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La chasse aux records

Publié le 23/04/2011

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   Le record fascine. Un saut à 2,30 mètres, s'il n'augmente que de 1 cm la performance antérieure, n'en appelle pas moins le dithyrambe. Certains y voient la justification de la compétition et il est vrai que nul n'empêchera les humains de chercher à aller toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus vite.    Cependant, en première analyse, on peut en venir à douter de la valeur exemplaire du record. N'irait-il pas jusqu'à décourager le jeune postulant devant l'effort considérable qu'il exige? Ne dévalorise-t-il pas le spectacle sportif? Enfin et surtout, ne conduit-il pas à une escalade qui justifie peu à peu tous les moyens employés, y compris le dopage, ce fléau moderne du sport?    Elle est démodée, l'image du Tchèque Zatopek faisant, pendant qu'il lisait, des exercices destinés à muscler ses jambes. Celle du lanceur de poids américain O'Brien se levant la nuit pour expérimenter, à la lumière des réverbères, la trouvaille technique qui avait surgi dans son sommeil, n'a pas mieux résisté au temps. Sans doute n'a-t-on pas encore épuisé toutes les ressources de l'entraînement et de la technique. Après l'anatomie, la physiologie et la mécanique, d'autres sciences, comme la diététique et la psychologie, permettaient d'envisager des progrès réguliers. Cependant, la course aux records n'a-t-elle pas acquis sa dynamique propre et incontrôlable?    Les lanceurs furent les premiers touchés par le fléau du dopage. Les abus qu'ils commettent aujourd'hui sont tels que les dirigeants britanniques ont proposé de supprimer les quatre lancers (poids, disque, javelot, marteau) du programme des épreuves athlétiques. Proposition radicale, mais insuffisante. Le mal a gagné les sprinters, les sauteurs, et même les coureurs de fond si l'on en croit certaines rumeurs corroborées par des observations troublantes : de plus en plus nombreux sont les champions tirés de l'anonymat par des exploits retentissants qui demeurent sans lendemain. Dans un tel contexte, le choix qui s'offre à l'athlète est clair : ou bien il pratique pour son plaisir en acceptant un rôle de comparse ; ou bien il ne rechigne pas à utiliser tous les moyens de devenir un champion, au risque de compromettre sa santé.    Est-il encore possible de voir, ainsi qu'on le faisait il n'y a pas si longtemps, dans les records « une manifestation supérieure de santé et de volonté, de vigueur physique et morale «? Il faudrait être bien naïf pour accepter de nos jours ce credo sans réserves. Car les meilleurs sont aussi ceux qui trichent le plus. Ce sont pourtant ceux qu'on propose à l'admiration générale, les modèles que les jeunes ont pour but d'imiter. On connaît des garçons de quinze ans qui s'entraînent vingt heures par semaine 1 Lorsque l'entraînement ne suffit plus, la tentation du dopage est forte.    Des voix s'élèvent pour remettre en cause l'utilité de la haute compétition. Elles risquent d'être peu entendues, tant la fièvre des records est universelle. Partout, dans les plus petits clubs comme dans les pays les plus puissants, les records sont devenus le symbole de la réussite et leur absence le signe de la médiocrité.    Ce « signe extérieur de richesse « ne trahit-il pas son époque? Comment ne pas remarquer la similitude du vocabulaire sportif et industriel? Les records officiels sont nés avec ce siècle, à l'époque du plein essor industriel. Au mythe du développement continu de la production, dont les bienfaits rejailliraient sur l'humanité entière, correspondit celui des capacités illimitées des athlètes.    Rien, dans l'histoire du sport, ne justifie une telle prétention. Si souvent invoquée, la sagesse de la Grèce antique est soigneusement ignorée sur ce sujet. De fait, la notion de record était inconnue des Grecs. Par la force des choses, dira-t-on, puisque les chronomètres n'existaient pas. Cependant, les Anciens n'ont jamais eu, dans leurs compétitions sportives, d'autre ambition que de triompher de leurs concurrents (...) : il fallait dépasser la marque du concurrent, mais on ne mesurait pas la distance parcourue de l'engin dans les lancers.    « Tant qu'un sport demeure fidèle à lui-même, a écrit un auteur américain, le seul but de ceux qui l'organisent est le plaisir des participants ; dès qu'on laisse les intérêts des spectateurs prendre le dessus, la corruption est installée et l'essence du jeu est perdue. « Les spectateurs ne sont pas seuls à concourir à rétablissement de nouveaux records. Mais en exigeant des prouesses répétées en contrepartie de leur présence, ils contribuent à agrandir le schisme entre ceux qui pratiquent le sport et ceux qui ne font que le regarder. Les « supermen « entretiennent la passivité de ceux qui se contentent d'accomplir des actions d'éclat par procuration.    Raymond Pointu, « le Monde « du 22 septembre 1973.    • Vous donnerez de ce texte soit un résumé qui en respecte le mouvement, soit une analyse qui, distinguant et ordonnant les thèmes, s'attache à rendre compte de leurs rapports.    Vous choisirez ensuite dans ce même texte un sujet de réflexion que vous jugez important : vous en formulerez l'énoncé et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.   

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