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Guy DE MAUPASSANT (1850-1893) Les multiples avatars du roman

Publié le 14/01/2018

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maupassant

« Cette vision personnelle du monde... »

Le romancier, au contraire, qui prétend nous donner une image exacte de la vie, doit éviter avec soin tout enchaînement d'événements qui paraîtrait exceptionnel. Son but n'est point de nous raconter une histoire, de nous amuser ou de nous attendrir, mais de nous forcer à penser, à comprendre le sens profond et caché des événements. A force d’avoir vu et médité il regarde l’univers, les choses, les faits et les hommes d’une certaine façon qui lui est propre et qui résulte de l’ensemble de ses observations réfléchies. C’est cette vision personnelle du monde qu’il cherche à nous communiquer en la reproduisant dans un livre. Pour nous émouvoir, comme il l’a été lui-même par le spectacle de la vie, il doit la reproduire devant nos yeux avec une scrupuleuse ressemblance. Il devra donc composer son œuvre d'une manière si adroite, si dissimulée, et d'apparence si simple, qu'il soit impossible d'en apercevoir et d'en indiquer le plan, de découvrir ses intentions.

 

Au lieu de machiner une aventure et de la dérouler de façon à la rendre intéressante jusqu’au dénouement, il prendra son ou ses personnages à une certaine période de leur existence et les conduira, par des transitions naturelles, jusqu'à la période suivante. Il montrera de cette façon, tantôt comment les esprits se modifient sous l'influence des circonstances environnantes, tantôt comment se développent les sentiments et les passions, comment on s'aime, comment on se hait, comment on se combat dans tous les milieux sociaux, comment luttent les intérêts bourgeois, les intérêts d'argent, les intérêts de famille, les intérêts politiques.

 

L'habileté de son plan ne consistera donc point dans l'émotion ou dans le charme, dans un début attachant ou dans une catastrophe émouvante, mais dans le groupement adroit de petits faits constants d'où se dégagera le sens définitif de l'œuvre. S'il fait tenir dans trois cents pages dix ans d'une vie pour montrer quelle a été, au milieu de tous les êtres qui l'ont entourée, sa signification particulière et bien caractéristique, il devra savoir éliminer, parmi les menus événements innombrables et quotidiens, tous ceux qui lui sont inutiles, et mettre en lumière, d'une façon spéciale, tous ceux qui seraient demeurés inaperçus pour des observateurs peu clairvoyants et qui donnent au livre sa portée, sa valeur d'ensemble.

 

On comprend qu'une semblable manière de composer, si différente de l'ancien procédé visible à tous les yeux, déroute souvent les critiques, et qu'ils ne découvrent pas tous les fils si minces, si secrets, presque invisibles, employés par certains artistes modernes à la place de la ficelle unique qui avait nom : l'Intrigue.

 

En somme, si le romancier d'hier choisissait et racontait les crises de la vie, les états aigus de l'âme et du cœur, le romancier d'aujourd'hui écrit

Guy DE MAUPASSANT (1850-1893)

Les multiples avatars du roman

L'étude sur le roman a servi de préface à Pierre et Jean. Préface justement célèbre, dans laquele Maupassant dégageait, en formules heureuses, certains points essentiels de l'esthétique du roman.

 

Je n'ai point l'intention de plaider ici pour le petit roman qui suit. Tout au contraire les idées que je vais essayer de faire comprendre entraîneraient plutôt la critique du genre d'étude psychologique que j'ai entrepris dans Pierre et Jean.

 

Je veux m'occuper du Roman en général.

 

Je ne suis pas le seul à qui le même reproche soit adressé par les mêmes critiques, chaque fois que paraît un livre nouveau.

 

Au milieu de phrases élogieuses, je trouve régulièrement celle-ci, sous les mêmes plumes :

 

— Le plus grand défaut de cette œuvre c'est qu'elle n'est pas un roman à proprement parler.

 

On pourrait répondre par le même argument :

 

— Le plus grand défaut de l'écrivain qui me fait l'honneur de me juger, c'est qu'il n'est pas un critique.

maupassant

« Guy de Maup assant Quels sont en effet les carac tères essentiels du critique ? Il faut que, sans parti pris , sa ns opinions préconçues, sans idées d'école, sa ns attaches avec aucune famille d'artist es, il com prenne, distingue et ex plique toutes les tenda nces les plus opposées, les tempéramen ts les plus co ntrair es, et adm ette les recherches d'art les plus diverses.

Or, le critique qui, après Manon Lescaut, Paul et Vir ginie , Don Quichot te, Les Liaisons dangereus es, Werth er, Les Affinités électives, Clarisse H ar lowe, Émile , Cand ide, Cinq -Mars, René, Les Trois Mousquetair es, Mauprat, Le Père Goriot, La Cousine Bette, Colomba, Le Roug e et le Noir, Mademo iselle de Maupin , Notre-D ame de Paris , Sal ammbô, Madame Bovary, Adolphe, 1l.f.

de Camors, L'Assomm oir, Sapho, etc., ose encor e écrire : « Cec i est un roman et cela n'en est pas un >>, me paraît doué d'une perspic acité qui res­ se mble fort à de l'inco mpéte nce.

Généra lement ce critique entend par roman une aventu re plus ou moins vraise mblable , arrangée à la façon d'une pièce de thé âtre en trois actes dont le premier contient l'expos ition, le second l'action et le troisième le dénouement.

Cette manière de composer est absolument admissible à la cond ition qu 'on acceptera également toutes les autres.

Existe-t-il des règles pour faire un roman, en dehors desquelles une histoire écrite devra it porter un autre nom ? Si Don Quichot te est un roman, Le Roug e et le Noir en est-il un autre ? Si Ma nte- Cristo est un roman, L'Assomm oir en est-il un ? Peu t-on établir une compa raison entre Les Affinités électives de Gœ the, Les Trois Mousque­ tai res de Dumas, Madame Bovary de Flaubert, M.

de Camors de M.

O.

Feuillet et Germinal de M.

Zola ? La quelle de ces œuvres est un roman ? Quelles sont ces fameuses règles? D'o ù vie nnen t-elles ? Qui les a étab lies? En vertu de quel principe, de quelle autorité et de quels raisonne ments ? Il semble cependant que ces critiques savent d'une façon certaine, in dubitab le, ce qui constitue un roman et ce qui le distingue d'un autre, qui n'en est pas un.

Cela signifie tout simplement que, sans être des pro­ ducteurs, ils son t enrégimentés dans une école, et qu'ils rejettent, à la façon des rom anciers eux-mêmes , tou tes les œuvres conçues et exécutées en deh ors de leur esthéti que.

Un critique intelligent devrait, au contraire , rechercher tout ce qui resse mble le moins aux romans déjà fai ts, et pousser autant que possible les jeunes gens à tenter des voies nouvelles.

Préface de Pie rre et jean, septembre I887, Ollendorf et Albin Michel .. »

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