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EXTRAITS PHILOSOPHIE SARTRE

Publié le 17/06/2015

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EXTRAITS

1. L'homme est liberté

Jean-Paul Sartre, L'existentialisme est un humanisme, Folio Essais, 1996, © Éditions Gallimard, p. 39-40.

Si, en effet, l'existence précède l'essence, on ne pourra jamais expliquer par référence à une nature humaine donnée et figée ; autrement dit, il n'y a pas de détermi-nisme, l'homme est libre, l'homme est liberté. Si, d'autre part, Dieu n'existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. Ainsi, nous n'avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine numineux des valeurs, des justifi-cations ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses. C'est ce que j'exprimerai en disant que l'homme est condamné à être libre. Condamné, parce qu'il ne s'est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre, parce qu'une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu'il fait. L'existentialiste ne croit pas à la puissance de la passion. Il ne pensera jamais qu'une belle passion est un torrent dévastateur qui conduit fatalement l'homme à certains actes, et qui, par conséquent, est une excuse. Il pense que l'homme est responsable de sa passion. L'exis-tentialiste ne pensera pas non plus que l'homme peut trouver un secours dans un signe donné, sur terre, qui

 

suffoque : l'existence me pénètre de partout, par les yeux, par le nez, par la bouche...

Et tout d'un coup, d'un seul coup, le voile se déchire, j ai compris, j ai vu.

 

6. La nausée

Jean-Paul Sartre, La Nausée, Folio, 1972,

© Éditions Gallimard, p. 180-183.

6 heures du soir.

Je ne peux pas dire que je me sente allégé ni content ; au contraire, ça m'écrase. Seulement mon but est atteint : je sais ce que je voulais savoir ; tout ce qui m'est arrivé depuis le mois de janvier, je l'ai compris. La Nausée ne m'a pas quitté et je ne crois pas qu'elle me quittera de sitôt ; mais je ne la subis plus, ce n'est plus une maladie ni une quinte passagère : c'est moi.

Donc j'étais tout à l'heure au Jardin public. La racine du marronnier s'enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c'était une racine. Les mots s'étaient évanouis et, avec eux, la signi¬fication des choses, leurs modes d'emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. J'étais assis, un peu voûté, la tête basse, seul en face de cette masse noire et noueuse, entièrement brute et qui me fai¬sait peur. Et puis j'ai eu cette illumination.

Ça m'a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n'avais pressenti ce que voulait dire « exister «. J'étais comme les autres, comme ceux qui se promènent au bord de la mer dans leurs habits de printemps. Je disais comme eux « la mer est verte ; ce point blanc, là-haut, c'est une mouette «, mais je ne sentais pas que ça existait, que la mouette était une « mouette-existante « ; à l'ordinaire l'existence se cache. Elle est là autour de nous, en nous, elle est nous, on ne peut pas dire deux mots sans parler d'elle et, finalement, on ne la touche pas. Quand je croyais y penser, il faut croire que je ne pensais rien, j'avais la tête vide, ou tout juste un mot dans la tête, le mot « être «. Ou alors, je pensais... comment dire ? Je pensais l'appartenance, je me disais que

 

la mer appartenait à la classe des objets verts ou que le vert faisait partie des qualités de la mer. Même quand je regardais les choses, j'étais à cent lieues de songer qu'elles existaient : elles m'apparaissaient comme un décor. Je les prenais dans mes mains, elles me servaient d'outils, je prévoyais leurs résistances. Mais tout ça se passait à la surface. Si l'on m'avait demandé ce que c'était que l'exis¬tence, j'aurais répondu de bonne foi que ça n'était rien, tout juste une forme vide qui venait s'ajouter aux choses du dehors, sans rien changer à leur nature. Et puis voilà : tout d'un coup, c'était là, c'était clair comme le jour : l'existence s'était soudain dévoilée. Elle avait perdu son allure inoffensive de catégorie abstraite : c'était la pâte même des choses, cette racine était pétrie dans de l'exis¬tence. Ou plutôt la racine, les grilles du jardin, le banc, le gazon rare de la pelouse, tout ça s'était évanoui ; la diversité des choses, leur individualité n'était qu'une apparence, un vernis. Ce vernis avait fondu, il restait des masses monstrueuses et molles, en désordre — nues, d'une effrayante et obscène nudité.

Je me gardais de faire le moindre mouvement, mais je n'avais pas besoin de bouger pour voir, derrière les arbres, les colonnes bleues et le lampadaire du kiosque à musique, et la Velléda, au milieu d'un massif de lauriers. Tous ces objets... comment dire ? Ils m'incommodaient ; j'aurais souhaité qu'ils existassent moins fort, d'une façon plus sèche, plus abstraite, avec plus de retenue. Le mar¬ronnier se pressait contre mes yeux. Une rouille verte le couvrait jusqu'à mi-hauteur ; l'écorce, noire et boursou¬flée, semblait de cuir bouilli. Le petit bruit d'eau de la fontaine Masqueret se coulait dans mes oreilles et s'y fai¬sait un nid, les emplissait de soupirs ; mes narines débor¬daient d'une odeur verte et putride. Toutes choses, doucement, tendrement, se laissaient aller à l'existence comme ces femmes lasses qui s'abandonnent au rire et disent : « C'est bon de rire « d'une voix mouillée ; elles

 

s'étalaient, les unes en face des autres, elles se faisaient l'abjecte confidence de leur existence. Je compris qu'il n'y avait pas de milieu entre l'inexistence et cette abondance pâmée. Si l'on existait, il fallait exister jusque-là, jusqu'à la moisissure, à la boursouflure, à l'obscénité. Dans un autre monde, les cercles, les airs de musique gardent leurs lignes pures et rigides. Mais l'existence est un fléchisse¬ment. Des arbres, des piliers bleu de nuit, le râle heureux d'une fontaine, des odeurs vivantes, de petits brouillards de chaleur qui flottaient dans l'air' froid, un homme roux qui digérait sur un banc : toutes ces somnolences, toutes ces digestions prises ensemble offraient un aspect vague¬ment comique. Comique... non : ça n'allait pas jusque-là, rien de ce qui existe ne peut être comique ; c'était comme une analogie flottante, presque insaisissable avec certaines situations de vaudeville. Nous étions un tas d'existants gênés, embarrassés de nous-mêmes, nous n'avions pas la moindre raison d'être là, ni les uns ni les autres, chaque existant, confus, vaguement inquiet, se sentait de trop par rapport aux autres. De trop : c'était le seul rapport que je pusse établir entre ces arbres, ces grilles, ces cailloux. En vain cherchais-je à compter les marronniers, à les situer par rapport à la Velléda, à compa¬rer leur hauteur avec celle des platanes : chacun d'eux s'échappait des relations où je cherchais à l'enfermer, s'isolait, débordait. Ces relations (que je m'obstinais à maintenir pour retarder l'écroulement du monde humain, des mesures, des quantités, des directions), j'en sentais l'arbitraire ; elles ne mordaient plus sur les choses. De trop, le marronnier, là en face de moi un peu sur la gauche... De trop, la Velléda...

Et moi — veule, alangui, obscène, digérant, ballottant de mornes pensées — moi aussi j'étais de trop. Heureuse¬ment je ne le sentais pas, je le comprenais surtout, mais j'étais mal à l'aise parce que j'avais peur de le sentir (encore à présent j'en ai peur — j'ai peur que ça ne me

 

prenne par le derrière de ma tête et que ça ne me soulève comme une lame de fond). Je rêvais vaguement de me supprimer, pour anéantir au moins une de ces existences superflues. Mais ma mort même eût été de trop. De trop, mon cadavre, mon sang sur ces cailloux, entre ces plantes, au fond de ce jardin souriant. Et la chair rongée eût été de trop dans la terre qui l'eût reçue et mes os, enfin, nettoyés, écorcés, propres et nets comme des dents eussent encore été de trop : j'étais de trop pour l'éternité.

 

7. De l'engagement en littérature

Jean-Paul Sartre, Qu'est-ce que la littérature ? Préface, Folio Essais, 1985, © Éditions Gallimard, p. 11-12.

« Si vous voulez vous engager, écrit un jeune imbécile, qu'attendez-vous pour vous inscrire au P.C. ? « Un grand écrivain qui s'engagea souvent et se dégagea plus souvent encore, mais qui l'a oublié, me dit : « Les plus mauvais artistes sont les plus engagés : voyez les peintres sovié-tiques. « Un vieux critique se plaint doucement : « Vous voulez assassiner la littérature ; le mépris des Belles-Lettres s'étale isolemment dans votre revue. « Un petit esprit m'appelle forte tête, ce qui est évidemment pour lui la pire injure ; un auteur qui eut peine à se traîner d'une guerre à l'autre et dont le nom réveille parfois des souvenirs languissants chez les vieillards, me reproche de n'avoir pas souci de l'immortalité : il connaît, Dieu merci, nombre d'honnêtes gens dont elle est le principal espoir. Aux yeux d'un folliculaire américain, mon tort est de n'avoir jamais lu Bergson ni Freud ; quant à Flaubert, qui ne s'engagea pas, il paraît qu'il me hante comme un remords. Des malins clignent de l'oeil : « Et la poésie ? Et la peinture ? Et la musique ? Est-ce que vous voulez aussi les engager ? « Et des esprits martiaux demandent : « De quoi s'agit-il ? De la littérature engagée ? Eh bien, c'est l'ancien réalisme socialiste, à moins que ce ne soit un renouveau du populisme, en plus agressif. «

Que de sottises ! C'est qu'on lit vite, mal et qu'on juge avant d'avoir compris. Donc, recommençons. Cela n'amuse personne, ni vous, ni moi. Mais il faut enfoncer le clou. Et puisque les critiques me condamnent au nom de la littérature, sans jamais dire ce qu'ils entendent par là, la meilleure réponse à leur faire, c'est d'examiner l'art d'écrire, sans préjugés. Qu'est-ce qu'écrire ? Pourquoi écrit-on ? Pour qui ? Au fait, il semble que personne ne se le soit jamais demandé.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Il faut surtout commencer par lire L'existentialisme est un humanisme, ce petit livre où Sartre résume lui-même de manière tout à fait pédagogique et claire sa propre philosophie. Pour aller plus loin, on pourra se reporter à l'ouvrage d'Alain Renaut, Sartre, le dernier philosophe, chez Grasset, « Le Collège de philosophie «, 1993.

 

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