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ÉDOUARD PAILLERON (1834-1899). (Le Monde où l'on s'ennuie, Acte I, sc. II.)

Publié le 01/07/2011

Extrait du document

Le Monde où l'on s'ennuie (1881) est un piquant tableau des salons académiques, des pédantismes qui y fleurissent, et des rivalités qui, sous la politesse et sous les grands mots, s'y dissimulent. — La comtesse de Céran est une Philaminte de la fin du XIXe siècle, non plus bourgeoise, mais grande dame. Elle pousse son fils Roger vers l'Institut, et veut lui faire épouser une docte et riche Anglaise, qui traduit Schopenhauer. Son salon sert de théâtre et de tremplin à l'indianiste Saint-Réau, au philosophe Bellac, à des poètes lauréats, etc. La satire de cette société est faite de la façon la plus spirituelle par la mère de la comtesse de Céran, la duchesse de Réville, aimable raisonneuse, et par Paul Raymond, le sous-préfet, dont la femme, Jeanne Raymond, parodie gentiment toutes ces précieuses. Une intrigue bien agencée, habilement mêlée à la satire, et faisant corps avec elle, amène deux mariages. Le troisième acte, où trois couples jouent à cache-cache dans les ténèbres de la serre, a été comparé justement à l'acte des marronniers du Mariage de Figaro. Le Monde où l'on s'ennuie, dont le succès avait été d'abord attribué à des personnalités, est une des pièces que le grand public, vivant très en dehors de ces rivalités académiques, continue à goûter le plus.

Le prestige de l'ennui.

Au 1er acte de la pièce, le sous-préfet Paul Raymond arrive avec sa jeune femme au château de la comtesse de Céran. Il explique spirituellement à Jeanne quel est le monde au milieu duquel ils vont passer quelques jours.

JEANNE. — Miséricorde! Qu'est-ce que ce monde-là? PAUL. — Ce monde-là, mon enfant, c'est un Hôtel de Rambouillet en 1881 : un monde où l'on cause, où l'on pose, où le pédantisme tient lieu de science, la sentimentalité de sentiment, et la préciosité de délicatesse! où l'on ne dit jamais ce que l'on pense, et où l'on ne pense jamais ce que l'on dit! où l'assiduité est une politique, l'amitié un calcul, et la galanterie même un moyen ! le monde où l'on avale sa canne dans l'antichambre et sa langue dans le salon, le monde sérieux, enfin! JEANNE. — Mais c'est le monde où l'on s'ennuie, cela? PAUL. — Précisément! JEANNE. — Mais, si l'on s'y ennuie, quelle influence peut-il avoir? PAUL. — Quelle influence!... Candeur! candeur! quelle influence, l'ennui, chez nous? mais énorme!... mais considérable ! Le Français, vois-tu, a pour l'ennui une horreur poussée jusqu'à la vénération. Pour lui, l'ennui est un dieu terrible qui a pour culte la tenue. Il ne comprend le sérieux que sous cette forme. Je ne dis pas qu'il pratique, par exemple, mais il n'en croit que plus fermement, aimant mieux croire... que d'y aller voir. Oui, ce peuple gai, au fond, se méprise de l'être; il a perdu sa foi dans le bon sens de son vieux rire; ce peuple sceptique et bavard croit aux silencieux, ce peuple expansif et aimable s'en laisse imposer par la morgue pédante et la nullité prétentieuse des pontifes de la cravate blanche : en politique, comme en science, comme en art, comme en littérature, comme en tout ! Ils les raille, il les hait, il les fuit comme peste, mais ils ont seuls son admiration secrète et sa confiance absolue! Quelle influence, l'ennui? Ah! ma chère enfant! mais c'est-à-dire qu'il n'y a que deux sortes de gens au monde : ceux qui ne savent pas s'ennuyer et qui ne sont rien, et ceux qui savent s'ennuyer et qui sont tout... après ceux qui savent ennuyer les autres. JEANNE. — Et voilà où tu m'amènes, misérable ! PAUL. — Veux-tu être préfète, oui ou non?

(Le Monde où l'on s'ennuie, Acte I, sc. II.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Tableau spirituel d'un salon de l'aristocratie vers 1880 : Comment l'auteur est-il amené à tracer cette esquisse? De quel ton Paul parle-t-il du « monde où l'on s'ennuie «? De quelles qualités fait-il preuve durant cette conversation? (esprit..., clairvoyance...) ; N'outre-t-il pas un peu sa pensée pour la rendre plus frappante? (à développer); Quelle est la réaction de la jeune femme?

II. — Analyse du morceau. — a) Tableau d'une réunion mondaine vers 1880 : i° Que veut dire l'auteur par cette expression : Ce monde-là, c'est un Hôtel de Rambouillet en 1881... ? Expliquez les trois oppositions, marquées ici par l'auteur : un monde... où le pédantisme tient lieu de science, la sentimentalité de sentiment, et la préciosité de délicatesse; Comment Paul marque-t-il plaisamment l'allure guindée et le mutisme voulu des habitués de ces salons ? D'après cette tirade, quels sont les défauts ou les travers de ce milieu (pédantisme, affectation, préciosité, hypocrisie, fourberie, morgue, défiance...); Comment Jeanne définit- elle ce monde? L'expression vous paraît-elle heureuse? b) Le prestige de l'ennui en France : Quel est le caractère naturel du Français ? Indiquez-en les principaux traits d'après ce texte; Comment expliquez-vous le respect du Français pour l'ennui et la tenue? (nous avons une tendance à admirer ce qui nous manque et que nous ne pourrions acquérir qu'avec un immense effort).

III. — Le style; — les expressions.— Faites ressortir par des exemples les qualités du style : esprit, vivacité, naturel...-, Expliquez les expressions : Le monde où l'on pose ; les pontifes de la cravate blanche ; Quelle est la valeur de misérable! dans l'avant-dernière phrase?

IV. — Grammaire. — Citez quelques expressions où, comme dans : il les fuit comme peste, l'article a été supprimé devant le substantif; Nature et fonctions des mots dans la phrase : Pour lui, l'ennui est un dieu terrible qui a pour culte la tenue; Quel est le sens étymologique de candeur? Indiquez deux mots de la même famille.

Rédaction. — Une réunion à l'Hôtel de Rambouillet.   

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