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C'est la discipline de l'abstraction qui fonde l'autonomie de l'effort scientifique.

Publié le 11/05/2011

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scientifique

Pour nous, les phénomènes naturels sont régis par des lois pratiquement nécessaires, c'est-à-dire qui, dans notre expérience courante, ne se démentent jamais ; et pareillement les formes spécifiques des êtres de la nature (minéraux, végétaux, animaux) sont fixes aussi, pratiquement, dans notre expérience actuelle, quelle qu'ait été leur évolution dans le passé, ou qu'elle doive être dans l'avenir. Cette nécessité, cette fixité, sont inscrites, incorporées dans nos concepts, qui, si l'on peut dire, les incarnent. Ce qui nous permet d'opérer logiquement sur les concepts, et de considérer le résultat de ces opérations comme valable pour les êtres et les objets de la nature — d'où la possibilité des sciences, et le succès de leurs applications. Mais ni cette nécessité des lois ni cette fixité des formes ne sont ainsi inséparables des concepts des êtres et des objets dans l'esprit des primitifs. Sans doute ils forment bien aussi des concepts, et ils les incorporent bien aussi à leurs langues. Mais en même temps, en vertu de leur orientation mentale traditionnelle, ils admettent qu'il n'y a rien de physiquement impossible, c'est-à-dire que les puissances surnaturelles peuvent à tout moment intervenir dans le cours ordinaire des choses, l'interrompre ou le modifier. Les concepts ont beau être là : ils n'impliquent plus la nécessité de l'ordre de la nature et la fixité des formes. Les primitifs ne peuvent donc pas en faire le même usage que nous ; il leur est même impossible de se représenter cet usage. Il rentre pour eux dans cet ensemble de pratiques incompréhensibles (et sûrement magiques) qu'ils appellent « manières de blancs «.... Prendre soin de distinguer l'usage logique des concepts, dont nous venons de parler, dans le raisonnement abstrait, — et leur usage simplement pratique, dans la vie quotidienne. La mentalité primitive n'est pas exercée au premier ; l'éducation n'y prépare pas, comme le fait chez nous la tradition orale et surtout l'école (tout l'enseignement procédant d'une façon plus ou moins abstraite, et particulièrement en France, et le calcul, l'arithmétique donnant à tous le maniement de concepts pour ainsi dire idéalement abstraits). Rien de tel chez les primitifs, dont l'aversion pour les problèmes même les plus simples est caractéristique (Junod). Mais ils ont tout comme nous le second usage, purement pratique, des concepts, ce qui revient à dire qu'à ce point de vue leurs langues rendent les mêmes services que les nôtres ; ils n'ont besoin ni de grammaire, ni d'analyses, ni de réflexion d'aucune sorte pour l'emploi qu'ils font comme nous des noms, des verbes, des pronoms, etc. ; de ce point de vue l'abstraction impliquée dans le langage (formation des concepts) se produit avec la spontanéité qui caractérise les fonctions de l'organisme. LÉVY-BRUHL.

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