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Claude LEGOUX. Vers l'oisiveté de masse. (Le Monde)

Publié le 22/03/2011

Extrait du document

   Lorsque les armées romaines eurent commencé la conquête systématique du monde antique, les marchés de la ville virent arriver un flot de plus en plus abondant d'esclaves, hommes et femmes, de tous âges et de toutes conditions. Achetés par les propriétaires fonciers et les entrepreneurs, ils produisirent vivres et marchandises à bien meilleur prix que les paysans et les artisans romains. L'esclave, en effet, capturé adulte, déjà éduqué et formé, mort généralement avant d'avoir perdu sa vigueur et n'ayant d'autres exigences que la nourriture nécessaire à la conservation de sa capacité de travail, ne coûte finalement pas cher, tant que l'on est assuré de pouvoir le remplacer facilement, au fur et à mesure. Les citoyens romains, devenus chômeurs, n'en furent pas pour autant réduits à les misère ou à la révolte. Ils devinrent les rentiers de l'État, qui percevant une taxe sur la production des esclaves et sur le: tributs des provinces conquises, leur versa une allocation, qui permit à chacun de mener une vie oisive, et somme toute assez agréable, mangeant à sa faim et se distrayant : « panem et circences «.    La technologie moderne est en train de fabriquer une multitude d'esclaves mécaniques, qui vont, dans tous les domaines de la production et des services, concurrencer avantageusement les travailleurs humains. Rares seront les activités qu'un automate, commandé par un ordinateur, ne pourra pas assumer.    Les prototypes à l'essai d'usines presse-boutons ne sont que l'avant-garde qui ne laissera subsister que quelques ingénieurs et quelques balayeurs. Toute la gestion des entreprises et des administrations sera informatisée. L'agriculture elle-même deviendra une industrie automatisée. Et ce n'est pas de la science-fiction. Tout cela, on sait déjà le faire. Il ne s'agit que de mettre au point la standardisation.    Tout geste répétitif, aussi précis et délicat soit-il, peut être exécuté par un robot. Or la fabrication de n'importe quel objet courant, du verre à boire à l'automobile, depuis la matière première jusqu'au conditionnement, n'est qu'une suite plus ou moins complexe de gestes répétitifs. Naturellement, plus la chaîne est longue, plus elle comporte de sous-ensembles, et plus elle nécessite d'investissements, et doit donc s'amortir sur un plus grand nombre d'unités. Un robot, d'ailleurs, n'aura que peu de rapports avec les silhouettes humanoïdes popularisées par les romans, car il se définit comme un couple : machine-ordinateur.    Il en sera des opérations mentales répétitives comme des gestes répétitifs. Elles seront effectuées par des robots intellectuels, qui, rivalisant déjà avec les meilleurs joueurs d'échecs, remplaceront fort bien la plupart des employés de bureau, et pas seulement ceux de la base. Une bonne part des décisions leur seront confiées.    Il restera toutefois quelques problèmes importants à résoudre. En tout premier lieu, il faudra absorber la production des esclaves-mécaniques. Car il est évident que, si le propriétaire, rivé ou collectif, d'une usine travaillant pratiquement toute iule ne paye aucun salarié, et si la plupart des autres usines sont dans le même cas, personne ne pourra plus acheter les marchandises produites. II faudra donc que la collectivité verse à chacun des citoyens une rente, perçue sur la production des robots. La population sera constituée d'une masse d'oisifs, percevant une sorte de minimum vital, et d'une minorité de travailleurs, aux confortables émoluments. Car ne travailleront que ceux qui en seront capables, et qui seront motivés, soit par l'attrait intrinsèque de leur tâche, soit par un salaire élevé.    Mais alors un second problème découlera de la solution du premier. Que feront les oisifs de leur temps ? Ce sera, sur une plus grande échelle, le problème qui se posait aux aristocraties de naguère. Il est probable qu'un bon nombre de ces nouveaux rentiers sombreront dans l'alcool, la drogue, la débauche, la délinquance, ou simplement la folie. Mais d'autres se livreront à des activités artistiques ou ludiques1, qui suffiront à meubler leur existence. De toute façon, la production des génies et des imbéciles ne devrait pas beaucoup varier. Quant à la proportion des asociaux, elle croîtra ou s'amenuisera, dans la mesure où l'organisation politique se montrera plus ou moins répressive.    Le dernier problème sera celui des rapports avec le tiers monde. La prise en charge par l'Occident de l'intégration progressive de ces peuples à la civilisation des loisirs serait parfaitement concevable. Mais il y faudrait un grand courage, une grande abnégation et une grande lucidité. Toutes qualités qui ne sont pas à la hauteur de l'intelligence des civilisés. Bien rares seront ceux qui envisageront avec sang-froid de passer leur temps et de risquer leur vie, sans le moindre espoir de gratitude, pour faire le bonheur, malgré eux, de gens qui ne les comprendront pas.    Il est à craindre que l'élimination des gêneurs et des bouches inutiles — sans intervention directe, d'ailleurs, par simple abstention, en laissant se creuser toujours un peu plus le fossé qui sépare déjà les peuples riches des peuples pauvres — ne paraisse la solution la plus facile. Car si l'oisif insatisfait se réfugie volontiers dans des dérivatifs aberrants, l'oisif comblé se mure facilement dans un égoïsme implacable. A moins que ce nouvel environnement ne finisse à la longue par favoriser le: mutations altruistes. Mais alors il s'agirait d'une autre espèce l'homo sapiens étant définitivement remplacé par l'homo moralis.    Vous ferez de ce texte soit un résumé, soit une analyse. Vous indiquerez nettement en tête de l'exercice le mot résumé ou le mot analyse.    Vous choisirez ensuite dans le texte un problème qui offre une réelle consistance et auquel vous attachez un intérêt particulier. Vous en formulerez l'énoncé et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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