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Buffon, Epoques de la Nature

Publié le 26/04/2011

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Le premier trait de l'homme qui commence à se civiliser est l'empire qu'il sait prendre sur les animaux; et ce premier trait de son intelligence devient ensuite le plus grand caractère de sa puissance sur la nature ; car ce n'est qu'après se les être soumis qu'il a, par leur secours, changé la face de la terre, converti les déserts en guérets et les bruyères en épis. En multipliant les espèces utiles d'animaux, l'homme augmente sur la terre la quantité de mouvement et de vie; il ennoblit en même temps la suite entière des êtres, et s'ennoblit lui-même en transformant le végétal en animal, et tous deux en sa propre substance, qui se répand ensuite par une nombreuse multiplication : partout il produit l'abondance toujours suivie de la grande population; des millions d'hommes existent dans le même espace qu'occupaient autrefois deux ou trois cents sauvages; des milliers d'animaux, où il y avait à peine quelques individus; par lui et pour lui les germes précieux sont les seuls développés; (...) sur l'arbre immense de la fécondité, les branches à fruits seules subsistantes et toutes perfectionnées.    Le grain dont l'homme fait son pain n'est point un don de la nature, mais le grand l'utile fruit de ses recherches et de son intelligence dans le premier des arts; nulle part sur la terre on n'a trouvé de blé sauvage, et c'est évidemment une herbe perfectionnée par ses soins. (...) C'est la plus heureuse découverte que l'homme ait jamais faite, et (...), quelque ancienne qu'on veuille la supposer, elle a néanmoins été précédée de l'art de l'agriculture, fondé sur la science et perfectionné par l'observation.    Si l'on veut des exemples plus modernes et même récents de la puissance de l'homme sur la nature des végétaux, il n'y a qu'à comparer nos légumes, nos fleurs et nos fruits avec les mêmes espèces telles qu'elles étaient il y a cent ans : (...) on verra peut-être avec surprise que les plus belles fleurs de ce temps, renoncules, œillets, tulipes, oreilles-d'ours, etc., seraient rejetées aujourd'hui, je ne dis pas par nos fleuristes, mais par les jardiniers de village. Ces fleurs, quoique déjà cultivées alors, n'étaient pas encore bien loin de leur état de nature : un simple rang de pétales, de longs pistils et des couleurs dures ou fausses, sans velouté, sans variété, sans nuances, tous caractères agrestes de la nature sauvage. (...) Nous pouvons de même donner la date très moderne de nos meilleurs fruits à pépins et à noyaux, tous différents de ceux des anciens, auxquels ils ne ressemblent que de nom.    Tous ces exemples modernes et récents prouvent que l'homme n'a connu que tard l'étendue de sa puissance, et que même il ne la connaît pas encore assez; elle dépend en entier de l'exercice de son intelligence : ainsi, plus il observera, plus il cultivera la nature, plus il aura de moyens pour se la soumettre, et plus de facilités pour tirer de son sein des richesses nouvelles, sans diminuer les trésors de son inépuisable fécondité.    Et que ne pourrait-il pas sur lui-même, je veux dire sur sa propre espèce, si la volonté était toujours dirigée par l'intelligence! Qui sait jusqu'à quel point l'homme pourrait perfectionner sa nature, soit au moral, soit au physique? Y a-t-il une seule nation qui puisse se vanter d'être arrivée au meilleur gouvernement possible, qui serait de rendre tous les hommes, non pas également heureux, mais moins inégalement malheureux, en veillant à leur conservation, à l'épargne de leurs sueurs et de leur sang, par la paix, par l'abondance des subsistances, par les aisances de la vie et les facilités pour leur propagation? Voilà le but moral de toute société qui chercherait à s'améliorer. Et pour la physique, la médecine et les autres arts dont l'objet est de nous conserver, sont-ils aussi avancés, aussi connus que les arts destructeurs enfantés par la guerre? Il semble que de tout temps l'homme ait fait moins de réflexion sur le bien que de recherches pour le mal : toute société est mêlée de l'un et de l'autre; et comme, de tous les sentiments qui affectent la multitude, la crainte est le plus puissant, les grands talents dans l'art de faire du mal ont été les premiers qui aient frappé l'esprit de l'homme; ensuite ceux qui l'ont amusé ont occupé son cœur; et ce n'est qu'après un trop long usage de ces deux moyens de faux honneur et de plaisir stérile, qu'enfin il a reconnu que sa vraie gloire est la science, et la paix son vrai bonheur.    Buffon, Epoques de la Nature (1778).    Vous faites à votre choix le résumé ou l'analyse de ce texte; puis vous tirez de celui-ci un problème auquel vous attachez un intérêt particulier, vous en précisez les données et vous exposez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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