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La Terre resolu a ne parler que le jour ou la

Publié le 11/04/2014

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La Terre resolu a ne parler que le jour ou la Cognette le pousserait a bout, en le faisant chasser; de sorte qu'ils vivaient sur un pied de guerre, lui redoutant d'etre jete dehors comme une vieille bete infirme, elle attendant d'etre assez forte pour exiger cela de Hourdequin, qui tenait a son berger. Dans toute la Beauce, il n'y avait pas un berger qui sut mieux faire manger son troupeau, sans degat ni perte, rasant un champ d'un bout a l'autre, en ne laissant pas une herbe. Le vieux, pris de cette demangeaison de parler qui vide parfois le coeur des gens solitaires, continua: --Ah! si ma garce de femme, avant d'en crever, n'avait pas bu tout mon saint-frusquin, a mesure que je le gagnais, c'est moi qui aurais decampe de la ferme, pour ne pas y voir tant de saletes!... Cette Cognette, en voila une dont les fesses ont plus travaille que les mains! et ce n'est pas bien sur a son merite, c'est a sa peau qu'elle la doit, sa position! Quand on pense que le maitre la laisse coucher dans le lit de sa defunte et qu'elle a fini par l'amener a manger seul avec elle, comme si elle etait sa vraie femme! Faut s'attendre, au premier jour, a ce qu'elle nous foute tous dehors, et lui aussi, par-dessus le marche!... Une salope qui a traine avec le dernier des cochons! Tron, a chaque phrase, serrait les poings davantage. Il avait des coleres sournoises que sa force de geant rendait terribles. --En v'la assez, hein? cria-t-il. Si tu etais encore un homme, je t'aurais claque deja... Elle est plus honnete dans son petit doigt que toi dans toute ta vieille carcasse. Mais Soulas, goguenard, avait hausse les epaules sous la menace. Lui qui ne riait jamais, eut un rire brusque et rouille, le grincement d'une poulie hors d'usage. --Jeannot, va! grand serin! tu es aussi bete qu'elle est maligne! Ah! elle te le montrera sous verre, son pucelage!... Quand je te dis que tout le pays lui a traine sur le ventre! Moi, je me promene, je n'ai qu'a regarder, et j'en vois sans le vouloir, de ces filles qu'on bouche! Mais, elle, ce que je l'ai vue bouchee de fois, non! c'est trop!... Tiens! elle avait quatorze ans a peine, dans l'ecurie, avec le pere Mathias, un bossu qui est mort; plus tard, un jour qu'elle petrissait, contre le petrin meme, avec un galopin, le petit porcher Guillaume, soldat aujourd'hui; et avec tous les valets qui ont passe, et dans tous les coins, sur de la paille, sur des sacs, par terre.... D'ailleurs, pas besoin de chercher si loin. Si tu veux en causer, il y en a un la que j'ai apercu un matin dans le fenil en train de la recoudre, solidement! Il lacha un nouveau rire, et le regard oblique qu'il jeta sur Jean gena beaucoup ce dernier, qui se taisait en arrondissant le dos depuis qu'on parlait de Jacqueline. --Que quelqu'un essaye voir a la toucher, maintenant! gronda Tron, secoue d'une colere de chien a qui on retire un os. Je lui ferai passer le gout du pain, a celui-la! Soulas l'examina un instant, surpris de cette jalousie de brute. Puis, retombe dans l'hebetement de ses longs silences, il conclut de sa voix breve: --Ca te regarde, mon fils. Lorsque Tron eut rejoint la voiture qu'il conduisait au moulin, Jean demeura quelques minutes encore avec le berger, pour l'aider a enfoncer au maillet certaines des crosses; et celui-ci, qui le voyait si muet, si triste, finit par reprendre: --Ce n'est pas la Cognette, au moins, qui te met le coeur a l'envers? QUATRIEME PARTIE 157 La Terre Le garcon repondit non, d'un branle energique de la tete. --Alors, c'est une autre?... Quelle autre donc, que je ne vous ai jamais apercus ensemble? Jean regardait le pere Soulas, en se disant que les vieux, dans ces choses, sont parfois de bon conseil. Il ceda aussi a un besoin d'expansion, il lui conta toute l'affaire, comment il avait eu Francoise et pourquoi il desesperait de la ravoir, apres la batterie avec Buteau. Meme, un instant, il avait craint que celui-ci ne le menat en justice, a cause de son bras casse, qui lui interdisait tout travail, bien qu'a moitie raccommode deja. Mais Buteau, sans doute, avait pense qu'il n'est jamais bon de laisser la justice mettre le nez chez soi. --T'as bouche Francoise, alors? demanda le berger. --Une fois, oui! Il resta grave, reflechit, se prononca enfin. --Faut aller le dire au pere Fouan. Peut-etre bien qu'il te la donnera. Jean s'etonna, car il n'avait pas songe a cette demarche si simple. Le parc etait pose, il partit en decidant que, le soir meme, il irait voir le vieux. Et, tandis qu'il s'eloignait, derriere sa voiture vide, Soulas reprit son eternelle faction, maigre et debout, coupant d'une barre grise la ligne plate de la plaine. Le petit porcher, entre les deux chiens, s'etait mis a l'ombre de la cabane roulante. Brusquement, le vent venait de tomber, l'orage avait coule vers l'est; et il faisait tres chaud, le soleil braisillait dans un ciel d'un bleu pur. Le soir, Jean, quittant le travail une heure plus tot, s'en alla voir le pere Fouan chez les Delhomme, avant le diner. Comme il descendait le coteau, il apercut ceux-ci dans leurs vignes, ou ils degageaient les grappes, en arrachant les feuilles: des pluies avaient trempe la fin de l'autre lune, le raisin murissait mal, il s'agissait de profiter des derniers beaux soleils. Et, le vieux n'y etant point, le garcon pressa le pas, dans l'espoir de causer seul avec lui, ce qu'il preferait. La maison des Delhomme se trouvait a l'autre bout de Rognes, apres le pont, une petite ferme qui s'etait encore augmentee recemment de granges et de hangars, trois corps de batiments irreguliers, enfermant une cour assez vaste, balayee chaque matin, et ou les tas de fumier semblaient faits au cordeau. --Bonjour, pere Fouan! cria Jean de la route, d'une voix mal affermie. Le vieux etait assis dans la cour, une canne entre les jambes, la tete basse. Pourtant, a un second appel, il leva les yeux, finit par reconnaitre celui qui parlait. --Ah! c'est vous, Caporal! Vous passez donc par ici? Et il l'accueillait si naturellement, sans rancune, que le garcon entra. Mais il n'osa pas d'abord lui parler de l'affaire, son courage s'en allait, a l'idee de conter ainsi tout de go la culbute avec Francoise. Ils causerent du beau temps, du bien que ca faisait a la vigne. Encore huit jours de soleil, et le vin serait bon. Puis, le jeune homme voulut lui etre agreable. --Vous etes un vrai bourgeois, il n'y a pas un proprietaire dans le pays si heureux que vous. --Oui, pour sur. --Ah! quand on a des enfants comme les votres, car on irait loin sans en trouver de meilleurs! QUATRIEME PARTIE 158

« Le garcon repondit non, d'un branle energique de la tete. —Alors, c'est une autre?...

Quelle autre donc, que je ne vous ai jamais apercus ensemble? Jean regardait le pere Soulas, en se disant que les vieux, dans ces choses, sont parfois de bon conseil.

Il ceda aussi a un besoin d'expansion, il lui conta toute l'affaire, comment il avait eu Francoise et pourquoi il desesperait de la ravoir, apres la batterie avec Buteau.

Meme, un instant, il avait craint que celui-ci ne le menat en justice, a cause de son bras casse, qui lui interdisait tout travail, bien qu'a moitie raccommode deja. Mais Buteau, sans doute, avait pense qu'il n'est jamais bon de laisser la justice mettre le nez chez soi. —T'as bouche Francoise, alors? demanda le berger. —Une fois, oui! Il resta grave, reflechit, se prononca enfin. —Faut aller le dire au pere Fouan.

Peut-etre bien qu'il te la donnera. Jean s'etonna, car il n'avait pas songe a cette demarche si simple.

Le parc etait pose, il partit en decidant que, le soir meme, il irait voir le vieux.

Et, tandis qu'il s'eloignait, derriere sa voiture vide, Soulas reprit son eternelle faction, maigre et debout, coupant d'une barre grise la ligne plate de la plaine.

Le petit porcher, entre les deux chiens, s'etait mis a l'ombre de la cabane roulante.

Brusquement, le vent venait de tomber, l'orage avait coule vers l'est; et il faisait tres chaud, le soleil braisillait dans un ciel d'un bleu pur. Le soir, Jean, quittant le travail une heure plus tot, s'en alla voir le pere Fouan chez les Delhomme, avant le diner.

Comme il descendait le coteau, il apercut ceux-ci dans leurs vignes, ou ils degageaient les grappes, en arrachant les feuilles: des pluies avaient trempe la fin de l'autre lune, le raisin murissait mal, il s'agissait de profiter des derniers beaux soleils.

Et, le vieux n'y etant point, le garcon pressa le pas, dans l'espoir de causer seul avec lui, ce qu'il preferait.

La maison des Delhomme se trouvait a l'autre bout de Rognes, apres le pont, une petite ferme qui s'etait encore augmentee recemment de granges et de hangars, trois corps de batiments irreguliers, enfermant une cour assez vaste, balayee chaque matin, et ou les tas de fumier semblaient faits au cordeau. —Bonjour, pere Fouan! cria Jean de la route, d'une voix mal affermie. Le vieux etait assis dans la cour, une canne entre les jambes, la tete basse.

Pourtant, a un second appel, il leva les yeux, finit par reconnaitre celui qui parlait. —Ah! c'est vous, Caporal! Vous passez donc par ici? Et il l'accueillait si naturellement, sans rancune, que le garcon entra.

Mais il n'osa pas d'abord lui parler de l'affaire, son courage s'en allait, a l'idee de conter ainsi tout de go la culbute avec Francoise.

Ils causerent du beau temps, du bien que ca faisait a la vigne.

Encore huit jours de soleil, et le vin serait bon.

Puis, le jeune homme voulut lui etre agreable. —Vous etes un vrai bourgeois, il n'y a pas un proprietaire dans le pays si heureux que vous. —Oui, pour sur. —Ah! quand on a des enfants comme les votres, car on irait loin sans en trouver de meilleurs! La Terre QUATRIEME PARTIE 158. »

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