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ÊTRE CRAINT SANS SUSCITER LA HAINE

Publié le 12/08/2011

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Est-il meilleur d'être aimé que craint, ou le contraire? On répond qu'on voudrait être et l'un et l'autre; mais comme il est bien difficile qu'ils soient ensemble, il est beaucoup plus sûr de se faire craindre qu'aimer, s'il faut qu'il n'y ait seulement que l'un des deux. Car on peut dire généralement une chose de tous les hommes : qu'ils sont ingrats, changeants, dissimulés, ennemis du danger, avides de gagner; tant que tu leur fais du bien, ils sont tout à toi, ils t'offrent leur sang, leurs biens, leurs vies, leurs enfants, comme j'ai dessus dit, quand il n'en est pas besoin; mais quand l'affaire presse, ils se révoltent. Et le Prince qui s'est fondé seulement sur leurs paroles, se trouvant tout dénué d'autres préparatifs, il est perdu; car les amitiés qui s'acquièrent avec l'argent et non par coeur noble et hautain, on les achète mais on ne les possède pas, et dans le besoin on ne les peut employer; les hommes hésitent moins à nuire à un homme qui se fait aimer qu'à un austre qui se fait redouter; car l'amour se maintient par un lien d'obligations lequel, parce que les hommes sont méchants, là où l'occasion s'offrira de profit particulier, il est rompu; mais la crainte se maintient par une peur de châtiment qui ne s'éloigne jamais. Néanmoins le Prince doit se faire craindre en sorte que, s'il n'acquiert point l'amitié, pour le moins il fuie l'inimitié; car il peut très bien avoir tous les deux ensemble, d'être craint et n'être point haï; ce qui adviendra toujours s'il s'abstient de prendre les biens et richesses de ses citoyens et sujets, et leurs femmes; et quand même il serait forcé de procéder contre le sang de quelqu'un, il doit ne le faire point sans justification convenable ni cause manifeste; mais sur toutes choses s'abstenir du bien d'autrui, car les hommes oublient plus tôt la mort de leur père que la perte de leur patrimoine. Et puis, les occasions ne manquent jamais pour ôter les biens, et celui qui commence à vivre de pillage trouve toujours des motifs pour occuper le bien des autres; mais on en a moins pour le faire mourir, et qui passent plus vite. Mais quand un Prince conduit une armée, gouvernant une multitude de soldats, c'est alors qu'il ne se faut nullement soucier du nom de cruel, car sans ce nom une armée n'est jamais unie ni prête à aucune opération de guerre.

MACHIAVEL. Le Prince, xvii. Traduction I. GOHORY (1571), A. Colin, édit.

 

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