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COMME UN DERNIER RAYON

Publié le 12/08/2011

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Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre Animent la fin d'un beau jour, Au pied de l'échafaud j'essaye encore ma lyre. Peut-être est-ce bientôt mon tour. Peut-être avant que l'heure en cercle promenée Ait posé sur l'émail brillant, Dans les soixante pas où sa route est bornée, Son pied sonore et vigilant, Le sommeil du tombeau pressera ma paupière. Avant que de ses deux moitiés Ce vers que je commence ait atteint la dernière, Peut-être en ces murs effrayés Le messager de mort, noir recruteur des ombres, Escorté d'infâmes soldats, Ebranlant de mon nom ces longs corridors sombres, Où seul dans la foule à grands pas J'erre, aiguisant ces dards persécuteurs du crime, Du juste trop faibles soutiens, Sur mes lèvres soudain va suspendre la rime; Et chargeant mes bras de liens, Me traîner amassant en foule à mon passage Mes tristes compagnons reclus, Qui me connaissaient tous avant l'affreux message, Mais qui ne me connaissent plus. Eh bien! j'ai trop vécu. Quelle franchise auguste, De mâle constance et d'honneur Quels exemples sacrés, doux à l'âme du juste, Pour lui quelle ombre de bonheur, Quelle Thémis terrible aux têtes criminelles, Quels pleurs d'une noble pitié, Des antiques bienfaits quels souvenirs fidèles, Quels beaux échanges d'amitié, Font digne de regrets l'habitacle des hommes? La peur fugitive est leur Dieu; La bassesse; la feinte Ah! Lâches que nous sommes Tous, oui, tous. Adieu, terre, adieu. Vienne, vienne la mort! — Que la mort me délivre! Ainsi donc mon coeur abattu Cède au poids de ses maux? Non, non. Puissé-je vivre! Ma vie importe à la vertu. Car l'honnête homme enfin, victime de l'outrage, Dans les cachots, près du cercueil, Relève plus altiers son front et son langage, Brillants d'un généreux orgueil. S'il est écrit aux cieux que jamais une épée N'étincellera dans les mains, Dans l'encre et l'amertume une autre arme trempée Peut encor servir les humains. Justice, Vérité, si ma main, si ma bouche, Si mes pensers les plus secrets Ne froncèrent jamais votre sourcil farouche, Et si les infâmes progrès, Si la risée atroce, ou, plus atroce injure, L'encens de hideux scélérats . Ont pénétré vos coeurs d'une longue blessure,. Sauvez-moi. Conservez un bras Qui lance votre foudre, un amant qui vous venge. Mourir sans vider mon carquois! Sans percer, sans fouler, sans pétrir de leur fange Ces bourreaux barbouilleurs de lois,  

Ces vers cadavéreux de la France asservie, Egorgée! O mon cher trésor, O ma plume! fiel, bile, horreur, Dieux de ma vie! Par vous seuls je respire encor : Comme la poix brûlante agitée en ses veines Ressuscite un flambeau mourant, Je souffre; mais je vis. Par vous loin de mes peines, D'espérance un vaste torrent Me transporte. Sans vous, comme un poisson livide, L'invisible dent du chagrin, Mes amis opprimés, du menteur homicide Les succès, le sceptre d'airain; Des bons proscrits par lui la mort ou la ruine, L'opprobre de subir sa loi, Tout eût tari ma vie; ou contre ma poitrine Dirigé mon poignard. Mais quoi! Nul ne resterait donc pour attendrir l'histoire Sur tant de justes massacrés? Pour consoler leurs fils, leurs veuves, leur mémoire, Pour que des brigands abhorrés Frémissent aux portraits noirs de leur ressemblance, Pour descendre jusqu'aux enfers Nouer le triple fouet, le fouet de la vengeance, Déjà levé sur ces pervers? Pour cracher sur leurs noms, pour chanter leur supplice? Allons, étouffe tes clameurs; Souffre, ô coeur gros de haine, affamé de justice. Toi, Vertu, pleure si je meurs.

André CHENIER. Iambes.

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