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FROISSART (1337-1410). Dévouement des six bourgeois de Calais.

Publié le 22/06/2011

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froissart

Jean Froissart, né à Valenciennes, n'est plus un chevalier qui écrit ses mémoires. C'est un chroniqueur de profession, qui consulte des documents, et qui se propose de raconter toute l'histoire de la guerre de Cent Ans. Nous avons de lui des Chroniques en cinq livres, écrites d'un style vif, varié, coloré, avec description de batailles, de fêtes, de tournois. Froissart avait beaucoup voyagé, comme un reporter de journal; aussi a-t-il pu observer de près les lieux et les costumes. Mais ses Chroniques manquent d'idées générales sur les causes et les conséquences des événements.

Dévouement des six bourgeois de Calais.

Cette narration est justement célèbre : elle est composée avec autant de simplicité que de science. Tout y est enchaîné, proportionné, et surtout gradué : l'intérêt croît de ligne en ligne. — D'autre part, l'auteur, sans jamais déclamer, introduit habilement quelques réflexions qui augmentent le pathétique de cette scène. On croirait, au plan et au ton, lire une des plus belles narrations de l'historien latin Tite-Live. Froissart vient de raconter que Jean de Vienne, défenseur de Calais, est contraint de rendre la ville aux Anglais. Édouard III avait d'abord exigé que la ville se livrât à discrétion. Puis il a consenti à épargner les habitants, à la condition que six des plus riches bourgeois vinssent, en chemise et la corde au cou, lui apporter les clefs de la ville (1747). Jean de Vienne assemble la population sur la place, et annonce quels sont les ordres du roi d'Angleterre. Tout le monde se met à pleurer et à crier. Alors Eustache de Saint-Pierre se lève et s'ogre le premier; après lui, Jean d'Aire, Jacques de Wissant, Jean de Vienne et André d' Ardres. Tous les six ôtent leurs vêtements et leurs chaussures. Quand ils se furent ainsi préparés, messire Jean de Vienne, monté sur une petite haquenée, car il pouvait à peine marcher, se mit devant et prit le chemin de la porte. A voir ces hommes, leurs femmes et leurs enfants pleurer et tordre leurs mains et crier à haute voix très amèrement, il n'y eut cœur si dur au monde qui n'en eût pitié. Ainsi ils arrivèrent jusqu'à la porte, accompagnés par des lamentations, des cris et des pleurs. Messire Jean de Vienne fit ouvrir la porte, et se fit enfermer dehors avec les six bourgeois, entre la porte et les barrières; et il vint vers Monseigneur Gautier qui l'attendait là, et lui dit : « Messire Gautier, je vous livre, comme capitaine de Calais, par le consentement du pauvre peuple de cette ville, ces six bourgeois. Et je vous jure que ce sont les plus honorables et notables de corps, de fortune et d'ancienneté, de la ville de Calais; ils portent avec eux toutes les clefs de ladite ville et du château. Je vous prie, gentil sire, de vouloir bien prier pour eux le roi d'Angleterre, afin que ces braves gens ne soient pas mis à mort. — Je ne sais, répondit le sire de Mauny, ce que messire le roi en voudra faire, mais je vous promets que je ferai mon devoir. « Alors la barrière fut ouverte. Les six bourgeois s'en allèrent, en l'état que je vous ai dit, avec Monseigneur Gautier de Mauny, qui les mena tout droit vers le palais du roi, et messire Jean de Vienne rentra en la ville de Calais. Le roi était à cette heure dans sa chambre, en grande compagnie de comtes, de barons et de chevaliers. Il entendit que ceux de Calais arrivaient en l'équipage qu'il avait prescrit et ordonné; alors il sortit et vint sur la place devant son hôtel, et tous les seigneurs après lui... Et même la reine d'Angleterre avait suivi son seigneur. Voici venir Monseigneur Gautier, de Mauny et à côté de lui les six bourgeois qui le suivaient ; il descendit sur la place, puis s'en vint vers le roi et lui dit : « Monseigneur, voici la représentation de la ville de Calais, selon votre ordonnance. « Le roi resta silencieux et immobile, et les regarda avec fureur ; car il haïssait beaucoup les habitants de Calais pour les grands dommages que jadis ils lui avaient faits sur mer. Ces six bourgeois se mirent alors à genoux devant le roi, et, les mains jointes, lui dirent : « Gentil seigneur et gentil roi, vous voyez en nous six bourgeois de Calais, de naissance ancienne, et riches marchands. Nous vous apportons les clefs de la ville et du château de Calais, et nous vous les rendons à discrétion, et nous nous mettons tels que vous nous voyez à votre entière discrétion pour sauver le reste du peuple de Calais; veuillez avoir de nous pitié et miséricorde par votre haute noblesse. « Le roi les regarda avec grande colère, car il avait le coeur si dur et si plein de courroux qu'il ne put parler ; et quand il parla, il commanda qu'on leur coupât la tête aussitôt. Tous les barons et les chevaliers qui étaient là pleuraient et, aussi instamment qu'ils le pouvaient, priaient le roi d'en avoir pitié, miséricorde mais il ne voulait rien entendre. Alors messire Gautier de Mauny parla et dit : « Ah! gentil sire, veuillez refréner votre courroux. Vous avez la renommée de souveraine gentillesse et noblesse. Ne veuillez donc rien faire qui la puisse amoindrir, ni qui fasse mal parler de vous. Si vous n'avez pitié de ces gens, tous les autres diront que c'est grande cruauté, si vous faites mourir ces honnêtes bourgeois qui de leur propre volonté se sont mis à votre propre merci pour sauver les autres. « Là-dessus le roi se fâcha et dit : « Messire Gautier, taisez-vous; il ne sera pas fait autrement ; mais qu'on fasse venir le coupe-tête. Ceux de Calais ont fait mourir tant de mes hommes, qu'il convient de les faire mourir aussi. « Alors la reine d'Angleterre fit grand acte d'humilité; elle pleurait si tendrement de pitié qu'on ne le pouvait soutenir. Elle se jeta à genoux devant le roi son seigneur, et parla ainsi : « Ah! gentil sire, depuis que j'ai passé la mer en grand péril, comme vous le savez, je ne vous ai demandé aucun don. Or je vous prie humblement et sollicite comme don que, par le fils de sainte Marie et pour l'amour de moi, vous veuilliez avoir pitié de ces six hommes. « Le roi attendit un peu pour parler, et regarda la bonne dame sa femme, qui pleurait devant lui à genoux très tendrement. Il sentit son coeur s'amollir, car il n'eût pas voulu la contrarier dans l'état où elle était ; il lui dit : « Ah! madame, j'aimerais mieux que vous soyez autre part qu'ici. Vous me priez de telle sorte que je n'ose vous le refuser; et, quoique je le fasse malgré moi, tenez, je vous les donne; disposez-en à votre volonté. « La bonne dame dit : « Monseigneur, très grand merci. « Alors la reine se leva et fit lever les six bourgeois; elle leur fit ôter les cordes d'autour du cou, et les amena avec elle en sa chambre, et les fit habiller, et leur donna largement à dîner. Puis elle donna à chacun six nobles, et les fit conduire hors de l'armée, en sûreté.

(Liv. I, ch. Lxvi.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Nature du morceau : une narration. — Narration d'un grand intérêt dramatique. — Quels sont les personnages mis en présence, — du côté des Calaisiens ? du côté des Anglais ? Dans quel but les six bourgeois ont-ils consenti à aller remettre, en chemise et la corde au cou, les clefs de Calais au roi d'Angleterre ? Quel grand danger courent-ils quand ils se trouvent en présence de ce dernier ? (parler des sentiments dont le roi est animé à leur égard); Quelles interventions ont lieu, successivement, en leur faveur ? Grâce à laquelle échappent-ils à la mort ? En quoi consiste surtout l'intérêt de ce récit ? (le sort des six bourgeois); Dites si cet intérêt faiblit parfois — ou s'il ne cesse de croître du commencement à la fin du morceau (justifiez votre opinion).

II. — L'analyse du morceau. — Toutes les parties de cette narration sont parfaitement enchaînées les unes aux autres : essayer cependant de les distinguer : — a, Le départ des six bourgeois; — b, Leur arrivée devant le roi, à qui ils font la remise des clefs et dont ils implorent la miséricorde; — c, La colère du roi (il donne l'ordre de leur couper la tête aussitôt); — d, Les interventions en faveur des six bourgeois; — celle des barons et des chevaliers, — celle de Gautier de Mauny, — sans résultat l'une et l'autre; — La prière de la reine; — La grâce); Je vous promets que je ferai mon devoir, avait dit Gautier de Mauny à Jean de Vienne : a-t-il tenu sa promesse ? Pourquoi le roi haïssait-il les habitants de Calais ? Comment la reine put-elle obtenir la grâce des six bourgeois ?

III. — Le style ; — les expressions. — Le style de Froissart, dans ce récit, n'est pas seulement aisé, précis, animé il est aussi pittoresque : relevez quelques expressions imagées (le roi les regarda avec fureur...; qu'on fasse venir le coupe-tête... ; la reine se jeta à genoux devant le roi...); Expliquez les trois phrases suivantes : Vous nous voyez à votre entière discrétion; — Veuillez refréner votre courroux; — Ils se sont mis à votre merci; Que désigne le mot nobles? (ancienne monnaie d'or d'Angleterre).

IV. — La grammaire. — Indiquez la composition des mots amoindrir, amollir; Quel est le contraire de humilité, de pitié? Distinguez les propositions contenues dans la première phrase du morceau; — (nature de chacune d'elles; fonction de la première). Rédaction. — Sentiments dont fit preuve la reine d'Angleterre. —Réflexions que vous suggère son intervention auprès du roi.

froissart

« elle en sa chambre, et les fit habiller, et leur donna largement à dîner.Puis elle donna à chacun six nobles, et les fit conduire hors de l'armée, en sûreté. (Liv.

I, ch.

Lxvi.) QUESTIONS D'EXAMEN I.

— L'ensemble.

— Nature du morceau : une narration.

— Narration d'un grand intérêt dramatique.

— Quels sont lespersonnages mis en présence, — du côté des Calaisiens ? du côté des Anglais ? Dans quel but les six bourgeois ont-ils consenti à aller remettre, en chemise et la corde au cou, les clefs de Calais au roi d'Angleterre ? Quel granddanger courent-ils quand ils se trouvent en présence de ce dernier ? (parler des sentiments dont le roi est animé àleur égard); Quelles interventions ont lieu, successivement, en leur faveur ? Grâce à laquelle échappent-ils à la mort? En quoi consiste surtout l'intérêt de ce récit ? (le sort des six bourgeois); Dites si cet intérêt faiblit parfois — ous'il ne cesse de croître du commencement à la fin du morceau (justifiez votre opinion). II.

— L'analyse du morceau.

— Toutes les parties de cette narration sont parfaitement enchaînées les unes auxautres : essayer cependant de les distinguer : — a, Le départ des six bourgeois; — b, Leur arrivée devant le roi, àqui ils font la remise des clefs et dont ils implorent la miséricorde; — c, La colère du roi (il donne l'ordre de leurcouper la tête aussitôt); — d, Les interventions en faveur des six bourgeois; — celle des barons et des chevaliers,— celle de Gautier de Mauny, — sans résultat l'une et l'autre; — La prière de la reine; — La grâce); Je vous prometsque je ferai mon devoir, avait dit Gautier de Mauny à Jean de Vienne : a-t-il tenu sa promesse ? Pourquoi le roihaïssait-il les habitants de Calais ? Comment la reine put-elle obtenir la grâce des six bourgeois ? III.

— Le style ; — les expressions.

— Le style de Froissart, dans ce récit, n'est pas seulement aisé, précis, animé ilest aussi pittoresque : relevez quelques expressions imagées (le roi les regarda avec fureur...; qu'on fasse venir lecoupe-tête...

; la reine se jeta à genoux devant le roi...); Expliquez les trois phrases suivantes : Vous nous voyez àvotre entière discrétion; — Veuillez refréner votre courroux; — Ils se sont mis à votre merci; Que désigne le motnobles? (ancienne monnaie d'or d'Angleterre). IV.

— La grammaire.

— Indiquez la composition des mots amoindrir, amollir; Quel est le contraire de humilité, depitié? Distinguez les propositions contenues dans la première phrase du morceau; — (nature de chacune d'elles;fonction de la première). Rédaction.

— Sentiments dont fit preuve la reine d'Angleterre.

—Réflexions que vous suggère son interventionauprès du roi.. »

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