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Jacques CHARPENTREAU. Les enfants, les livres, les adultes. (Les livres pour les enfants, Editions Ouvrières, 1973, préface.)

Publié le 22/03/2011

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   Il en est du livre comme de tout : l'intérêt et la curiosité s'émoussent avec l'âge. Passé l'enfance et ses découvertes (grâce à l'école, il ne faut pas l'oublier), la plupart des adultes se laissent happer par la gigantesque machine sociale uniformisante et abrutissante. Elle détruit en une guerre intime, secrète, mais impitoyable, la fragile harmonie que l'école — quand elle joue son rôle — et la famille — quand elle existe encore et joue le sien — avaient patiemment équilibrée en nous pendant l'enfance, grâce à l'expression personnelle face au monde et à la fréquentation de la beauté créée par d'autres en des lignes, des sons, des couleurs, des mots.    Les livres pour enfants jouent dans cette formation un rôle qu'il ne faut pas sous-estimer. Nous parcourons le monde avec le Capitaine Nemo, nous franchissons le miroir avec Alice, nous passons de Lilliput à Brobdirignag avec Gulliver, nous arrivons à survivre avec Robinson, nous parcourons la France avec les Deux Enfants, nous parlons au cheval avec Delphine et Marinette, nous jouons dans les rues de Paris avec Aline Dupin1. Nous apprenons à lire avec le livre, à rêver, à connaître, à nous trouver nous-mêmes. Héros prestigieux qui ont un visage et une voix secrète, une silhouette que nous reconnaissons entre mille dans notre univers personnel intime — et quelle déception lorsque le cinéma ou la télévision nous impose la vision d'un autre, parfois jusque dans notre domicile !    Il faut que l'enfant s'exerce à d'autres contacts avec le monde que celui qu'il exerce par le truchement de la lecture ; mais cette rencontre par le livre est irremplaçable. On sait bien d'ailleurs que le livre est le produit culturel le plus souple et peut-être le plus puissant, le plus évocateur dans la mesure où les rêves d'un auteur se combinent avec les nôtres, dans la mesure où nous donnons nous-mêmes à ses fantasmes le visage des nôtres.    Tous ceux qui sont attentifs à l'enfance ont conscience de cette puissance du livre — quelles que soient, par ailleurs, les conquêtes qui restent à mener socialement parlant pour que le livre devienne disponible partout pour tous. On commence à bien connaître l'histoire et les genres de la littérature enfantine. On commence à peine à l'étudier en profondeur. Cette relative méconnaissance s'explique aisément par la situation même de l'enfance dans notre société. En effet, on y proclame bien haut la reconnaissance de l'enfance et de ses « prodiges « tout en soumettant les enfants à la même déshumanisation que les adultes. Trop d'enfants sont livrés à eux-mêmes très tôt par des adultes tout entiers tournés vers la satisfaction de leurs besoins personnels : profit et loisirs. Lors des entretiens de Bichat1 de 1972, un pédiatre a révélé que l'une des causes des séjours trop longs de certains enfants à l'hôpital, c'était le désir de leurs parents de passer une fin de semaine tranquille. Sans aller jusqu'à ce cas extrême, on pense trop souvent que l'argent témoigne d'une affection suffisante — par un phénomène très classique de compensation, et parce que l'argent est réellement, pour beaucoup, un étalon de mesure. L'étalon par définition. La famille pousse ainsi de bonne heure l'enfant à devenir un consommateur passif. On ignore les livres qu'il lit, comme on ignore la valeur des films qu'il voit, la signification de la vie qu'il mène, ou la composition chimique des bonbons qu'il suce toute la journée. En outre, il y a eu longtemps chez les gens sérieux une espèce de dédain pour la littérature enfantine — ce qui explique que la critique n'ait pu jouer son rôle que lentement, qu'elle n'arrive pas toujours à s'imposer et d'autant plus que le livre pour enfants est souvent acheté par des adultes qui ignorent tout de son contenu, vendu, parfois, par des libraires qui n'en savent pas plus.    L'épreuve comprend deux parties :    1) Dans une première partie, vous ferez de ce texte, à votre gré, un résumé ou une analyse, en indiquant nettement en tête de la copie la nature de votre choix.    2) Dans une deuxième partie, intitulée discussion, vous dégagerez du texte un problème qui offre une réelle consistance et qui vous aura intéressé. Vous l'exposerez en précisant le point de vue de l'auteur. Vous présenterez ensuite votre opinion personnelle sous la forme d'une argumentation ordonnée menant à une conclusion.

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