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Cinna Si par l'exemple seul on devait se conduire ; L'un m'invite

Publié le 12/04/2014

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Cinna Si par l'exemple seul on devait se conduire ; L'un m'invite à le suivre, et l'autre me fait peur ; Mais l'exemple souvent n'est qu'un miroir trompeur ; Et l'ordre du destin qui gêne nos pensées N'est pas toujours écrit dans les choses passées : Quelquefois l'un se brise où l'autre est sauvé, Et par où l'un périt, un autre est conservé. Voilà, mes chers amis, ce qui me met en peine. Vous, qui me tenez lieu d'Agrippe et de Mécène, Pour résoudre ce point avec eux débattu, Prenez sur mon esprit le pouvoir qu'ils ont eu : Ne considérez point cette grandeur suprême, Odieuse aux Romains, et pesante à moi-même ; Traitez-moi comme ami, non comme souverain ; Rome, Auguste, l'État, tout est en votre main. Vous mettrez et l'Europe, et l'Asie, et l'Afrique, Sous les lois d'un monarque, ou d'une république : Votre avis est ma règle, et par ce seul moyen Je veux être empereur, ou simple citoyen. CINNA Malgré notre surprise, et mon insuffisance, Je vous obéirai, seigneur, sans complaisance, Et mets bas le respect qui pourrait m'empêcher De combattre un avis où vous semblez pencher. Souffrez-le d'un esprit jaloux de votre gloire, Que vous allez souiller d'une tache trop noire, Si vous ouvrez votre âme à ces impressions Jusques à condamner toutes vos actions. On ne renonce point aux grandeurs légitimes ; On garde sans remords ce qu'on acquiert sans crime ; Et plus le bien qu'on quitte est noble, grand, exquis, Plus qui l'ose quitter le juge mal acquis. N'imprimez pas, seigneur, cette honteuse marque À ces rares vertus qui vous ont fait monarque ; Vous l'êtes justement, et c'est sans attentat Que vous avez changé la forme de l'État. Rome est dessous vos lois par le droit de la guerre Qui sous les lois de Rome a mis toute la terre ; Vos armes l'ont conquise, et tous les conquérants Pour être usurpateurs ne sont pas des tyrans ; Quand ils ont sous leurs lois asservi des provinces, Gouvernant justement, ils s'en font justes princes : C'est ce que fit César ; il vous faut aujourd'hui Condamner sa mémoire, ou faire comme lui. Si le pouvoir suprême est blâmé par Auguste, César fut un tyran, et son trépas fut juste, Et vous devez aux dieux compte de tout le sang Dont vous l'avez vengé pour monter à son rang. ACTE II 13 Cinna N'en craignez point, seigneur, les tristes destinées ; Un plus puissant démon veille sur vos années : On a dix fois sur vous attenté sans effet, Et qui l'a voulu perdre au même instant l'a fait. On entreprend assez, mais aucun n'exécute ; Il est des assassins, mais il n'est plus de Brute ; Enfin, s'il faut attendre un semblable revers, Il est beau de mourir maître de l'univers. C'est ce qu'en peu de mots j'ose dire ; et j'estime Que ce peu que j'ai dit est l'avis de Maxime. MAXIME Oui, j'accorde qu'Auguste a droit de conserver L'empire où sa vertu l'a fait seule arriver, Et qu'au prix de son sang, au péril de sa tête, Il a fait de l'État une juste conquête ; Mais que, sans se noircir, il ne puisse quitter Le fardeau que sa main est lasse de porter, Qu'il accuse par là César de tyrannie, Qu'il approuve sa mort, c'est ce que je dénie. Rome est à vous, seigneur, l'empire est votre bien. Chacun en liberté peut disposer du sien ; Il le peut à son choix garder, ou s'en défaire : Vous seul ne pourriez pas ce que peut le vulgaire, Et seriez devenu, pour avoir tout dompté, Esclave des grandeurs où vous êtes monté ! Possédez-les, seigneur, sans qu'elles vous possèdent. Loin de vous captiver, souffrez qu'elles vous cèdent ; Et faites hautement connaître enfin à tous Que tout ce qu'elles ont est au-dessous de vous. Votre Rome autrefois vous donna la naissance ; Vous lui voulez donner votre toute-puissance ; Et Cinna vous impute à crime capital La libéralité vers le pays natal ! Il appelle remords l'amour de la patrie ! Par la haute vertu la gloire est donc flétrie, Et ce n'est qu'un objet digne de nos mépris, Si de ses pleins effets l'infamie est le prix ! Je veux bien avouer qu'une action si belle Donne à Rome bien plus que vous ne tenez d'elle ; Mais commet-on un crime indigne de pardon, Quand la reconnaissance est au-dessus du don ? Suivez, suivez, seigneur, le ciel qui vous inspire : Votre gloire redouble à mépriser l'empire Et vous serez fameux chez la postérité, Moins pour l'avoir conquis que pour l'avoir quitté. Le bonheur peut conduire à la grandeur suprême, Mais pour y renoncer il faut la vertu même ; Et peu de généreux vont jusqu'à dédaigner, ACTE II 14

« N'en craignez point, seigneur, les tristes destinées ; Un plus puissant démon veille sur vos années : On a dix fois sur vous attenté sans effet, Et qui l'a voulu perdre au même instant l'a fait.

On entreprend assez, mais aucun n'exécute ; Il est des assassins, mais il n'est plus de Brute ; Enfin, s'il faut attendre un semblable revers, Il est beau de mourir maître de l'univers.

C'est ce qu'en peu de mots j'ose dire ; et j'estime Que ce peu que j'ai dit est l'avis de Maxime.

MAXIME Oui, j'accorde qu'Auguste a droit de conserver L'empire où sa vertu l'a fait seule arriver, Et qu'au prix de son sang, au péril de sa tête, Il a fait de l'État une juste conquête ; Mais que, sans se noircir, il ne puisse quitter Le fardeau que sa main est lasse de porter, Qu'il accuse par là César de tyrannie, Qu'il approuve sa mort, c'est ce que je dénie.

Rome est à vous, seigneur, l'empire est votre bien.

Chacun en liberté peut disposer du sien ; Il le peut à son choix garder, ou s'en défaire : Vous seul ne pourriez pas ce que peut le vulgaire, Et seriez devenu, pour avoir tout dompté, Esclave des grandeurs où vous êtes monté ! Possédez-les, seigneur, sans qu'elles vous possèdent.

Loin de vous captiver, souffrez qu'elles vous cèdent ; Et faites hautement connaître enfin à tous Que tout ce qu'elles ont est au-dessous de vous.

Votre Rome autrefois vous donna la naissance ; Vous lui voulez donner votre toute-puissance ; Et Cinna vous impute à crime capital La libéralité vers le pays natal ! Il appelle remords l'amour de la patrie ! Par la haute vertu la gloire est donc flétrie, Et ce n'est qu'un objet digne de nos mépris, Si de ses pleins effets l'infamie est le prix ! Je veux bien avouer qu'une action si belle Donne à Rome bien plus que vous ne tenez d'elle ; Mais commet-on un crime indigne de pardon, Quand la reconnaissance est au-dessus du don ? Suivez, suivez, seigneur, le ciel qui vous inspire : Votre gloire redouble à mépriser l'empire Et vous serez fameux chez la postérité, Moins pour l'avoir conquis que pour l'avoir quitté.

Le bonheur peut conduire à la grandeur suprême, Mais pour y renoncer il faut la vertu même ; Et peu de généreux vont jusqu'à dédaigner, Cinna ACTE II 14. »

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