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DES MINISTRES DES PRINCES

Publié le 01/10/2013

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)0(11 DES MINISTRES DES PRINCES Ce n'est pas chose de peu d'importance pour un prince que le choix des ministres, lesquels sont bons ou non selon la sagesse du prince. Et la première conjecture que l'on fait du cerveau d'un maître est de voir les hommes qu'il a autour de lui. Et quand ils sont capables et fidèles, on peut toujours le réputer sage, puisqu'il a su les juger capables et les maintenir fidèles ; mais quand ils sont autrement, on peut toujours porter mauvais jugement sur lui : car la première erreur qu'il fait, c'est dans ce choix qu'il l'a fait. Il n'était personne qui connût messire Antoine da Venafro pour ministre de Pandolphe Petrucci, prince de Sienne, qui ne jugeât Pandolphe être homme de grand mérite, ayant un tel homme pour ministre. Et comme il y a trois sortes de cerveaux -- l'un comprend par lui-même, l'autre discerne ce qu'autrui comprend, le troisième ne comprend ni soi ni autrui, et le premier est tout à fait excellent, le deuxième excellent, le troisième nuisible --, il fallait donc nécessairement que, si Pandolphe n'était du premier degré, il fût du second : car chaque fois que quelqu'un a assez de jugement pour connaître le bien ou le mal qu'un autre fait et dit, encore que de lui-même il n'ait pas d'invention, il connaît les oeuvres mauvaises et les bonnes de son ministre, et il exalte celles-ci, et il châtie les autres ; et le ministre ne peut espérer de le tromper, et il reste bon. Mais comment un prince pourra connaître son ministre, voici un moyen qui ne trompe jamais : quand tu vois le ministre penser plus à soi qu'à toi et que dans toutes les affaires il recherche là-dedans son profit, un tel homme ainsi fait jamais ne sera bon ,ministre, jamais tu ne te pourras fier à lui : car celui qui a l'Ét de quelqu'un en main ne doit jamais penser à at soi, mais toujours au prince, et ne jamais l'entretenir de chose qui ne le concerne pas. Et d'un autre côté le prince, pour qu'il reste bon, doit penser au ministre, en l'honorant, en l'enrichissant, en le faisant son obligé, en lui donnant sa part des honneurs et des charges, afin qu'il voie qu'il ne peut subsister sans lui, et que l'abondance des honneurs ne lui fasse pas désirer plus d'honneurs, l'abondance des richesses ne lui fasse pas désirer plus de richesses, l'abondance des charges lui fasse craindre les changements. Quand donc les ministres, et les princes à l'égard des ministres, sont ainsi faits, ils peuvent avoir confiance l'un dans l'autre ; et quand ils sont autrement, toujours la fin sera dommageable ou pour l'un ou pour l'autre. )0(111 COMMENT IL FAUT FUIR LES FLATTEURS Je ne veux pas négliger un point important et une erreur de laquelle les princes difficilement se défendent, s'ils ne sont pas de la plus grande sagesse ou s'ils n'ont l'art de faire de bons choix : ce sont les flatteurs, de qui les cours sont pleines ; car les hommes se complaisent tant aux choses qui leur sont propres et s'y trompent à ce point qu'avec difficulté ils se défendent de cette peste ; et à s'en vouloir défendre, on court le danger de s'exposer au mépris : car il n'est point d'autre moyen de se garder de la flatterie que de donner à entendre aux gens qu'ils ne t'offensent pas à te dire le vrai ; mais quand chacun peut te dire le vrai, on cesse de te respecter. C'est pourquoi un prince sage doit tenir une troisième voie en faisant choix dans son Etat d'hommes éclairés, et à ceux-là seuls il doit donner toute licence de lui dire la vérité, et sur cela seul sur quoi il les interroge, et rien d'autre ; mais il doit les interroger sur toute chose et entendre leurs opinions, puis décider par lui-même à sa guise ; et dans ces conseils et avec chacun d'entre eux, se comporter de façon que chacun connaisse que, d'autant plus librement il parlera et d'autant plus on lui en saura gré ; hormis ceux-là, ne vouloir entendre personne, exécuter la chose décidée, et être obstiné dans ses décisions. Qui fait autrement, ou il s'écroule à cause des flatteurs, ou il change souvent à cause de la diversité des avis : d'où résulte qu'on fait de lui peu d'estime. Je veux à ce propos alléguer un exemple moderne. Le prêtre Luc, homme de Maximilien le présent empereur, disait, parlant

« penser plus à soi qu'à toi et que dans toutes les affaires il recherche là-dedans son profit, un tel homme ainsi fait jamais ne sera bon ,ministre, jamais tu ne te pourras fier à lui : car celui qui a l'Ét at de quelqu'un en main ne doit jamais penser à soi, mais toujours au prince, et ne jamais l'entretenir de chose qui ne le concerne pas.

Et d'un autre côté le prince, pour qu'il reste bon, doit penser au ministre, en l'honorant, en l'enrichis- sant, en le faisant son obligé, en lui donnant sa part des hon- neurs et des charges, afin qu'il voie qu'il ne peut subsister sans lui, et que l'abondance des honneurs ne lui fasse pas désirer plus d'honneurs, l'abondance des richesses ne lui fasse pas dési- rer plus de richesses, l'abondance des charges lui fasse craindre les changements.

Quand donc les ministres, et les princes à l'égard des ministres, sont ainsi faits, ils peuvent avoir confiance l'un dans l'autre ; et quand ils sont autrement, toujours la fin sera dommageable ou pour l'un ou pour l'autre.. »

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