chacun connaissait déjà la menace : une flotte pacifique formée à Djakarta et qui attendait l'aube pour lever l'ancre vers le paradis blanc.
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« XXXV Clément Dioregarda samontre pourlacentième fois.Ellemarquait minuitmoinsdix.Voilà cinqheures déjàques’étaient tus lesderniers chantsd’ivrognes, souventaccompagnés duchoc sourd d’uncorps fauché parlesommeil etl’alcool. L’une de ces brutes semblait avoirtenulecoup pluslongtemps quelesautres, carvers dixheures dusoir, IrisNan-Chan avait encore gémifaiblement. Toutd’abord, elleavait crié,trèsvite, alors qu’on venait àpeine d’enfermer Diodans cestoilettes du troisième étageoùilgisait depuis quarante heures,réduitàun état deprostration voisindel’hébétude. Puiselleavait hurlé, souvent, maisseshurlements neparvenaient pasàcouvrir lesrires deceux quil’entouraient, enbas, dans lebar de l’hôtel. Ensuite elleavait supplié, etdes bribes deses implorations montaientjusqu’àClément Dioquand s’interrompait un instant l’épouvantable choeurdesvoix ivres. Enfin, elleavait ri,car onavait dûlafaire boire, etson rireméconnaissable avait frappé Dioenplein coeur, leclouant presque inanimé surlesol froid destoilettes, lesyeux secsd’avoir troppleuré. Durant lesdernières heuresducauchemar, lerire d’Iris Nan-Chan s’étaitéteintpeuàpeu pour faireplace àces gémissements queDio percevait nettement, carlevacarme s’étaitapaisé, àla façon d’une tempête comblée parl’excès de ses ravages. Cesilence detombeau n’avaitplusététroublé queparlepassage surlaroute, versonze heures, d’unecolonne de camions descendant àtoute allure verslamer, sansdoute lecommando demarine ducol delaFaye quirejoignait ses positions. Minuitmoinsdix.Dioentendit despasdans l’escalier, puisdans lecorridor quiconduisait àsa prison... Tout avait biencommencé, cependant,endépit desavertissements sarcastiquesducapitaine descommandos demarine. Devant l’hôtelPréjoly, àSaint-Vallier, onavait arrêté savoiture, sansdoute parcequ’elle étaitrouge, étincelante, chromée, hérissée dephares, d’antennes, ettapissée decuir, objet deluxe quelesmalheureux prisonnierspouvaientenfinpalper de leurs doigts troplongtemps privésdetout contact raffiné. Dios’était présenté. Certainsleconnaissaient. Sescampagnes, menées avecsuccès enfaveur del’humanisation radicaledesprisons, l’avaient renducélèbre dansl’univers carcéral.Onse souvenait del’éditorial quiavait faitbasculer lerégime pénitentiaire : « Lesdétenus dedroit commun sontànos yeux des politiques, victimesd’unsystème socialqui,après lesavoir produits, serefuse àles rééduquer etse contente deles avilir et de les rejeter. Nuld’entre nousn’est sûrd’échapper àla prison. Aujourd’hui moinsquejamais carsur notre viedetous les jours, lequadrillage policierseresserre. Onnous ditque lesprisons sontsurpeuplées. Maissic’était lapopulation quiétait emprisonnée ? » Onl’avait acclamé, puisemmené boireunverre àla santé delaliberté. Luietsa femme s’étaient laissé faire debonne grâce,l’expérience lesamusait. Certainsavaientdéjàtropbu,lesArabes etles Noirs enparticulier, lebar était maculé, jonchédebouteilles etde verres brisés, maistoutcela dans uneambiance bonenfant, unpeu comme un14 Juillet célébrant unevraie prisedelaBastille. « Etjustement », avaitdemandé Dio,verre derhum enmain, « comment l’avez-vous prisedel’intérieur, votreBastille ? » Onluiavait raconté. Motifetmoteur : laflotte duGange. Lesdétenus en parlaient beaucoup entreeux,aufoyer delaprison, nemanquaient pasune information, nesautaient pasune ligne de journal. Surune carte dumonde, ilsplantaient chaquesoirunnouveau petitdrapeau. L’aumônier sejoignait souvent àeux, élevant ledébat ainsiquesonrôle l’exigeait. Ilyvoyait unesorte desymbole, unseul messie àun million detêtes. C’était une image simple, propreàémouvoir desreclus hypersensibles quil’avaient aussitôtadoptée. L’ambiance devenaitpresque religieuse, d’unefaçontellement inhabituelle quelesmatons, saisisd’une sortedecrainte superstitieuse, seterraient, assurant commedesombres leservice minimum quotidiendelaprison. Touts’était passétrèssimplement. Àl’issue dela veillée duvendredi saint,alorsquelesgardiens dormaient dansleurs quartiers pourrespecter ladignité dusommeil des détenus, l’aumônier avaitouvert lui-même lesportes delaprison, disantqueleChrist étaitmort pourtousetd’abord pour les larrons... « Ilavait promis qu’illeferait, maisquand même, onn’en revenait pas !Dieu saitoùilest, maintenant ? Je vais vous dire,sile Gange débarque etqu’on lelaisse entrer, iln’y aura pasune porte deprison quirestera fermée cejour- là... » Puisonavait causé. Detout. Delasociété quiestdégueulasse, desbourgeois quisont pourris defric, desouvriers abrutis derrière leursmachines. L’alcoolaidant,leton montait, maischezdeshommes rendusàla vie, cette excitation semblait bienpardonnable. « Moi »,expliquait unjeune gars,« j’avais mismon avenir enéquation : quaranteansàtrimer comme uncon surune machine, outrois minutes àrisquer surungros coup pouremporter lepaquet. J’airisqué, j’aiperdu et on m’a fourré encabane : elleestpas dégueulasse, lasociété ? » Etcemême gars,uneheure plustard, ivre,levisage mauvais : « Bon !C’estpastout ça !Ons’emmerde, ici.Leblablabla, c’estterminé ! Sion semarrait unpeu ? Sion se marrait vraiment, lescopains ? D’abord,onvadanser. Hein !majolie ! » Iln’était plustemps defaire retraite. Lesdétenus se battaient pourdanser, s’arrachant IrisNan-Chan desbras l’undel’autre, sibrutalement quesarobe tombait en lambeaux. Diotenta desefrayer unchemin jusqu’à safemme àtravers lameute enfolie. « Toi, d’abord », ditquelqu’un, « tu n’es qu’un bourgeois pourridefric. Vous avezvusavoiture, àcette ordure ! Vouscroyez qu’ilnous défendait ? Pasdu tout. Ilfaisait monter sontirage etgagnait desmontagnes defric surnotre dos.Aujourd’hui, onserembourse. Allez ! madame ! onpasse àla suite »... Quelques détenuss’interposèrent. Ils’ensuivit unecourte bataille oùles « récupérables » eurent rapidement ledessous. Sansdoute étaient-ils troppeunombreux ? Etl’on conduisit àcoups depied Clément Dio aux toilettes dutroisième étage... Les pass’arrêtèrent devantlaporte. Dioentendit quel’on tournait laclef. L’homme semblaitencoreivre,mais avait repris ses esprits. « Vouspouvez sortirdelà », dit-il d’untonmorne ethésitant, « lafête estfinie. » Ilréfléchit etajouta : « Je crois qu’on s’excuse... Onn’aurait pasdûvous enfermer, nous,desex-prisonniers. Maisfautcomprendre : quandlaroue tourne, fautqu’elle tourne... Heu...Votrefemme estenbas. Jecrois qu’on aété unpeu fortaudébut. Maisrassurez-vous, elle n’est pasabîmée. Elledort. Onluiafait boire unbon coup etaprès cela,toutaété beaucoup mieux.Heu...Moi,jene l’ai pas touchée... Salut ! » L’hôtel empestait levin, letabac etles vomissures froides.Laplupart desvitres étaient cassées, onavait dûlancer des bouteilles autravers. Dansleschambres auxportes ouvertes, desdétenus ronflaient, affaléssurleslits non défaits. Dio »
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