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Jean-Bertrand Pontalis « L’année de la Chine » dans Le Dormeur éveillé

Publié le 21/01/2020

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chine

Jean-Bertrand Pontalis

« L’année de la Chine » dans Le Dormeur éveillé

Mercure de France, 2004

L’année de la Chine

J’avais cinq ans. Ma famille trouvait que j’avais les yeux en amande, pour un peu elle eût dit bridés. A l’occasion d’une fête costumée, je me retrouve transformé en petit Chinois. J’ai conservé la photographie prise ce jour-là. Rien ne manque : la calotte noire, la blouse soyeuse, le panta-5 Ion bouffant.

Mon frère aîné, qui à neuf ans faisait déjà preuve d’entregent1 avait pour cette même fête revêtu la tenue d’un groom d’hôtel. Nous sourions l’un et l’autre : sourire avenant, malicieux, du groom, nécessairement énigmatique du Chinois.

10 Je me dis aujourd’hui que ces déguisements correspondaient bien au caractère des deux frères. J’étais un enfant réservé, secret, parlant peu, mal à l’aise dans la société des « grandes personnes » alors que mon frère était des leurs. Peut-être les adultes et lui-même s’imaginaient-ils qu’un jour il échangerait son uniforme rouge et sa casquette de groom contre l’habit 15 vert et le bicorne d’académicien.

Une amie de ma mère se vantait de connaître un peintre japonais (entre le Japon et la Chine elle ne faisait pas la différence) qui accepterait de faire mon portrait. La séance de pose fut brève, le prix élevé. Le peintre n’était pas n’importe qui : il s’appelait Foujita. Ma mère jugea le portrait 20 peu ressemblant et surtout trop cher pour ce qu’il était (pour ce que j’étais ?). Elle l’entreposa je ne sais où puis il alla chez mon frère - il s’appropriait ce qu’il pouvait attraper au passage, ce groom très malin ! — avant de me revenir il y a quelque temps de cela. J’étais curieux de déceler ce qui pouvait rester en moi du petit Chinois que je fus.

25 II se trouva que durant cette même année, je crois bien, de la fête costumée suivie de la séance de pose dans l’atelier de Foujita, une « bonne œuvre » proposait aux familles d’adopter — une adoption toute fictive et qui ne coûtait que quelques centaines de francs — un orphelin perdu dans l’immense Chine. Comme j’ai rêvé de ce « frère » inconnu ! Comme je l’ai chéri, cet enfant du bout du monde, ce petit garçon que j’avais sans qu’il le sache sauvé de l’anonymat. Qu’est-il devenu ? Existait-il seulement ? Peut-être cette « bonne œuvre » n’était-elle qu’une escroquerie.

Le pastel de Foujita, je l’ai accroché dans l’encoignure d’une pièce, sous les combles, à la campagne. Quelle que soit la place que j’occupe dans 35 cette pièce, il m'est invisible. Mais il est -là. À l’écart, mais il -est là.

Il n’est pas laissé à l’abandon, il est soigneusement encadré, il n’est pas relégué dans quelque grenier parmi des chaises cassées et des livres rongés par les souris. Il n’est pas non plus mis en évidence. En somme, je me suis contenté de l’adopter, ce petit Chinois en qui je ne me reconnais pas mais 40 pour qui, je l’avoue, je garde une certaine affection. ■ -

1. Entregent : sociabilité, facilité à nouer, des relations.

■ Questions (15 points)

I. UN SOUVENIR INSOLITE 4,5 POINTS

1. Dans les trois premiers paragraphes relevez trois compléments circonstanciels de temps qui renvoient au moment des faits et un qui renvoie au moment de l'écriture. (1,5point)

2. Identifiez avec- précision la valeur du présent dans chacun de ces

emplois : .

« Je me retrouve transformé en petit Chinois » (lignes 2-3)

« Rien ne manque » (ligne 4) (2 points)

3. a) Par quels termes ou expressions le narrateur intervient-il dans son récit pour traduire l’imprécision du souvenir ? Retrouvez-en au moins deux. (9,5 point)

b) Qu’est-ce qui permet d’attester que ce souvenir est imprécis mais bien réel ? (0,5 point)

chine

« AUTOBIOGRAPHIE • SUJET 30 chéri, cet enfant du bout du monde, ce petit garçon que j'avais sans qu'il le sache sauvé de l'anonymat.

Qu'est-il devenu? Existait-il seulement? Peut-être cette« bonne œuvre »n'était-elle qu'une escroquerie.

Le pastel de Foujita, je l'ai accroché dans l'encoignure d'une pièce, sous les combles, à la campagne.

Quelle que soit la place que j'occupe dans as cette pièce, il-m'est.invisible.

Mais il est là.

À l'écart, mais il est là.

Il n'est pas laissé à l'abandon, il est·soigneusement encadré, -il n'est pas relégué dans quelque grenier parmi.des chaises cassées et des livres rongés par les souris.

Il n'est pas non plus mis en évidence.

En somme, je me suis contenté del' adopter, ce petit Chinois en qui je ne me reconnais pas mais 40 pour qui, je l'avoue, je garde une certaine affection.

1.

Entregent : sociabilité, facilité à nouer-.

des relations.

• Questions (15 points) 1.

UN SOUVENIR INS.OLIJ'.E 4,5 POINTS .-1.

Dans les trois premiers paragraphes relevez trois compléments cir­ constanciels de temps qui renvoient au moment des futs et un qui renvoie au moment def écriture.

(1,5 point) .-2.

Identifiez avec· précision la valeur du présent dans chacun de ces emplois: -«Je me retrouve transformé en petit Chinois» (lignes 2-3) « Rien ne manque » (ligne 4) (2 points) .-3.

a) Par quels termes ou expressions le narrateur intervient-il dans son récit pour traduire: l'imprécision du souvenir ? Retrouvez-en au moins deux.

(0,5 point) b) Qu'est-ce qui-.permet d'attester que ce souvenir est imprécis mais bien réel ? (0,5 point} Il.

UNE VISION OCCIDENTALE DE LA CHINE 5 POINTS ..

4.

a) « Ma famille trouvait que j'avais les yeux en amande, pour un peu elle eût dit bridés.

À 1' occasion d'une fête costumée, je me retrouve trans­ formé en petit Chinois.

» (lignes 1 à 3) Quel est le rapport logique entre ces deux phrases ? (0,5 point) b) Transformez ces deux phrases en une.seule, en remplaçant le point par une conjonction de subordination qui mettra ce lien logiC'lue en évidence.

(1 point). »

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