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effrayer les loups.

Publié le 01/10/2013

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effrayer les loups. Ceux qui s'en tiennent simplement au lion n'y entendent rien. Un souverain prudent, par conséquent, ne peut ni ne doit observer sa foi quand une telle observance tournerait contre lui et que sont éteintes les raisons qui le firent promettre. Et si les hommes étaient tous bons, ce précepte ne serait pas bon ; mais comme ils sont méchants et ne te l'observeraient pas à toi, toi non plus tu n'as pas à l'observer avec eux. Et jamais un prince n'a manqué de motifs légitimes pour colorer son manque de foi. De cela l'on pourrait donner une infinité d'exemples modernes, et montrer combien de paix, combien de promesses ont été rendues caduques et vaines par l'infidélité des princes : et celui qui a su mieux user du renard est arrivé à meilleure fin. Mais il faut, cette nature, savoir bien la colorer, et être grand simulateur et dissimulateur : et les hommes sont si simples et ils obéissent si bien aux nécessités présentes que celui qui trompe trouvera toujours qui se laissera tromper. Des exemples récents, il en est un que je ne veux pas taire. Alexandre VI ne fit jamais autre chose, ne pensa jamais à autre chose qu'à tromper les gens, et toujours trouva sujet à pouvoir le faire. Et jamais il n'y eut homme qui mît plus grande énergie à affirmer une chose et la confirmât avec de plus grands serments, et qui l'observât moins ; cependant toujours les tromperies lui réussirent à souhait, parce qu'il connaissait bien, à cet égard, le train du monde. À un prince, donc, il n'est pas nécessaire d'avoir en fait toutes les susdites qualités, mais il est bien nécessaire de paraître les avoir. Et même, j'oserai dire ceci : que si on les a et qu'on les observe toujours, elles sont dommageables ; et que si l'on paraît les avoir, elles sont utiles ; comme de paraître pitoyable, fidèle, humain, droit, religieux, et de l'être ; mais d'avoir l'esprit édifié de telle façon que, s'il faut ne point l'être, tu puisses et saches devenir le contraire. Et il faut comprendre ceci : c'est qu'un prince, et surtout un prince nouveau, ne peut observer toutes ces choses pour lesquelles les hommes sont tenus pour bons, étant souvent contraint, pour maintenir l'État, d'agir contre la foi, contre la charité, contre l' humanité, contre la religion. Aussi faut-il qu'il ait un esprit disposé à tourner selon que les vents de la fortune et les variations des choses le lui commandent, et comme j'ai dit plus haut, ne pas s'écarter du bien, s'il le peut, mais savoir entrer dans le mal, s'il le faut. Il faut donc qu'un prince ait grand soin qu'il ne lui sorte jamais de la bouche chose qui ne soit pleine des cinq qualités susdites, et qu'il paraisse, à le voir et l'entendre, toute miséricorde, toute bonne foi, toute droiture, toute humanité, toute religion. Et il n'y a chose plus nécessaire à paraître avoir que cette dernière qualité. Les hommes en général jugent plus par les yeux que par les mains ; car il échoit à chacun de voir, à peu de gens de percevoir. Chacun voit ce que tu parais, peu perçoivent ce que tu es ; et ce petit nombre ne se hasarde pas à s'opposer à l'opinion d'une foule qui a la majesté de l'État qui la défend ; et dans les actions de tous les hommes, et surtout des princes où il n'y a pas de tribunal à qui recourir, on considère la fin. Qu'un prince, donc, fasse en sorte de vaincre et de maintenir l'État : les moyens seront toujours jugés honorables et loués d'un chacun ; car le vulgaire se trouve toujours pris par les apparences et par l'issue de la chose ; et dans le monde, il n'y a que le vulgaire ; et le petit nombre ne compte pas quand la foule a où s'appuyer. Certain prince du temps présent 2°, qu'il n'est pas bon de nommer, ne prêche jamais autre chose que paix et bonne foi, et de l'une et l'autre il est le plus grand ennemi ; et l'une et l'autre, s'il l'avait observée, l'aurait plus d'une fois privé ou de sa réputation ou de ses Etats. XIX QU'IL FAUT ÉVITER LE MÉPRIS ET LA HAINE Mais puisque, s'agissant des qualités dont il est ci-dessus fait mention, j'ai parlé des plus importantes, je veux brièvement examiner les autres sous les aspects généraux que voici : que le prince pense, comme ci-dessus on a commencé à le dire, à éviter ces choses qui le feraient haï et méprisé ; et chaque fois qu'il évitera cela, il aura rempli son rôle et ne trouvera, dans les autres mauvais renoms, aucun danger. Ce qui surtout le fait haïr, comme j'ai dit, c'est d'être rapace et usurpateur des biens et des femmes de ses sujets : de quoi il se doit abstenir ; et chaque fois qu'à la généralité des hommes on n'ôte ni les biens ni l'honneur, ils vivent contents, et on a seulement à combattre l'ambition de quelques-uns, laquelle se réfrène de multiples façons et avec facilité. Ce qui le fait mépriser, c'est d'être tenu pour changeant, léger, efféminé, pusillanime, irrésolu : de quoi un prince se doit garder comme d'un écueil, et s'ingénier à faire paraître en ses actions grandeur, courage, gravité, fermeté ; et s'agissant des affaires privées des sujets, vouloir que sa sentence soit irrévocable ; et qu'il maintienne de lui opinion telle, que personne ne songe ni à le tromper ni à le circonvenir. Le prince qui donne de lui-même une telle opinion a grande réputation, et contre qui a grande réputation il est difficile de conspirer, difficile de partir en guerre, pour peu qu'on sache qu'il est excellent et révéré par les siens ; car un prince doit avoir deux craintes : l'une au-dedans par rapport à ses sujets, l'autre au-dehors par rapport aux puissances étrangères. De

« disposé à tourner selon que les vents de la fortune et les varia- tions des choses le lui commandent, et comme j'ai dit plus haut, ne pas s'écarter du bien, s'il le peut, mais savoir entrer dans le mal, s'il le faut.

Il faut donc qu'un prince ait grand soin qu'il ne lui sorte jamais de la bouche chose qui ne soit pleine des cinq qualités susdites, et qu'il paraisse, à le voir et l'entendre, toute miséri- corde, toute bonne foi, toute droiture, toute humanité, toute religion.

Et il n'y a chose plus nécessaire à paraître avoir que cette dernière qualité.

Les hommes en général jugent plus par les yeux que par les mains ; car il échoit à chacun de voir, à peu de gens de percevoir.

Chacun voit ce que tu parais, peu perçoi- vent ce que tu es ; et ce petit nombre ne se hasarde pas à s'oppo- ser à l'opinion d'une foule qui a la majesté de l'État qui la défend ; et dans les actions de tous les hommes, et surtout des princes où il n'y a pas de tribunal à qui recourir, on considère la fin.

Qu'un prince, donc, fasse en sorte de vaincre et de maintenir l'État : les moyens seront toujours jugés honorables et loués d'un chacun ; car le vulgaire se trouve toujours pris par les apparences et par l'issue de la chose ; et dans le monde, il n'y a que le vulgaire ; et le petit nombre ne compte pas quand la foule a où s'appuyer.

Certain prince du temps présent 2 °, qu'il n'est pas bon de nommer, ne prêche jamais autre chose que paix et bonne foi, et de l'une et l'autre il est le plus grand ennemi ; et l'une et l'autre, s'il l'avait observée, l'aurait plus d'une fois privé ou de sa réputation ou de ses Etats.. »

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