LA FORMATION DES FUTURS CHEFS DE LA CITÉ
Publié le 12/08/2011
Extrait du document
(C'est le rôle de l'éducation de tourner l'âme du jeune homme vers le Bien.)
- Reste la question de distribution : savoir à qui nous communiquerons ces sciences, et de quelle manière. - Evidemment. - Tu te rappelles la sélection initiale des chefs, et les qualités qui ont dicté notre choix? - Oui, bien sûr. - C'est bon, dis-je. Alors pense que ce sont de telles natures qu'il nous faut choisir; ce sont les hommes les plus fermes, les plus courageux, que nous devons préférer, et autant que faire se peut, les plus beaux. En outre, il faut rechercher non seulement des caractères généreux et qui en imposent, mais encore des gens qui possèdent les dispositions naturelles propres à ce genre d'éducation. - Ces dispositions, quelles sont-elles? - Il leur faut posséder, mon brave ami, un goût passionné pour l'étude, et de la facilité pour apprendre. C'est que lorsqu'il s'agit de fortes études, l'âme a bien plus tendance à se dérober que lorsqu'il s'agit de gymnastique. Elle supporte en effet toute la fatigue, celle-ci lui étant personnelle, sans partage avec le corps. - C'est bien exact. - On doit également choisir un sujet pourvu d'une bonne mémoire, résistant et ardent au travail en tout; ou alors comment voudrais-tu qu'un individu consente à soutenir l'effort physique exigé pour mener à bonne fin une affaire d'une telle ampleur? (Cette sélection sera faite parmi les jeunes.) Car on ne saurait croire, avec Solon, qu'un homme âgé est capable d'apprendre beaucoup; il l'est encore moins que d'apprendre à courir. Les grands efforts répétés, c'est bien l'affaire des jeunes. - Nécessairement, fit-il. - Donc, les notions d'arithmétique et de géométrie, comme de toute la propédeutique dont il faut faire précéder l'enseignement de la dialectique, il est nécessaire de les exposer à des esprits encore jeunes, en donnant à cet enseignement une forme qui ne fasse pas de l'étude une contrainte. - Et pourquoi? - Parce que, répondis-je, nul homme libre ne doit rien apprendre servilement. Alors que les travaux physiques accomplis par force n'amoindrissent nullement le corps, la science forcée ne reste pas dans l'âme. - C'est juste, fit-il. - N'instruis donc pas les enfants dans les sciences par la contrainte, excellent ami, mais dans le jeu, pour être, de ton côté, plus à même de distinguer les dispositions naturelles de chacun d'eux. - Ce que tu dis là, c'est la raison même. - Ne te rappelles-tu pas, repris-je, ce que nous avons dit : il faut d'abord donner aux enfants le spectacle de la guerre en les y conduisant à cheval, et, à moins de trop grand danger, les mettre en contact avec elle, et leur faire goûter le sang, comme on fait pour les chiots? - Je me rappelle bien, fit-il. - Dans toutes ces épreuves, continuai-je, physiques ou intellectuelles, épreuves de sang-froid également, celui qui en toute occasion se montrera le plus débrouillard, on le classera à part. - A quel âge? - A l'âge où ils en ont fini avec la gymnastique obligatoire. Car cette période de deux ou trois années ne permet de faire rien d'autre : fatigue et sommeil sont les ennemis de l'étude. Au reste, ce cours constitue l'épreuve de premier ordre entre toutes pour reconnaître ceux qui se distinguent dans les exercices physiques. - C'est évident - Après cette période, ai-je repris, les jeunes gens de vingt ans classés les premiers obtiendront des distinctions supérieures à celles de leurs camarades, et les notions qu'on leur aura données pêle-mêle dans leur enfance, on les leur présentera en les coordonnant, pour qu'ils prennent une vue d'ensemble de leur parenté entre elles et avec la nature de l'être. - Sans doute, fit-il, c'est la seule méthode d'enseignement qui permette une solide fixation des connaissances dans l'esprit. (Cependant on ne doit pas enseigner la philosophie trop tôt.) C'est bien alors la première précaution à prendre, qu'ils n'y goûtent pas trop jeunes? Car il ne t'échappe pas, je pense, que les petits jeunes gens, sitôt qu'ils ont tâté de la dialectique, en abusent comme d'un jeu, en passant toujours à la contradiction : ils imitent ceux qui les confondent, ils prétendent à leur-tour réfuter les autres, et tels que des chiots, ils trouvent leur plaisir à harceler et à déchirer à coups d'objections tous ceux qui les approchent. - C'est tout à fait cela. - Et il se produit encore d'autres petits abus tels que ceux-ci : le maître, dans un tel système, craint ses disciples et les flatte; les disciples, eux, se moquent de leurs maîtres comme aussi de leurs précepteurs. En bref, les jeunes imitent les vieux et leur disputent le droit à la parole et aux actes, tandis que les vieux, condescendants à l'égard des jeunes, se font pleins d'enjouement et de gentillesse; ils imitent les plus jeunes pour n'avoir pas l'air rébarbatifs et despotiques.
PLATON. La République, Livres VII et VIII. Trad. MILLEPIERRES, Hatier.
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