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La Main Gauche Il dit dès la porte: --V'là qu'on a volé un lapin, l'gros gris.

Publié le 11/04/2014

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La Main Gauche Il dit dès la porte: --V'là qu'on a volé un lapin, l'gros gris. Elle se retourna si vite qu'elle se trouva assise par terre, et regardant son mari avec des yeux désolés: --Qué qu'tu dis, Cacheux! qu'on a volé un lapin? --L'gros gris. --L'gros gris? Elle soupira. --Qué misère! qué qu'a pu l'vôlé, çu lapin. C'était une petite femme maigre et vive, propre, entendue à tous les soins de l'exploitation. Lecacheur avait son idée. --Ça doit être çu gars de Polyte. La fermière se leva brusquement, et d'une voix furieuse: --C'est li! c'est li! faut pas en trâcher d'autre. C'est li! Tu l'as dit, Cacheux! Sur sa maigre figure irritée, toute sa fureur paysanne, toute son avarice, toute sa rage de femme économe contre le valet toujours soupçonné, contre la servante toujours suspectée, apparaissaient dans la contraction de la bouche, dans les rides des joues et du front. --Et qué que t'as fait? demanda-t-elle. --J'ai envéyé quéri les gendarmes. Ce Polyte était un homme de peine employé pendant quelques jours dans la ferme et congédié par Lecacheur après une réponse insolente. Ancien soldat, il passait pour avoir gardé de ses campagnes en Afrique des habitudes de maraude et de libertinage. Il faisait, pour vivre, tous les métiers. Maçon, terrassier, charretier, faucheur, casseur de pierres, ébrancheur, il était surtout fainéant; aussi ne le gardait-on nulle part et devait-il par moments changer de canton pour trouver encore du travail. Dès le premier jour de son entrée à la ferme, la femme de Lecacheur l'avait détesté; et maintenant elle était sûre que le vol avait été commis par lui. Au bout d'une demi-heure environ, les deux gendarmes arrivèrent. Le brigadier Sénateur était très haut et maigre, le gendarme Lenient, gros et court. Lecacheur les fit asseoir, et leur raconta la chose. Puis on alla voir le lieu du méfait afin de constater le bris de la cabine et de recueillir toutes les preuves. Lorsqu'on fut rentré dans la cuisine, la maîtresse apporta du vin, emplit les verres et demanda avec un défi dans l'oeil: --L'prendrez-vous, c'ti-là? LE LAPIN 37 La Main Gauche Le brigadier, son sabre entre les jambes, semblait soucieux. Certes, il était sûr de le prendre si on voulait bien le lui désigner. Dans le cas contraire, il ne répondait point de le découvrir lui-même. Après avoir longtemps réfléchi, il posa cette simple question: --Le connaissez-vous, le voleur? Un pli de malice normande rida la grosse bouche de Lecacheur qui répondit: --Pour l'connaître, non, je l'connais point, vu que j'l'ai pas vu vôler. Si j'l'avais vu, j'y aurais fait manger tout cru, poil et chair, sans un coup d'cidre pour l'faire passer. Pour lors, pour dire qui c'est, je l'dirai point, nonobstant, que j'crais qu'c'est çu propre à rien de Polyte. Alors il expliqua longuement ses histoires avec Polyte, le départ de ce valet, son mauvais regard, des propos rapportés, accumulant des preuves insignifiantes et minutieuses. Le brigadier, qui avait écouté avec grande attention tout en vidant son verre de vin et en le remplissant ensuite, d'un geste indifférent, se tourna vers son gendarme: --Faudra voir chez la femme au berqué Severin, dit-il. Le gendarme sourit et répondit par trois signes de tête. Alors, Mme Lecacheur se rapprocha, et tout doucement, avec des ruses de paysanne, interrogea à son tour le brigadier. Ce berger Severin, un simple, une sorte de brute, élevé dans un parc à moutons, ayant grandi sur les côtes au milieu de ses bêtes trottantes et bêlantes, ne connaissant guère qu'elles au monde, avait cependant conservé au fond de l'âme l'instinct d'épargne du paysan. Certes, il avait dû cacher, pendant des années et des années, dans des creux d'arbre ou des trous de rocher tout ce qu'il gagnait d'argent, soit en gardant les troupeaux, soit en guérissant, par des attouchements et des paroles, les entorses des animaux (car le secret des rebouteux lui avait été transmis par un vieux berger qu'il avait remplacé). Or, un jour, il acheta, en vente publique, un petit bien, masure et champ, d'une valeur de trois mille francs. Quelques mois plus tard, on apprit qu'il se mariait. Il épousait une servante connue pour ses mauvaises moeurs, la bonne du cabaretier. Les gars racontaient que cette fille, le sachant aisé, l'avait été trouver chaque nuit, dans sa hutte, et l'avait pris, l'avait conquis, l'avait conduit au mariage, peu à peu, de soir en soir. Puis, ayant passé par la mairie et par l'église, elle habitait maintenant la maison achetée par son homme, tandis qu'il continuait à garder ses troupeaux, nuit et jour, à travers les plaines. Et le brigadier ajouta: --V'là trois s'maines que Polyte couche avec elle, vu qu'il n'a pas d'abri, ce maraudeur. Le gendarme se permit un mot: --Il prend la couverture au berger. Madame Lecacheur, saisie d'une rage nouvelle, d'une rage accrue par une colère de femme mariée contre le dévergondage, s'écria: --C'est elle, j'en suis sûre. Allez-y. Ah! les bougres de voleux! LE LAPIN 38

« Le brigadier, son sabre entre les jambes, semblait soucieux.

Certes, il était sûr de le prendre si on voulait bien le lui désigner.

Dans le cas contraire, il ne répondait point de le découvrir lui-même.

Après avoir longtemps réfléchi, il posa cette simple question: —Le connaissez-vous, le voleur? Un pli de malice normande rida la grosse bouche de Lecacheur qui répondit: —Pour l'connaître, non, je l'connais point, vu que j'l'ai pas vu vôler.

Si j'l'avais vu, j'y aurais fait manger tout cru, poil et chair, sans un coup d'cidre pour l'faire passer.

Pour lors, pour dire qui c'est, je l'dirai point, nonobstant, que j'crais qu'c'est çu propre à rien de Polyte. Alors il expliqua longuement ses histoires avec Polyte, le départ de ce valet, son mauvais regard, des propos rapportés, accumulant des preuves insignifiantes et minutieuses. Le brigadier, qui avait écouté avec grande attention tout en vidant son verre de vin et en le remplissant ensuite, d'un geste indifférent, se tourna vers son gendarme: —Faudra voir chez la femme au berqué Severin, dit-il. Le gendarme sourit et répondit par trois signes de tête. Alors, Mme Lecacheur se rapprocha, et tout doucement, avec des ruses de paysanne, interrogea à son tour le brigadier.

Ce berger Severin, un simple, une sorte de brute, élevé dans un parc à moutons, ayant grandi sur les côtes au milieu de ses bêtes trottantes et bêlantes, ne connaissant guère qu'elles au monde, avait cependant conservé au fond de l'âme l'instinct d'épargne du paysan.

Certes, il avait dû cacher, pendant des années et des années, dans des creux d'arbre ou des trous de rocher tout ce qu'il gagnait d'argent, soit en gardant les troupeaux, soit en guérissant, par des attouchements et des paroles, les entorses des animaux (car le secret des rebouteux lui avait été transmis par un vieux berger qu'il avait remplacé).

Or, un jour, il acheta, en vente publique, un petit bien, masure et champ, d'une valeur de trois mille francs. Quelques mois plus tard, on apprit qu'il se mariait.

Il épousait une servante connue pour ses mauvaises moeurs, la bonne du cabaretier.

Les gars racontaient que cette fille, le sachant aisé, l'avait été trouver chaque nuit, dans sa hutte, et l'avait pris, l'avait conquis, l'avait conduit au mariage, peu à peu, de soir en soir. Puis, ayant passé par la mairie et par l'église, elle habitait maintenant la maison achetée par son homme, tandis qu'il continuait à garder ses troupeaux, nuit et jour, à travers les plaines. Et le brigadier ajouta: —V'là trois s'maines que Polyte couche avec elle, vu qu'il n'a pas d'abri, ce maraudeur. Le gendarme se permit un mot: —Il prend la couverture au berger. Madame Lecacheur, saisie d'une rage nouvelle, d'une rage accrue par une colère de femme mariée contre le dévergondage, s'écria: —C'est elle, j'en suis sûre.

Allez-y.

Ah! les bougres de voleux! La Main Gauche LE LAPIN 38. »

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