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Florent.

Publié le 15/12/2013

Extrait du document

Florent. Il disait souvent, après l'avoir entendu parler de sa voix douce, un peu triste, pendant des heures : -- Mais c'est un curé, ce garçon-là. Il ne lui manque qu'une calotte. Les autres semblaient boire ses paroles. Charvet, qui rencontrait des vêtements de Florent à toutes les patères, eignait de ne plus savoir où accrocher son chapeau, de peur de le salir. Il repoussait les papiers qui traînaient, disait qu'on n'était plus chez soi, depuis que « ce monsieur » faisait tout dans le cabinet. Il se plaignit même au marchand de vin, en lui demandant si le cabinet appartenait à un seul consommateur ou à la société. Cette invasion de ses États fut le coup de grâce. Les hommes étaient des brutes. Il prenait l'humanité en grand mépris, lorsqu'il voyait Logre et monsieur Lebigre couver Florent des yeux. Gavard l'exaspérait avec son revolver. Robine, qui restait silencieux derrière sa chope, lui parut décidément l'homme le plus fort de la bande ; celui-là devait juger les gens à leur valeur, il ne se payait pas de mots. Quant à Lacaille et à Alexandre, ils le confirmaient dans son idée que le peuple est trop bête, qu'il a besoin d'une dictature révolutionnaire de dix ans pour apprendre à se conduire. Cependant, Logre affirmait que les sections seraient bientôt complètement organisées. Florent commençait à istribuer les rôles. Alors, un soir, après une dernière discussion où il eut le dessous, Charvet se leva, prit son chapeau, en isant : -- Bien le bonsoir, et faites-vous casser la tête, si cela vous amuse... Moi, je n'en suis pas, vous entendez. Je n'ai jamais travaillé pour l'ambition de personne. Clémence qui mettait son châle, ajouta froidement : -- Le plan est inepte. Et comme Robine les regardait sortir d'un oeil très doux, Charvet lui demanda s'il ne s'en allait pas avec eux. Robine, yant encore trois doigts de bière dans sa chope, se contenta d'allonger une poignée de main. Le couple ne revint plus. acaille apprit un jour à la société que Charvet et Clémence fréquentaient maintenant une brasserie de la rue Serpente ; il es avait vus, par un carreau, gesticulant beaucoup, au milieu d'un groupe attentif de très jeunes gens. Jamais Florent ne put enrégimenter Claude. Il rêva un instant de lui donner ses idées en politique, d'en faire un disciple qui l'eût aidé dans sa tâche révolutionnaire. Pour l'initier, il l'amena un soir chez monsieur Lebigre. Mais Claude passa la soirée à faire un croquis de Robine, avec le chapeau et le paletot marron, la barbe appuyée sur la pomme de la canne. Puis, en sortant avec Florent : -- Non, voyez-vous, dit-il, ça ne m'intéresse pas, tout ce que vous racontez là-dedans. Ça peut être très fort, mais ça m'échappe... Ah ! par exemple, vous avez un monsieur superbe, ce sacré Robine. Il est profond comme un puits, cet homme... J'y retournerai, seulement pas pour la politique. J'irai prendre un croquis de Logre et un croquis de Gavard, afin de les mettre avec Robine dans un tableau splendide, auquel je songeais, pendant que vous discutiez la question... comment dites-vous ça ? la question des deux Chambres, n'est-ce pas ?... Hein ! vous imaginez-vous Gavard, Logre et Robine causant politique, embusqués derrière leurs chopes ? Ce serait le succès du Salon, mon cher, un succès à tout casser, un vrai tableau moderne celui-là. Florent fut chagrin de son scepticisme politique. Il le fit monter chez lui, le retint jusqu'à deux heures du matin sur l'étroite terrasse, en face du grand bleuissement des Halles. Il le catéchisait, lui disait qu'il n'était pas un homme, s'il se montrait si insouciant du bonheur de son pays. Le peintre secouait la tête, en répondant : -- Vous avez peut-être raison. Je suis un égoïste. Je ne peux pas même dire que je fais de la peinture pour mon pays, parce que d'abord mes ébauches épouvantent tout le monde, et qu'ensuite, lorsque je peins, je songe uniquement à mon plaisir personnel. C'est comme si je me chatouillais moi-même, quand je peins : ça me fait rire par tout le corps... Que voulez-vous, on est bâti de cette façon, on ne peut pourtant pas aller se jeter à l'eau... Puis, la France n'a pas besoin de moi, ainsi que dit ma tante Lisa... Et me permettez-vous d'être franc ? Eh bien ! si je vous aime, vous, c'est que vous m'avez l'air de faire de la politique absolument comme je fais de la peinture. Vous vous chatouillez, mon cher. Et comme l'autre protestait : -- Laissez donc ! Vous êtes un artiste dans votre genre, vous rêvez politique ; je parie que vous passez des soirées ici, à regarder les étoiles, en les prenant pour les bulletins de vote de l'infini... Enfin, vous vous chatouillez avec vos idées de justice et de vérité. Cela est si vrai que vos idées, de même que mes ébauches, font une peur atroce aux bourgeois... Puis là, entre nous, si vous étiez Robine, croyez-vous que je m'amuserais à être votre ami... Ah ! grand poète que vous êtes ! Ensuite, il plaisanta, disant que la politique ne le gênait pas, qu'il avait fini par s'y accoutumer, dans les brasseries et dans les ateliers. À ce propos, il parla d'un café de la rue Vauvilliers, le café qui se trouvait au rez-de-chaussée de la maison habitée par la Sarriette. Cette salle fumeuse, aux banquettes de velours éraillé, aux tables de marbre jaunies par les bavures des glorias, était le lieu de réunion habituel de la belle jeunesse des Halles. Là, monsieur Jules régnait sur une bande de porteurs, de garçons de boutique, de messieurs à blouses blanches [41] , à casquettes de velours. Lui, portait, à la naissance des favoris, deux mèches de poils collées contre les joues en accroche-coeur. Chaque samedi, il se faisait arrondir les cheveux au rasoir, pour avoir le cou blanc, chez un coiffeur de la ue des Deux-Écus, où il était abonné au mois. Aussi donnait-il le ton à ces messieurs, lorsqu'il jouait au billard, avec des râces étudiées, développant ses hanches, arrondissant les bras et les jambes, se couchant à demi sur le tapis, dans une pose cambrée qui donnait à ses reins toute leur valeur. La partie finie, on causait. La bande était très réactionnaire, très mondaine. Monsieur Jules lisait les journaux aimables. Il connaissait le personnel des petits théâtres, tutoyait les célébrités du jour, savait la chute ou le succès de la pièce jouée la veille. Mais il avait un faible pour la politique. Son idéal était Morny [42] , comme il le nommait tout court. Il lisait les séances du Corps législatif, en riant d'aise aux moindres mots de Morny. 'était Morny qui se moquait de ces gueux de républicains ! Et il partait de là pour dire que la crapule seule détestait 'empereur, parce que l'empereur voulait le plaisir de tous les gens comme il faut.   Le café de la rue Vauvilliers   -- Je suis allé quelquefois dans leur café, dit Claude à Florent. Ils sont bien drôles aussi, ceux-là, avec leurs pipes, lorsqu'ils parlent des bals de la cour, comme s'ils y étaient invités... Le petit qui est avec la Sarriette, vous savez, s'est joliment moqué de Gavard, l'autre soir. Il l'appelle mon oncle... Quand la Sarriette est descendue pour le venir chercher, il a fallu qu'elle payât ; et elle en a eu pour six francs, parce qu'il avait perdu les consommations au billard... Une jolie fille, hein ! cette Sarriette. -- Vous menez une belle vie, murmura Florent en souriant. Cadine, la Sarriette, et les autres, n'est-ce pas ? Le peintre haussa les épaules. -- Ah bien ! vous vous trompez, répondit-il. Il ne me faut pas de femmes à moi, ça me dérangerait trop. Je ne sais seulement pas à quoi ça sert, une femme ; j'ai toujours eu peur d'essayer... Bonsoir, dormez bien. Si vous êtes ministre, un jour, je vous donnerai des idées pour les embellissements de Paris. Florent dut renoncer à en faire un disciple docile. Cela le chagrina, car, malgré son bel aveuglement de fanatique, il inissait par sentir autour de lui l'hostilité qui grandissait à chaque heure. Même chez les Méhudin, il trouvait un accueil lus froid ; la vieille avait des rires en dessous, Muche n'obéissait plus, la belle Normande le regardait avec de brusques mpatiences, quand elle approchait sa chaise près de la sienne, sans pouvoir le tirer de sa froideur. Elle lui dit une fois qu'il vait l'air d'être dégoûté d'elle, et il ne trouva qu'un sourire embarrassé, tandis qu'elle allait s'asseoir rudement, de l'autre côté de la table. Il avait également perdu l'amitié d'Auguste. Le garçon charcutier n'entrait plus dans sa chambre, quand il montait se coucher. Il était très effrayé par les bruits qui couraient sur cet homme, avec lequel il osait auparavant s'enfermer jusqu'à minuit. Augustine lui faisait jurer de ne plus commettre une pareille imprudence. Mais Lisa acheva de les fâcher, en les priant de retarder leur mariage, tant que le cousin n'aurait pas rendu la chambre du haut ; elle ne voulait pas donner à sa nouvelle fille de boutique le cabinet du premier étage. Dès lors, Auguste souhaita qu'on « emballât le galérien ». Il avait trouvé la charcuterie rêvée, pas à Plaisance, un peu plus loin, à Montrouge ; les lards devenaient avantageux, Augustine disait qu'elle était prête, en riant de son rire de grosse fille puérile. Aussi chaque nuit, au moindre bruit qui le réveillait, éprouvait-il une fausse joie, en croyant que la police empoignait Florent. Chez les Quenu-Gradelle, on ne parlait point de ces choses. Une entente tacite du personnel de la charcuterie avait ait le silence autour de Quenu. Celui-ci, un peu triste de la brouille de son frère et de sa femme, se consolait en ficelant ses saucissons et en salant ses bandes de lard. Il venait parfois sur le seuil de la boutique étaler sa couenne rouge, qui riait dans la blancheur du tablier tendu par son ventre, sans se douter du redoublement de commérages que son apparition faisait naître au fond des Halles. On le plaignait, on le trouvait moins gras, bien qu'il fût énorme ; d'autres, au contraire, 'accusaient de ne pas assez maigrir de la honte d'avoir un frère comme le sien. Lui, pareil aux maris trompés, qui sont les erniers à connaître leur accident, avait une belle ignorance, une gaieté attendrie, quand il arrêtait quelque voisine sur le rottoir, pour lui demander des nouvelles de son fromage d'Italie ou de sa tête de porc à la gelée. La voisine prenait une igure apitoyée, semblait lui présenter ses condoléances, comme si tous les cochons de la charcuterie avaient eu la aunisse. -- Qu'ont-elles donc toutes, à me regarder d'un air d'enterrement ? demanda-t-il un jour à Lisa. Est-ce que tu me rouves mauvaise mine, toi ? Elle le rassura, lui dit qu'il était frais comme une rose ; car il avait une peur atroce des maladies, geignant, mettant out en l'air chez lui, lorsqu'il souffrait de la moindre indisposition. Mais la vérité était que la grande charcuterie des uenu-Gradelle devenait sombre : les glaces pâlissaient, les marbres avaient des blancheurs glacées, les viandes cuites du omptoir dormaient dans des graisses jaunies, dans des lacs de gelée trouble. Claude entra même un jour pour dire à sa ante que son étalage avait l'air « tout embêté ». C'était vrai. Sur le lit de fines rognures bleues, les langues fourrées de trasbourg prenaient des mélancolies blanchâtres de langues malades, tandis que les bonnes figures jaunes des ambonneaux, toutes malingres, étaient surmontées de pompons verts désolés. D'ailleurs, dans la boutique, les pratiques e demandaient plus un bout de boudin, dix sous de lard, une demi-livre de saindoux, sans baisser leur voix navrée, omme dans la chambre d'un moribond. Il y avait toujours deux ou trois jupes pleurardes plantées devant l'étuve efroidie. La belle Lisa menait le deuil de la charcuterie avec une dignité muette. Elle laissait retomber ses tabliers blancs d'une façon plus correcte sur sa robe noire. Ses mains propres, serrées aux poignets par les grandes manches, sa figure, u'une tristesse de convenance embellissait encore, disaient nettement à tout le quartier, à toutes les curieuses défilant u matin au soir, qu'ils subissaient un malheur immérité, mais qu'elle en connaissait les causes et qu'elle saurait en riompher. Et parfois elle se baissait, elle promettait du regard des jours meilleurs aux deux poissons rouges, inquiets eux aussi, nageant dans l'aquarium de l'étalage, languissamment.  

« pose cambrée quidonnait àses reins toute leurvaleur.

Lapartie finie,oncausait.

Labande étaittrèsréactionnaire, très mondaine.

MonsieurJuleslisaitlesjournaux aimables.

Ilconnaissait lepersonnel despetits théâtres, tutoyaitles célébrités dujour, savait lachute oulesuccès delapièce jouée laveille.

Maisilavait unfaible pourlapolitique.

Sonidéal était Morny [42] , comme ille nommait toutcourt.

Illisait lesséances duCorps législatif, enriant d’aise auxmoindres motsdeMorny. C’était Morny quisemoquait deces gueux derépublicains ! Etilpartait delàpour direquelacrapule seuledétestait l’empereur, parcequel’empereur voulaitleplaisir detous lesgens comme ilfaut.

  Le café delarue Vauvilliers   — Je suisalléquelquefois dansleurcafé, ditClaude àFlorent.

Ilssont biendrôles aussi,ceux-là, avecleurs pipes, lorsqu’ils parlentdesbals delacour, comme s’ilsyétaient invités… Lepetit quiestavec laSarriette, voussavez, s’est joliment moquédeGavard, l’autresoir.Ill’appelle mononcle… QuandlaSarriette estdescendue pourlevenir chercher, il a fallu qu’elle payât ; etelle enaeu pour sixfrancs, parcequ’ilavait perdu lesconsommations aubillard… Unejolie fille, hein ! cetteSarriette. — Vous menezunebelle vie,murmura Florentensouriant.

Cadine,laSarriette, etles autres, n’est-ce pas ? Le peintre haussalesépaules. — Ah bien ! vousvoustrompez, répondit-il.

Ilne me faut pasdefemmes àmoi, çame dérangerait trop.Jene sais seulement pasàquoi çasert, unefemme ; j’aitoujours eupeur d’essayer… Bonsoir,dormezbien.Sivous êtesministre, un jour, jevous donnerai desidées pourlesembellissements deParis. Florent dutrenoncer àen faire undisciple docile.Celalechagrina, car,malgré sonbelaveuglement defanatique, il finissait parsentir autour deluil’hostilité quigrandissait àchaque heure.Même chezlesMéhudin, iltrouvait unaccueil plus froid ; lavieille avaitdesrires endessous, Muchen’obéissait plus,labelle Normande leregardait avecdebrusques impatiences, quandelleapprochait sachaise prèsdelasienne, sanspouvoir letirer desafroideur.

Elleluidit une foisqu’il avait l’aird’être dégoûté d’elle,etilne trouva qu’unsourire embarrassé, tandisqu’elle allaits’asseoir rudement, de. »

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