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].-K. HUYSMANS (1848-1907) Au-delà du naturalisme

Publié le 14/01/2018

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huysmans

il ne comportait que peu de moutures. Il était parachevé, irrecommençable pour Flaubert même ; nous en étions donc tous réduits, en ce temps-là, à louvoyer, à rôder par des voies plus ou moins explorées, tout autour.

 

La vertu étant, il faut bien l'avouer, ici-bas, une exception, était par cela même écartée du plan naturaliste. Ne possédant pas le concept catholique de la déchéance et de la tentation, nous ignorions de quels efforts, de quelles souffrances elle est issue ; l’héroïsme de l'âme, victorieuse des embûches, nous échappait. Il ne nous serait pas venu à l'idée de décrire cette lutte, avec ses hauts et ses bas, ses attaques retorses et ses feintes et aussi ses habiles aides qui s’apprêtent très loin souvent de la personne que le Maudit attaque, dans le fond d'un cloître ; la vertu nous semblait l'apanage d'êtres sans curiosités ou dénués de sens, peu émouvante, en tout cas, à traiter, au point de vue de l'art.

 

Restaient les vices ; mais le champ en était, à cultiver, restreint. Il se limitait aux territoires des sept péchés capitaux et encore, sur ces sept, un seul, celui contre le sixième commandement de Dieu, était à peu près accessible.

 

Les autres avaient été terriblement vendangés et il n'y demeurait guère de grappes à égrener. L'Avarice, par exemple, avait été pressurée jusqu'à sa dernière goutte par Balzac et par Hello. L'Orgueil, la Colère, l'Envie, avaient traîné dans toutes les publications romantiques, et ces sujets de drames avaient été si violemment gauchis par l'abus des scènes qu'il eût vraiment fallu du génie pour les rajeunir dans un livre. Quant à la Gourmandise et à la Paresse, elles semblaient pouvoir s'incarner plutôt en des personnages épisodiques et convenir mieux à des comparses qu'à des chefs d’emploi ou à des premières chanteuses de romans de mœurs.

 

La vérité est que l'Orgueil eût été le plus magnifique des forfaits à étudier, dans ses ramifications infernales de cruauté envers le prochain et de fausse humilité, que la Gourmandise remorquant à sa suite la Luxure et la Paresse, le Vol, eussent été matière à de surprenantes fouilles, si l'on avait scruté ces péchés avec la lampe et le chalumeau de l'Église et en ayant la Foi ; mais aucun de nous n'était préparé pour cette besogne ; nous étions donc acculés à remâcher le méfait le plus facile à décortiquer de tous, le péché de Luxure, sous toutes ses formes ; et Dieu sait si nous le remâchâmes ; mais cette sorte de carrousel était court. Quoi qu'on inventât, le roman se pouvait résumer en ces quelques lignes : savoir pourquoi monsieur Un tel commettait ou ne commettait pas l'adultère avec madame Une telle ; si l'on voulait être distingué et se déceler, ainsi qu'un auteur de meilleur ton, l'on plaçait l'œuvre de chair entre une marquise et un comte ; si l’on voulait, au contraire, être un écrivain populacier, un prosateur à la coule, on la campait entre un soupirant de barrière et une fille quelconque ; le cadre seul différait. La distinction me paraît avoir prévalu maintenant dans les bonnes grâces du lecteur, car je vois qu'à l'heure actuelle il ne se repaît guère des amours plébéiennes ou bourgeoises, mais continue à savourer les hésitations de la marquise, allant rejoindre son tentateur dans un petit entresol dont l'aspect

].-K. HUYSMANS (1848-1907)

Au-delà du naturalisme

Huysmans, dès A Rebours, en 1884, était déjà tenté de s'écarter de l'esthétique naturaliste. Il fallait attendre ses réponses à YEnquête de Jules Huret sur l'évolution littéraire, et les premières pages de Là Bas, en 1891, pour le voir exprimer clairement sa condamnation de l'esthétique de Médan. Dans la préface à une réédition d'A Rebours, en 1903, il s’expliquait avec une particulière netteté sur l'état d'esprit qui avait été le sien vingt ans avant.

 

Et, assez mélancoliquement, je tâche de me rappeler, en feuilletant ces pages, la condition d'âme que je pouvais bien avoir au moment où je les écrivis.

 

On était alors en plein naturalisme ; mais cette école, qui devait rendre l'inoubliable service de situer des personnages réels dans des milieux exacts, était condamnée à se rabâcher, en piétinant sur place.

 

Elle n'admettait guère, en théorie du moins, l'exception ; elle se confinait donc dans la peinture de l'existence commune, s'efforçant, sous prétexte de faire vivant, de créer des êtres qui fussent aussi semblables que possible à la bonne moyenne des gens. Cet idéal s'était, en son genre, réalisé dans un chef-d'œuvre qui, a été beaucoup plus que L’Assommoir le parangon du naturalisme, L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert ; ce roman était, pour nous tous, << des Soirées de Médan », une véritable bible ; mais

change suivant la mode tapissière du temps. Tombera ? tombera pas ? cela s'intitule étude psychologique. Moi je veux bien.

 

J'avoue pourtant que, lorsqu'il m'arrive d'ouvrir un livre et que j'y aperçois l'éternelle séduction et le non moins . éternel adultère, je m'empresse de le fermer, n'étant nullement désireux de connaître comment l'idylle annoncée finira. Le volume où il n'y a pas de documents avérés, le livre qui ne m'apprend rien ne m'intéresse plus.

 

Au moment où parut A Rebours, c'est-à-dire en 1884, la situation était donc celle-ci : le naturalisme s'essoufflait à tourner la meule dans le même cercle. La somme d'observations que chacun avait emmagasinée, en les prenant sur soi-même et sur les autres, commençait à s'épuiser. Zola, qui était un beau décorateur de théâtre, s'en tirait en brossant des toiles plus ou moins précises ; il suggérait très bien l'illusion du mouvement et de la vie ; ses héros étaient dénués d'âme, régis tout bonnement par des impulsions et des instincts, ce qui simplifiait le travail de l'analyse. Ils remuaient, accomplissaient quelques actes sommaires, peuplaient d'assez franches silhouettes des décors qui devenaient les personnages principaux de ses drames. Il célébrait de la sorte les halles, les magasins de nouveautés, les chemins de fer, les mines, et les êtres humains égarés dans ces milieux n'y jouaient plus que le rôle d'utilités et de figurants ; mais Zola était Zola, c'est-à-dire un artiste un peu massif, mais doué de puissants poumons et de gros poings.

 

Nous autres, moins râblés et préoccupés d'un art plus subtil et plus vrai, nous devions nous demander si le naturalisme n'aboutissait pas à une impasse et si nous n'allions pas bientôt nous heurter contre le mur du fond.

 

A Rebours, Préface de 1903, Fasquelle.

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« ].-K.

Huysmans il ne comp ortait que peu de mou tures.

Il éta it parachevé, irrecommenç able pou r Flaubert même ; nous en étions donc tous rédui ts, en ce temps-là, à lou voyer, à rô der par des voies plus ou moins explorées , tou t au tour.

La vertu étant, il faut bien l'avouer, ici-bas, une except ion, était par cela même écartée du plan natura liste .

Ne posséd ant pas le concept catho­ lique de la déchéance et de la ten tati on, nous ignorions de quels efforts , de quelles souffrances elle est issue ; l'héroïsme de l'âme, victorieuse des embûches, nous échapp ait.

Il ne nous serait pas venu à l'id ée de décrire cette lutte, avec ses hauts et ses bas, ses atta ques retorses et ses feintes et aussi ses habiles aides qui s'apprêtent très loin souvent de la personne que le Maud it attaq ue, dans le fond d'un cloître ; la vertu nous semblait l'apan age d' êtres sans curiosités ou dénués de sens, peu émouv ante , en tout cas , à tra iter, au point de vue de l'art.

Restaient les vices ; mais le cham p en était , à culti ver, restreint .

Il se li mitait aux territoires des sept péchés capitaux et encore, sur ces sept, un seul, celui contre le sixième commande ment de Dieu, était à peu près acc essible .

Les autres avaient été terrible ment vend angés et il n'y demeurait guère de grappes à égrener.

L'Avar ice, par exem ple, avait été pressurée jusq u'à sa dernière goutte par Balzac et par Hel lo.

L'Orgueil , la Colère , l'Envi e, avaient traîné dans toutes les publications romantiques, et ces sujets de drames avaient été si violemment gauchis par l'abus des scènes qu'il eû t vraiment fallu du génie pour les rajeunir dans un livre .

Quant à la Gour­ mandise et à la Paresse, elles semblaient pouvoir s'inc arner plutôt en des person nages épisod iques et conven ir mieux à des comp arses qu'à des chefs d'em ploi ou à des premières chanteuses de romans de mœ urs.

La vérité est que l'Orgueil eût été le plus magnifiq ue des forfa its à ét udier, dans ses ram ificati ons infernales de cruauté envers le proch ain et de fausse humilit é, que la Gourmand ise remorq uant à sa suite la Luxure et la Pares se, le Vol, eussent été matière à de surprenantes fouil les, si l'on avait scruté ces péchés avec la lampe et le chalumeau de l'É glise et en ayant la Foi ; ma is aucun de nou s n'ét ait prép aré pour cette besogne ; nous étions donc acculés à remâc her le méf ait le plus facile à décor tiquer de tous , le péché de Luxu re, sous toutes ses formes ; et Dieu sait si nou s le remâchâmes ; mais cette sorte de carro usel était court.

Quoi qu'on inventât, le roman se pou vait résumer en ces quelques lignes : sa voir pourquoi mon sieur Un tel com mettait ou ne commet tait pas l'a dult ère avec madame Une telle; si l'on voulait être distingué et se déceler, ainsi qu'un auteur de meilleur ton, l'o n plaça it l'œuvre de chair entre une marq uise et un com te; si l'on voulait, au contraire , être un écrivain popul acie r, un prosa teur à la coule, on la campa it en tre un sou pirant de barrière et une fille quelconq ue ; le cad re seu l différait .

La distinction me paraît avoir prévalu maintenant dans les bon nes grâces du lecteur, car je vois qu'à l'heure actuelle il ne se repaît guère des amou rs plébéie nnes ou bourge oises , ma is con tinue à savou rer les hésitations de la marqui se, allant rej oindre son tentateur dans un petit entresol dont l'aspec t. »

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