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La biologie et les systèmes vivants

Publié le 12/06/2011

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biologie

« C'est sans contredit en biologie que les phénomènes sont les plus complexes et que leurs conditions ou causes prochaines sont les plus difficiles à déterminer ; mais cela n'empêche pas que ces conditions soient toutes matérielles, soit qu'elles tiennent à l'organisme, soit qu'elles tiennent à certaines conditions extérieures. Seulement il y a une complexité immense dans toutes ces conditions, ainsi que nous le verrons plus loin. Ce n'est que par une analyse encore entourée des plus grandes difficultés qu'on peut arriver à comprendre qu'il y a des éléments histologiques sur les propriétés desquels on pourra établir les lois futures de la biologie. Ces éléments vivent dans un milieu spécial à l'être vivant (sang). Or, nous pouvons espérer modifier ce milieu par l'alimentation et par les fonctions des premières voies et, par suite, les manifestations biologiques des éléments. C'est sur ce principe et cette possibilité que se trouve fondée, comme nous le verrons plus tard, toute la médecine expérimentale. « Le médecin peut aussi bien se rendre maître de la nature vivante que le physicien et le chimiste se rendent maîtres de la nature morte. La vie n'est pas un empêchement à cette connaissance et à cette possibilité d'influence, car ce n'est pas elle qu'il s'agit de connaître ; il s'agit seulement de déterminer quelles sont ses conditions matérielles de manifestation, soit à l'état physiologique, soit à l'état pathologique. Or, quelle que soit la nature de la force vitale, on peut dire qu'elle ne diffère pas des forces brutes, en ce sens qu'elle est enchaînée comme elles, dans ses manifestations, à des conditions matérielles fatales ou déterminées par des lois. Il n'y a pas de doute à conserver à cet égard. Ne pouvons-nous pas déjà arrêter, détruire, suspendre ou modifier les phénomènes de la vie à l'aide de divers agents ? Seulement il nous manque de connaître des lois de ces phénomènes, ce qui nous empêche de prévoir avec certitude toutes les modifications que les phénomènes peuvent éprouver à l'état physiologique et pathologique. C'est donc le même but que poursuit la médecine expérimentale aussi bien que la physique et la chimie : c'est de prévoir les phénomènes, afin de s'y soustraire ou de les diriger par la connaissance de leurs lois. «

Claude BERNARD, Principes de médecine expérimentale, PUF « Qui ne se réfère pas au concept de milieu intérieur ne peut pas comprendre les motifs de l'obstination de Claude Bernard à préconiser et à promouvoir une technique expérimentale qu'il ne crée pas sans doute, mais qu'il renouvelle en lui donnant un fondement spécifique : la technique des vivisections, qu'il lui faut défendre à la fois contre les gémissements de la sensiblerie et les objections de la philosophie romantique. "La science antique n'a pu concevoir que le milieu extérieur ; mais il faut, pour fonder la science biologique expérimentale, concevoir de plus un milieu intérieur. Je crois avoir le premier exprimé cette idée et avoir insisté sur elle pour faire mieux comprendre l'application de l'expérimentation aux êtres vivants." Insistons sur ce point : c'est le concept de milieu intérieur qui est donné comme fondement théorique à la technique de l'expérimentation physiologique. Dès 1857, dans la troisième leçon sur les propriétés physiologiques des liquides de l'organisme, Claude Bernard affirme : "Le sang est fait pour les organes, c'est vrai ; mais je ne saurais trop le répéter, il est fait aussi par les organes." Or n'est-ce pas le concept de sécrétion interne, formé deux ans auparavant, qui permet à Claude Bernard cette révision radicale de l'hématologie ? Car la différence est considérable entre le rapport du sang au poumon et le rapport du sang au foie. Dans le premier cas, le sang est l'organe par lequel l'organisme est appliqué au monde inorganique, alors que, dans le second, il est l'organe par lequel l'organisme est appliqué à lui-même, tourné vers lui-même, en rapport avec lui-même. Nous n'hésitons pas à le redire : sans l'idée de sécrétion interne, pas d'idée du milieu intérieur, et sans l'idée du milieu intérieur, pas d'autonomie de la physiologie comme science. [...] « Le concept de milieu intérieur ne suppose pas seulement l'élaboration préalable par Claude Bernard du concept de sécrétion interne, mais aussi la référence à la théorie cellulaire dont il retient [...] l'apport essentiel l'autonomie des éléments anatomiques des organismes complexes et leur subordination fonctionnelle à l'ensemble morphologique. C'est en acceptant résolument la théorie cellulaire [...] que Claude Bernard a permis à la physiologie, sur le plan expérimental de l'analyse des fonctions, de se présenter comme science fondant sa propre méthode. «

Georges CANGUILHEM, Études d'histoire et de philosophie des sciences, Vrin.

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