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J. Guéhenno (1890-1978), Ce que je crois.

Publié le 27/04/2011

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Former des hommes ne peut consister qu'à provoquer en eux ce mouvement continu de la pensée et à les préparer à de nouvelles exigences. C'est là les mettre en état de vérité, non la leur enseigner comme toute faite et déjà acquise, mais les mettre en garde contre tout ce qui n'est pas encore elle et leur apprendre à la chercher et à ne se plaire que dans cet air vif de loyauté et d'évidence qui rayonne d'elle, quand elle est là, comme la lumière rayonne du soleil. Si l'on ne peut espérer conduire tous les esprits jusqu'à cet état critique, du moins faut-il y tendre. Tout l'enseignement des écoles devrait, de cycle en cycle, consister en des « lecti&es « successives du monde. La première ne serait que l'occasion d'un premier émerveillement devant les êtres et les choses et les mots qui les nomment : elle révélerait aux enfants leur pouvoir de sentir et d'imaginer. La seconde chercherait à provoquer toutes les formes de l'intelligence et de la curiosité. La troisième, plus critique et plus raisonneuse, trierait décidément les esprits selon leurs plus nettes aptitudes et fixerait les personnalités, mais nous ramènerait tous ensemble au sens du général et à nos communs problèmes. Ainsi aurions-nous quelque chance de devenir, autant qu'il nous est possible, les maîtres de notre vie et de notre monde. J'ai beaucoup vécu dans ces immenses usines du savoir que sont les lycées et les universités d'aujourd'hui. J'ai même, un temps de ma vie, eu part à la charge d'en surveiller le fonctionnement. Toute la gentillesse des enfants, tout le dévouement des maîtres ont de plus en plus de peine à garder un air d'humanité à l'énorme travail qui s'y fait, à résister à la lourdeur grandissante des programmes qui est celle des choses elles-mêmes à mesure qu'elles sont mieux connues et deviennent matières d'enseignement, à cette mécanisation, à cette industrialisation du savoir qui répond à celle du monde lui-même. Dans cette immense machinerie, on peut craindre que nous ne devenions nous-mêmes machines. Il semble, par comble, que les hommes, individuellement, soient menacés de perdre leur monde, à mesure que l'homme le connaît mieux. Les plus sincères professions de foi humanistes couvrent dans la réalité un enseignement malgré lui de plus en plus utilitaire et « fonctionnel «, selon un mot à la mode qui, si nous n'y prenons garde, pourra bien fabriquer une nouvelle espèce d'hommes, des robots-savants, d'ailleurs assez efficaces chacun dans leur petit quartier, mais déshumanisés. Nous savons telles villes artificielles surgies récemment de la terre où dès maintenant cette sorte de culture industrialisée est parvenue à un point de quasi-perfection. Les hommes y végètent dans un terrible ennui. Quelque suffisance, il est vrai, parfois les console et les aide à se supporter eux-mêmes. Car ces nouveaux métiers, un peu étroits mais puissants et qui peuvent mettre aux mains du premier venu la foudre même de Jupiter, ne rendent pas modeste. Comment être modeste, planté au milieu d'un champ où s'opèrent sur votre ordre des transformations magiques ? Mais ce petit plaisir de vanité ne peut longtemps suffire, et les sorciers s'ennuient. Les soirs sont tristes dans ces cantons du monde abstraits et fantasmagoriques, où il n'y a plus ni ciel, ni étoiles, rien que des lampes qui font de la nuit le jour que le travail jamais ne s'arrête. J. Guéhenno (1890-1978), Ce que je crois.

Vous ferez d'abord de ce texte, à votre gré, un résumé (en suivant le fil du texte) ou une analyse (en reconstituant la structure logique de la pensée, c'est-à-dire en mettant en relief l'idée principale et les rapports qu'entretiennent avec elle, les idées secondaires). Dans une seconde partie, que vous intitulerez discussion, vous dégagerez du texte un problème qui offre une réelle consistant et qui vous aura intéressé. Vous en préciserez les éléments et vous exposerez vos vues personnelles sous la forme d'une argumentation ordonnée, étayée sur des faits et menant à une conclusion.

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