Contes d'une grand-mere --Le fait est, répondit Emmi, que jamais je ne vous aurais crue capable de parler comme vous faites.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Tu mens, reprit Catiche, tu voles très-habilement à la forêt de Cernas son gibier et ses fruits.
Crois-tu donc
que ces choses-là n'appartiennent à personne? Ne sais-tu pas que celui qui ne travaille pas ne peut vivre
qu'aux dépens d'autrui? Il y a longtemps que cette forêt est quasi abandonnée.
Le propriétaire était un vieux
riche qui ne s'occupait plus de rien et ne la faisait pas seulement garder.
A présent qu'il est mort, tout ça va
changer et tu auras beau te cacher comme un rat dans des trous d'arbres, on te mettra la main sur le collet et on
te conduira en prison.
Eh bien, alors, reprit Emmi, pourquoi voulez-vous m'enseigner à voler pour vous?
Parce que, quand on sait, on n'est jamais pris.
Tu réfléchiras, il se fait tard, et il faut nous lever demain avec
le jour pour aller à la foire.
Je vais t'arranger un lit sur mon coffre, un bon lit avec une couette et une
couverture.
Pour la première fois de ta vie, tu dormiras comme un prince.
Emmi n'osa résister.
Quand la vieille Catiche ne faisait plus l'idiote, elle avait quelque chose d'effrayant dans
le regard et dans la voix.
Il se coucha et s'étonna d'abord de se trouver si bien; mais, au bout d'un instant, il
s'étonna de se trouver si mal.
Ce gros coussin de plumes l'étouffait, la couverture, le manque d'air libre, la
mauvaise odeur de la cuisine et le vin qu'il avait bu, lui donnaient la fièvre.
Il se leva tout effaré en disant qu'il
voulait dormir dehors, et qu'il mourrait s'il lui fallait passer la nuit enfermé.
La Catiche ronflait, et la porte était barricadée.
Emmi se résigna à dormir étendu sur la table, regrettant fort
son lit de mousse dans le chêne.
Le lendemain, la Catiche lui confia un panier d'oeufs et six poules à vendre, en lui ordonnant de la suivre à
distance et de n'avoir pas l'air de la connaître.
Si on savait que je vends, lui dit-elle, on ne me donnerait plus rien.
Elle lui fixa le prix qu'il devait atteindre avant de livrer sa marchandise, tout en ajoutant qu'elle ne le perdrait
pas de vue, et que, s'il ne lui rapportait pas fidèlement l'argent, elle saurait bien le forcer à le lui rendre.
Si vous vous défiez de moi, répondit Emmi offensé, portez votre marchandise vous-même et laissez-moi
m'en aller.
N'essaye pas de fuir, dit la vieille, je saurai te retrouver n'importe où; ne réplique pas et obéis.
Il la suivit à distance comme elle l'exigeait, et vit bientôt le chemin couvert de mendiants plus affreux les uns
que les autres.
C'étaient les habitants d'Oursines, qui, ce jour-là, allaient tous ensemble se faire guérir à une
fontaine miraculeuse.
Tous étaient estropiés ou couverts de plaies hideuses.
Tous sortaient de la fontaine sains
et allègres.
Le miracle n'était pas difficile à expliquer, tous leurs maux étant simulés et les reprenant au bout
de quelques semaines, pour être guéris le jour de la fête suivante.
Emmi vendit ses oeufs et ses poules, en reporta vite l'argent à la vieille, et, lui tournant le dos, s'en fut à
travers la foule, les yeux écarquillés, admirant tout et s'étonnant de tout.
Il vit des saltimbanques faire des
tours surprenants, et il s'était même un peu attardé à contempler leurs maillots pailletés et leurs bandeaux
dorés, lorsqu'il entendit à côté de lui un singulier dialogue.
C'était la voix de la Catiche qui s'entretenait avec
la voix rauque du chef des saltimbanques.
Ils n'étaient séparés de lui que par la toile de la baraque.
Si vous voulez lui faire boire du vin, disait la Catiche, vous lui persuaderez tout ce que vous voudrez.
C'est
un petit innocent qui ne peut me servir à rien et qui prétend vivre tout seul dans la forêt, où il perche depuis un
an dans un vieux arbre.
Il est aussi leste et aussi adroit qu'un singe, il ne pèse pas plus qu'un chevreau, et vous
lui ferez faire les tours les plus difficiles.
Contes d'une grand-mere
Contes d'une grand-mere 10.
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