Claude ROY. Ce que le patrimoine culturel nous enseigne. (Clefs pour la Chine.)
Publié le 22/03/2011
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L'archéologie, le respect des vieilles pierres, des vieux textes, des vieux livres est un sentiment relativement moderne. Le palimpseste1 superpose à un texte effacé un texte nouveau, et détruit pour créer. Le maître d'œuvre roman détruit une basilique antique pour bâtir à neuf, et plus beau. Il y a dans la santé des grandes civilisations naissantes un irrespect total du vieux, du démodé, du dépassé. Le conservateur de musée est un personnage récent. Le culte de l'ancien peut être le signe d'un affaiblissement de vitalité, d'un repliement frileux et avaricieux sur ce qui fut. Mais le respect de l'héritage des âges révolus est-il, en soi, une régression ou un progrès? C'est un progrès. Il serait artificiel et sot de prétendre retrouver l'indifférence joviale du bâtisseur de jadis pour ce qui l'encombrait qu'il abattait pour rebâtir, pour repartir à neuf. Le chrétien des premiers âges pouvait bien jeter aux ordures les livres païens et mépriser la culture du lettré patricien2. Mais nous ne saurions l'imiter sans tomber dans la niaiserie. On n'est pas sur commande primitif, ni artificiellement candide et glorieusement barbare. (...) L'amour des choses, non pas seulement pour ce qu'elles représentent, mais pour la beauté qu'elles transmettent, est peut-être un sentiment qu'ignoraient les imagiers des cathédrales, les sculpteurs fétichistes du Mexique ou d'Afrique — mais c'est un sentiment que l'homme d'aujourd'hui, si fruste et si inculte soit-il, possède désormais. Le sentiment esthétique est-il un enrichissement ou un appauvrissement de l'esprit humain? C'est un enrichissement. Prétendre retrouver, épouser la candeur d'un homme des âges de foi pure, est un jeu ridicule et vain. Nous sommes nés tels : hommes pour qui les œuvres d'art ne servent pas seulement à prier le ciel, conjurer les démons ou honorer les rois — mais à donner de la joie. (...) On n'a pas le droit de mettre tout le passé dans un même sac, et de jeter le sac à l'eau. L'artiste de jadis a pu mettre son talent ou son génie au service de l'oppression et des ténèbres. Mais jusque dans sa volonté de servir des valeurs que le présent refuse, il lui est arrivé de signifier autre chose, et davantage, que ce qu'il prétendait dire. Il n'y a pas que Balzac qui ait voulu créer, à la lumière de deux flambeaux, l'Église et la monarchie, et qui, en réalité, ait exprimé bien plus que ce qu'il croyait. L'ignorance ou le mépris du passé expliquent quelques i défauts, lacune ou insuffisance de la littérature ou de l'art ! révolutionnaires. Il arrive que, dans des œuvres contemporaines comme dans celles d'autrefois, on ait tendance à retenir, I soutenir et répandre celles-là seules dont l'actualité est évidente, la fonction claire, la forme assimilable par tous sans effort, le contenu simple et pratique, et le message urgent. C'est sans doute définir là quelques-unes des plus grandes œuvres de l'esprit humain. Quoi de plus direct, de plus immédiat, de plus simple, de plus facile d'accès — pour nous borner à la littérature — quoi de plus généralement et instantanément populaire, et classique, que Don Quichotte ou les Misérables ?... Mais il arrive aussi que la grande œuvre destinée à devenir populaire et classique se heurte longtemps à l'incompréhension et à la résistance de son public. (...) Ce que le patrimoine culturel nous enseigne, c'est la patience et la modestie, le sens des nuances et le respect parfois nécessaire des tâtonnements qui seront un jour féconds, des œuvres difficiles qui seront un jour aisées, des œuvres individuelles qui seront un jour le bien de tous. Ce que les œuvres du passé exigent de nous, c'est notre amitié critique, un effort de compréhension autant qu'une volonté de choix, l'absence de hâte à démêler les fils d'or de la paille morte... Vous ferez d'abord, suivant votre préférence, soit un résumé, soit une analyse de ce texte. Puis vous en dégagerez un problème auquel vous attachez un intérêt particulier, vous en préciserez les données et exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.
Liens utiles
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