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Autonomie de l'idée théorique : le rendement intellectuel substitué à l'économie de pensée.

Publié le 11/05/2011

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Les corps que nous nommons aujourd'hui acide chlorhydrique et chlore, on les nommait encore dans les premières années de ce siècle, après les grandes découvertes de Lavoisier, acide muriatique et acide muriatique oxygéné ; au lieu de dériver le premier du second par une addition d'hydrogène, on faisait dériver le second du premier par une addition d'oxygène, et les chimistes savent que tous les résultats sensibles peuvent logiquement s'expliquer dans l'ancienne comme dans la nouvelle théorie, moyennant que les doses correspondantes d'oxygène et d'hydrogène soient entre elles dans la proportion voulue pour faire de l'eau. Lors donc que MM. Gay-Lussac et Thénard, frappés de beaucoup d'analogies et d'inductions, imaginèrent de considérer l'acide muriatique oxygéné de Lavoisier comme un corps simple, auquel ils donnèrent le nom de chlore, ils modifièrent notablement, par cette idée lumineuse, la philosophie chimique, sans toucher d'ailleurs aux faits positifs dont la science était alors en possession, et sans changer la nature des applications qu'on avait faites jusque-là du chlore et de ses dérivés dans les arts et dans l'industrie. Lorsque plus tard au contraire d'autres chimistes, excités par leurs recherches, découvrirent l'iode et le brome, corps qui ont une si grande parenté chimique avec le chlore, en même temps que leurs découvertes venaient à l'appui de vues théoriques qui avaient fait ériger le chlore en corps simple, elles enrichissaient le domaine de la chimie positive, en multipliaient les applications techniques, et préparaient notamment l'une des plus curieuses inventions de notre époque, celle de la photographie. Les mêmes analogies chimiques qui établissent la parenté du chlore, de l'iode, du brome, et qui font qu'on s'accorde maintenant à les regarder comme autant de corps simples ou de radicaux chimiques, font qu'on est d'accord aussi à admettre l'existence d'un radical de même famille, auquel on donne le nom de fluor, quoiqu'on n'ait pu l'extraire jusqu'ici des corps réputés composés où l'on suppose qu'il se trouve. Tout ce qu'on peut dire du fluor appartient donc à la philosophie chimique et n'appartient pas à la chimie positive. On parviendrait à montrer le fluor comme on montre le chlore, qu'on pourrait encore à la rigueur, et sans contrarier aucun fait positif, dire du fluor ce qu'on disait du chlore avant qu'on eût adopté la théorie de MM. Gay-Lussac et Thé-nard. Ce serait persévérer dans une mauvaise philosophie, mais ce ne serait pas aller contre les données positives de la science. COURNOT.

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