anciens, dont l'interprétation du rêve était identique à une interprétation par la symbolique.

Bien que les études sur les symboles du rêve soient encore fort éloignées de leur terme, nous pouvons toute­fois défendre avec certitude à leur sujet une série d'affir­mations universelles et d'indications spécifiques. Il y a des symboles qu'on peut presque universellement tra­duire de manière univoque ; ainsi, empereur et impéra­trice (roi et reine) signifient les parents ; les chambres représentent des femmes, les entrées et sorties des pre­mières, les orifices corporels. Le plus grand nombre des symboles du rêve sert à représenter des personnes, des parties du corps et des besognes qui sont marquées d'un intérêt érotique ; en particulier, les organes génitaux peuvent être représentés par un certain nombre de sym­boles souvent très surprenants, et les objets les plus divers se trouvent utilisés aux fins de désignation symbolique des organes génitaux. Quand des armes tranchantes, des objets longs et raides tels que des troncs d'arbres et des bâtons représentent l'appareil génital masculin, quand des armoires, boîtes, voitures, poêles représentent l'abdo­men féminin dans le rêve, nous pouvons comprendre sans plus de façons quel est le tertium comparationis, le trait commun de ces substituts ; mais ce n'est pas une tâche aussi facile avec tous les symboles que de saisir les relations qui font lien. Des symboles tels que l'escalier ou l'acte de monter pour le rapport sexuel, de la cravate pour le membre viril, du bois pour l'abdomen féminin provoquent l'incrédulité tant que nous n'avons pas obtenu l'aperception de la relation symbolique par d'autres voies. Bon nombre des symboles du rêve sont du reste bisexuels ; suivant le contexte, ils peuvent être rapportés à l'appareil génital masculin ou féminin.

5. Le « travail du rêve « (1901)

Sigmund Freud, Sur le rêve, ibid., chap. VIII, p. 135-137.

En réalité, le travail du rêve n'est que le premier repère dans une série de processus psychiques auxquels il convient de ramener la genèse des symptômes hysté­riques, des idées angoissantes, obsessionnelles et déli­rantes. La condensation et surtout le déplacement sont des caractères qu'on ne manque jamais de rencontrer non plus dans ces autres processus. En revanche, le remanie­ment en vue de l'intuition reste le propre du travail du rêve. Si cette élucidation met le rêve en série avec les formations de la pathologie psychique, il nous importera d'autant plus d'apprendre les conditions essentielles de processus tels que la formation du rêve. Nous serons pro­bablement étonnés d'entendre que ni l'état de sommeil ni la maladie ne font partie de ces conditions indispen­sables. Il y a un nombre important de phénomènes de la vie quotidienne des personnes saines, l'oubli, le lapsus linguae, le geste manqué et une certaine classe d'erreurs, qui doivent leur genèse à un mécanisme psychique ana­logue à celui du rêve et des autres termes de la série.

Le noyau du problème se situe dans le déplacement, de loin la plus frappante parmi les diverses opérations du travail du rêve. On s'aperçoit, en se plongeant de manière approfondie dans l'objet, que la condition essentielle du déplacement est de nature purement psychologique ; elle est de l'ordre d'une motivation. On tombe sur sa trace en évaluant des expériences auxquelles on ne peut échapper quand on analyse des rêves. Lors de l'analyse de l'exemple du rêve [plus haut dans le texte original], j'ai dû inter­rompre la communication des pensées du rêve, parce que parmi elles se trouvaient, comme je l'ai avoué, certaines que je préfère garder secrètes devant des étrangers et dont

je ne peux faire part sans manquement grave à certains égards. J'ai ajouté que cela ne servirait à rien de choisir à la place de ce rêve un autre pour en communiquer l'ana­lyse ; à propos de chaque rêve dont le contenu est obscur ou confus, je me heurterais à des pensées du rêve qui requièrent d'être tenues secrètes. Mais si je poursuis l'ana­lyse pour moi-même, sans avoir égard aux autres auxquels une expérience vécue aussi personnelle que mon rêve ne peut bien sûr être nullement destinée, alors je parviens à des pensées qui me surprennent, que je ne connaissais pas en moi, qui ne me sont cependant pas seulement étrangères, mais aussi désagréables, et que je voudrais pour cette raison énergiquement contester, tandis que l'enchaî­nement de pensées qui court à travers l'analyse me les impose impitoyablement. Je ne peux rendre compte de cet état de fait très général qu'en supposant que ces pen­sées ont été effectivement présentes dans ma vie psy­chique, possédant une certaine intensité ou énergie psychique, mais qu'elles se sont trouvées dans une situa­tion psychologique singulière à la suite de laquelle elles n'ont pas pu devenir conscientes. Cet état particulier, je l'appelle refoulement. Je ne peux alors que faire valoir une relation causale entre l'obscurité du contenu du rêve et l'état de refoulement, l'inaptitude à la conscience de quelques-unes des pensées du rêve, et en conclure qu'il faut que le rêve soit obscur afin de ne pas trahir les pensées du rêve prohibées. J'en arrive ainsi au concept de la défor­mation du rêve, qui est l'oeuvre du travail du rêve et qui sert à la dissimulation, l'intention de cacher.

6. La sexualité infantile : une découverte cruciale (1910)

Sigmund Freud, Sur la psychanalyse.

Cinq Leçons données à la Clark University, op. cit.,

IV, p. 132-133 et 136-140.

Existe-t-il donc une sexualité infantile ? demanderez-vous. Est-ce que l'enfance n'est pas plutôt la période de la vie qui est caractérisée par le défaut de pulsion sexuelle ? Non, messieurs, les choses ne se passent certai­nement pas de telle manière que la pulsion sexuelle, à l'époque de la puberté, descend dans les enfants comme, dans l'Évangile, le démon dans les porcs. L'enfant a ses pulsions et activités sexuelles depuis le début ; il les apporte avec lui dans le monde ; et c'est d'elles qu'à tra­vers un développement significatif, riche en étapes, pro­cède ce qu'on appelle la sexualité normale de l'adulte. Il n'est même pas difficile d'observer les manifestations de cette activité sexuelle enfantine ; il faut bien plutôt déployer un art certain pour ne pas la voir ou pour s'en débarrasser par une interprétation. [...]

Laissez tomber vos doutes et accompagnez-moi dans une évaluation de la sexualité infantile à partir des pre­mières années. La pulsion sexuelle de l'enfant s'avère être hautement composite ; elle se laisse dissocier en un grand nombre de composantes qui sont issues de diverses sources. Surtout, elle est encore indépendante de la fonc­tion de procréation, au service de laquelle elle se mettra plus tard. Elle sert à l'obtention de diverses sortes de sensations de plaisir, que nous récapitulons, par le biais d'analogies et de mises en rapport, sous le chef de plaisir sexuel. La source principale du plaisir sexuel infantile est l'excitation appropriée d'endroits déterminés du corps particulièrement stimulables, en dehors des parties géni‑

tales, des orifices buccal, anal et urétral, mais aussi de la peau et d'autres surfaces sensibles. Étant donné qu'en cette première phase de la vie sexuelle enfantine la satis­faction est trouvée sur le corps propre et qu'abstraction est faite d'un objet étranger, nous appelons cette phase, selon un mot forgé par Havelock Ellis, celle de l'auto-érotisme. Nous nommons ces aires importantes pour l'obtention de plaisir sexuel zones érogènes. Le suçote-ment ou succion délectable des plus petits enfants est un bon exemple d'une telle satisfaction autoérotique à partir d'une zone érogène ; le premier observateur scientifique de ce phénomène, un pédiatre du nom de Lindner à Budapest, l'a déjà correctement interprété comme satis­faction sexuelle et a donné une description exhaustive de son passage à d'autres formes, supérieures, de l'activité sexuelle. Une autre satisfaction sexuelle de cette époque de la vie est l'excitation masturbatoire des parties géni­tales, qui garde une si grande importance pour la vie ultérieure et qui n'est tout simplement jamais surmontée par beaucoup d'individus. Outre ces activités autoéro-tiques et d'autres, se manifestent très tôt chez l'enfant les composantes pulsionnelles du plaisir sexuel ou, comme nous aimons à dire, de la libido, qui présupposent comme objet une personne étrangère. Ces pulsions entrent en scène en couples d'opposés, sous la forme active et passive ; je vous cite, au titre des représentants les plus importants de ce groupe, le plaisir de causer des douleurs (sadisme), avec sa contrepartie passive (maso­chisme), ainsi que le plaisir de voir actif et passif, le désir de savoir apparaissant plus tard comme une ramification du premier des deux, pareillement l'impulsion à l'exhibi­tion artistique et spectaculaire comme une ramification du second. D'autres activités sexuelles de l'enfant tombent déjà sous le point de vue du choix d'objet, lors duquel devient l'enjeu principal une personne étrangère qui doit originairement son importance à la prise en

considération de la pulsion d'autoconservation. Mais la différence sexuelle ne joue pas encore dans cette période enfantine un rôle décisif ; c'est ainsi que vous pouvez attribuer à chaque enfant, sans lui faire tort, un pan de disposition homosexuelle.

Cette vie sexuelle de l'enfant, dissolue, riche en contenu mais dissociée, dans laquelle les pulsions prises une par une vaquent à l'acquisition de plaisir indépen­damment les unes des autres, est toutefois soumise à une récapitulation et une organisation selon deux directions principales, de sorte qu'au terme de l'époque de la puberté le caractère sexuel définitif de l'individu atteint la plupart du temps une constitution achevée. D'une part, les diverses pulsions se subordonnent à la supréma­tie de la zone génitale, de sorte que la vie sexuelle entière entre au service de la procréation et que leur satisfaction ne garde plus d'importance que comme préparation et facilitation de l'acte sexuel proprement dit. D'autre part, le choix d'objet repousse l'autoérotisme, de sorte qu'à présent, dans la vie amoureuse, toutes les composantes de la pulsion sexuelle aspirent à être satisfaites sur la per­sonne aimée. Cependant, toutes les composantes pulsion­nelles originaires ne sont pas admises à participer à cette mise en place définitive de la vie sexuelle. Dès avant l'époque de la puberté, sous l'influence de l'éducation, des refoulements extrêmement énergiques de certaines pulsions ont été imposés, et des puissances psychiques telles que la pudeur, le dégoût, la morale ont été instau­rées, entretenant ces refoulements au titre de gardiens. Quand ensuite, à l'âge de la puberté, surviennent les vives eaux de l'appétence sexuelle, elles trouvent dans les for­mations de réaction ou de résistance psychiques dont nous venons de parler des digues qui leur prescrivent leur écoulement par les voies dites normales et leur rendent impossible de ranimer les pulsions soumises au refoule­ment. Ce sont surtout les motions de plaisir coprophiles

de l'enfance, c'est-à-dire celles qui sont liées aux excré­ments, qui sont le plus radicalement touchées par le refoulement, et ensuite la fixation aux personnes du choix d'objet primitif.

7. Du bon usage des fantasmes : la sublimation (1910)

Sigmund Freud, Sur la psychanalyse.

Cinq Leçons données à la Clark University, ibid.,

y, p. 149-150.

Plus vous pénétrerez profondément dans la patho-genèse de la maladie nerveuse, plus se révélera à vous la connexion des névroses avec d'autres productions de la vie de l'âme humaine, y compris avec les plus précieuses d'entre elles. Cela vous rappellera que nous autres humains, confrontés aux hautes exigences de notre culture et soumis à la pression de nos refoulements inté­rieurs, trouvons la réalité très généralement insatisfai­sante, et entretenons pour cette raison une vie fantasmatique dans laquelle nous aimons à compenser par la production d'accomplissements de souhaits les carences de la réalité. Ces fantasmes contiennent beau­coup d'éléments issus de l'essence constitutionnelle pro­prement dite de la personnalité et aussi de ses motions refoulées au profit de la réalité. L'homme énergique qui connaît le succès est celui qui réussit grâce au travail à transposer dans la réalité les fantasmes nourris par ses souhaits. Là où l'on n'y réussit pas, par suite des résis­tances du monde extérieur et de la faiblesse de l'individu, on se détourne de la réalité ; l'individu se retire dans son monde fantasmatique plus satisfaisant, dont, en cas de

maladie, il transpose le contenu en symptômes. Moyen­nant certaines conditions favorables, il lui reste encore possible de trouver, à partir de ces fantasmes, un autre chemin conduisant dans la réalité, au lieu de devenir durablement étranger à celle-ci en régressant dans l'infan­tile. Quand la personne fâchée avec la réalité est en pos­session du don artistique, qui nous est encore psychologiquement énigmatique, elle peut transposer ses fantasmes, au lieu de symptômes, en créations artistiques, échapper ainsi au destin de la névrose et reconquérir par ce détour la relation à la réalité.

8. Se libérer du refoulement, assumer sa libido et sublimer ses pulsions (1910)

Sigmund Freud, Sur la psychanalyse.

Cinq Leçons données à la Clark University, ibid.,

y, p. 155-157.

Quels sont, de manière générale, les destins des sou­haits inconscients mis au jour par la psychanalyse, par quelles voies nous entendons-nous à les rendre inoffensifs pour la vie de l'individu ? Ces voies, il y en a plusieurs. L'issue la plus fréquente est que ces souhaits sont absor­bés, déjà pendant le travail, par l'activité psychique cor­recte des motions meilleures qui leur font face. Le refoulement est remplacé par la condamnation accomplie avec les meilleurs moyens. Cela est possible parce que nous n'avons en grande partie à éliminer que des consé­quences de stades évolutifs antérieurs du moi. L'individu n'avait en son temps pu mettre sur pied qu'un refoule­ment parce qu'il était alors lui-même encore incomplète­ment organisé et faible ; avec sa maturité et sa force

d'aujourd'hui, il est peut-être capable de dominer impec­cablement ce qui lui hostile. Une deuxième issue possible du travail psychanalytique consiste en ceci que les pul­sions inconscientes dévoilées par la psychanalyse peuvent être désormais orientées vers l'usage adéquat qu'elles auraient déjà dû trouver auparavant dans le cas d'une évolution non perturbée. En effet, l'éradication des motions de souhaits infantiles n'est aucunement le but idéal de l'évolution. De par ses refoulements, le névrosé a perdu beaucoup de sources d'énergie psychique dont l'afflux aurait été très précieux pour la formation de son caractère et pour ses activités vitales. Nous connaissons un processus évolutif beaucoup plus adéquat, ce qu'on appelle sublimation, grâce auquel l'énergie des motions de souhaits infantiles n'est pas barrée, mais reste exploi­table, du fait qu'aux diverses motions est fixé, au lieu du but inutilisable, un but supérieur, qui n'est plus éventuel­lement sexuel. C'est justement une caractéristique parti­culière des composantes de la pulsion sexuelle que de présenter une telle aptitude à la sublimation, à la permu­tation de leur but sexuel avec un but plus éloigné et porteur d'une plus grande valeur sociale. C'est aux contributions énergétiques conquises de cette manière que nous devons probablement les plus hauts succès culturels. Un refoulement survenu trop tôt exclut la sublimation de la pulsion refoulée ; après la levée du refoulement, la voie est à nouveau libre pour la sublimation.

Nous ne devons pas omettre d'envisager aussi la troi­sième des issues possibles de la psychanalyse. Une cer­taine part des motions libidinales refoulées a droit à une satisfaction directe et est censée la trouver dans la vie. Nos exigences culturelles rendent la vie trop difficile pour la plupart des organisations humaines, elles poussent par là à se détourner de la réalité et favorisent la genèse des névroses, sans parvenir à un excédent de gain culturel par

cet excès de refoulement sexuel. Nous ne devrions pas nous forcer à l'élévation jusqu'au point de négliger com­plètement l'animalité originelle de notre nature ; nous ne devons pas non plus oublier que la satisfaction, source de bonheur pour l'individu, ne peut être rayée des buts de notre culture. La plasticité des composantes sexuelles, qui se manifeste dans leur aptitude à la sublimation, peut en effet produire la grande tentation d'atteindre des effets culturels plus grands en renchérissant sans cesse sur leur sublimation. Mais, de même qu'il ne faut pas trop comp­ter transformer par nos machines plus qu'une certaine fraction de la chaleur dépensée en travail mécanique utile, de même nous ne devrions pas trop aspirer à aliéner la pulsion sexuelle à ses fins propres dans toute l'étendue de son énergie. Cela ne saurait réussir, et si la restriction de la sexualité doit être poussée trop loin, cela ne peut entraîner que tous les dommages d'une économie de pillage.

 

 

marx

« 68 1 MARX ET LHYPOTHÈSE COMMUNISTE illusions religieuses et politiques l'exploitation ouverte, cynique, directe et toute crue.

La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités tenues jusqu'ici pour vénérables et considérées avec une piété mêlée de crainte.

Elle a transformé le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, l'homme de science, en salariés à ses gages.

La bourgeoisie a arraché aux relations familiales leur voile sentimental attendrissant et les a ramenées à un pur rapport d'argent.

[ ...

] La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner en permanence les instruments de production, donc les conditions de la production, donc l'ensemble des rap­ ports sociaux.

Le maintien sans changement de l'ancien mode de production était au contraire la condition d'existence première de toutes les classes industrielles antérieures.

Le bouleversement constant de la produc­ tion, l'ébranlement incessant de toutes les conditions sociales, l'insécurité et l'agitation perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les époques antérieures.

Tous les rapports bien établis, figés par la rouille, avec leur cortège d'idées et de conceptions surannées et véné­ rables sont dissous ; tous les rapports nouveaux tombent en désuétude avant d'avoir pu se scléroser.

Toute hiérar­ chie sociale et tout ordre établi se volatilisent, tout ce qui est sacré est profané et les hommes sont enfin contraints de considérer d'un œil froid leur position dans la vie, leurs relations mutuelles.

Pressée par le besoin de débouchés toujours plus éten­ dus pour ses produits, la bourgeoisie se répand sur la terre entière.

Il faut qu'elle s'implante partout, s'installe partout, établisse partout des relations.

Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie a donné une tournure cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays.

Au grand regret des réactionnaires, elle a sapé sous les pieds de l'industrie sa. »

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