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Jacques Lacarrière, L'Été Grec

Publié le 30/03/2011

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A l'époque où je la parcourus ainsi à pied ou à mulet, dans ces provinces du sud et de l'ouest, peu d'étrangers s'aventuraient dans ces régions arides, totalement dépourvues de la moindre infrastructure touristique, comme on dit aujourd'hui. La seule infrastructure qui existait alors, en matière de logement et nourriture, c'était, au hasard des rencontres et des villes, l'hospitalité de la Crète elle-même. Mais bien qu'elle fût toujours spontanée, il fallait aussi d'une certaine façon la provoquer, ou en tout cas la justifier. Car être reçu dans une maison est une chose, devenir pour un soir un hôte véritable et un ami en est une autre. Il est difficile de définir avec précision les frontières séparant ce que j'appellerai l'hospitalité rituelle — celle qu'on reçoit par principe dès qu'on se trouve dans un village grec ou crétois dépourvu d'hôtel — de l'hospitalité réelle, celle que l'on vous propose parce que l'on tient à vous avoir, à vous garder. Passer de l'une à l'autre, devenir hôte recherché après n'avoir été qu'hôte recueilli, ne dépend plus que de vous-même. Ce changement repose sur mille attitudes de détail, mille signes devenus aujourd'hui sans valeur mais qui ont dû jouer un grand rôle autrefois quand l'hospitalité était le seul mode d'accueil et de rencontre des groupes ou des individus. Ces signes? Eh bien votre tête, pour commencer, l'impression immédiate que vous donnez avec votre regard, votre visage (car l'habillement, l'allure ne viennent que bien ensuite : ceux-là on peut les fabriquer comme on veut, se donner l'apparence qu'on veut mais on ne change pas le sens, la profondeur ou la malignité de son regard), impression qui repose bien entendu sur quelque substrat inconscient et qui fait qu'on vous ressent d'emblée comme bénéfique ou indifférent, amical ou hostile, proche ou lointain. Et puis votre attitude, votre comportement à l'égard du nouveau milieu et de ses habitudes (ce qui n'est pas toujours sans problèmes concrets, drôles ou pénibles selon les cas), attitude qui doit faire de vous un hôte à la fois invisible et présent : invisible parce que vous devez oublier vos propres habitudes, vous fondre autant que possible dans le nouveau milieu, présent parce qu'au fond, ce qu'on attend de vous n'est pas que vous deveniez brusquement crétois pour un seul soir, mais d'être et de rester un visiteur français chez les Crétois, avec tout ce que vous pouvez apporter, fournir à votre tour d'insolite ou simplement de méconnu. Ces remarques paraîtront peut-être banales et superflues et pourtant, ces voyages dans la Crète du sud où, pendant des jours et des jours je n'ai vécu qu'ainsi, de village en village, de familles en familles, d'hôtes en hôtes, ces voyages n'ont pas seulement métamorphosé les habitudes de mon corps mais surtout ma façon d'être avec les autres. Ils ont créé en moi ce goût, ce besoin même de rencontres avec les inconnus, cette confiance immédiate à l'égard des autres (qui en dépit de tous les pronostics n'a jamais été démentie par les faits depuis tant et tant d'années que je voyage ainsi, à croire que parmi les signes invisibles et nécessaires à ces rencontres, figure d'abord la confiance). Rien de tout cela ne s'apprend évidemment à la Sorbonne ni en aucune école mais seulement sur le terrain, au sens propre du terme : savoir se faire accepter par les autres, arriver à l'improviste sans être jamais un intrus, rester entièrement soi-même, tout en renonçant à ses acquis et à ses habitudes, bref devenir autonome à l'égard de sa naissance et lié à tous les lieux, à tous les êtres qu'on rencontre, c'est cela que m'apprit la Crète. Là, dans ces villages misérables, au milieu de ces familles si pauvres et si chaleureuses pourtant, j'ai pu enfin me délivrer du lieu de ma naissance, rompre ce faux cordon ombilical que tant d'êtres traînent avec eux toute leur vie. Là, j'ai commencé mon apprentissage de véritable voyageur. Qu'est-ce, me direz-vous, qu'un véritable voyageur? Celui qui, en chaque pays parcouru, par la seule rencontre des autres et l'oubli nécessaire de lui-même, y recommence sa naissance. Jacques Lacarrière, L'Été Grec.

1. Selon votre préférence, résumez le texte en suivant le fil du développement ou faites-en une analyse qui, distinguant et ordonnant les thèmes, s'attache à rendre compte de leurs rapports. Inscrivez nettement en tête de l'exercice le mot résumé ou le mot analyse. 2. Choisissez ensuite un problème qui ait dans ce texte une réelle consistance et auquel vous attachez un intérêt particulier ; vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question. Cette seconde partie sera précédée du titre discussion.

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