La vie d'Ernest Psichari En 1908, il nous revint plein d'enthousiasme.
Publié le 12/04/2014
Extrait du document
«
Nous y venons pour faire un peu de bien a ces terres maudites.
Mais nous y venons aussi pour nous faire du
bien a nous-memes.
L'Afrique est un des derniers refuges de l'energie nationale, un des derniers endroits ou
nos meilleurs sentiments peuvent encore s'affirmer, ou les dernieres consciences fortes ont l'espoir de trouver
un champ a leur activite tendue. Ce noble pays revela a ce soldat francais les vertus de la guerre: Nous
reviendrons, dit-il, a l'opinion du peuple qui est la guerre.
De l'extreme barbarie, nous sommes passes a
l'extreme civilisation...
Mais qui sait si, par un retour frequent dans l'histoire humaine, nous ne reviendrons
pas au point d'ou nous sommes partis? ...
Il vient une heure ou la violence n'est plus de l'injustice, mais le jeu
naturel d'une ame forte et trempee comme un acier.
Il vient une heure ou la bonte meme cesse d'etre feconde
et devient amollissante et lache.
Alors la guerre n'est plus qu'un indicible poeme de sang et de beaute.[e]
[Note e: Psichari avait rectifie l'exces d'un tel bellicisme.
Mais que ces paroles furent exaltantes pour ceux
qui avaient, comme nous, grandi dans l'enseignement pacifiste et humanitaire!.]
Et voici ce que lut au fond de lui-meme ce fils d'intellectuels: Dans ma patrie, on aime la guerre et
secretement on la desire.
Nous avons toujours fait la guerre.
Non pour conquerir une province.
Non pour
exterminer une nation.
Non pour regler un conflit d'interets.
Ces causes existaient assurement, mais elles
etaient peu de chose.
En verite, nous faisions la guerre pour la guerre, sans nulle autre idee, pour l'amour de
l'art...
Nous la faisions par un naturel besoin de nous depenser et de nous imposer, parce que c'etait notre loi,
notre raison secrete, notre foi.
Cette foi, ce gout francais de l'heroisme, cet elan qui traverse les pages africaines de Psichari, je l'ai retrouve,
cet ete, dans l'ame de maints jeunes hommes; j'ai vu dans leurs yeux briller un secret desir...
Nous devions, deux annees encore, attendre l'evenement qui emploierait cette passion ...]
5.
Charles Peguy, dans l'epitre votive qui termine son Victor Marie, comte Hugo, nous montre Psichari dans
une teriba de cent metres carres, au milieu du desert, avec ses livres.
Sa bibliotheque de campagne, a ce qu'il
nous assure, ne comprenait que: les Pensees de Pascal, les Sermons de Bossuet, le Reglement d'artillerie de
montagne, la Table de logarithmes de Dupuy, et un exemplaire de Servitude et grandeur militaires auquel
Psichari tenait, parce qu'il composait l'unique bagage litteraire du sous-lieutenant de cavalerie Violet qui sut
si bien mourir a Ksar-Teuchane, en Adrar; plus, cinq petits livres qui n'etaient autres que des cahiers de
Peguy lui-meme.
Et, dans ce meme morceau, Peguy cite cette belle lettre de Psichari, datee de Moudjeria:
Voici une terre qui est parfaitement romantique et triplement romantique: par sa nature, son aspect physique,
par le caractere de ses habitants et par l'action que nous y exercons encore.
Histoire de brigands, assassinats,
combats epiques, pillages, sombres intrigues, tout cela fleurit ici comme dans son terrain naturel.
Et tout
conspire a cette impression.
Les aspects du pays, qui ne sont guere jolis, ont cependant une beaute qui leur
vient d'un tragique puissant, une beaute sans grace, mais bizarre et monstrueuse comme un decor du second
Faust.
Des plaines sans eau de l'Agan, ecrasees de soleil, du montueux Tagant et de ses cirques de rochers
noirs, des dunes sans fin de l'Aouker, du noir Assaba, toute vie s'est retiree aujourd'hui et il reste un rude
squelette mineral ou errent de pauvres tentes en poil de chameau et des troupeaux nomades.
Les Maures de
ces contrees desolees sont parmi les plus rudes guerriers qui soient au monde.
Ils nous l'ont fait sentir plus
d'une fois, et nous le feront encore sentir, vraisemblablement.
Cette noble et antique race qui se rattache a
l'Orient mystique (il y a ici des Chiites que les guerres du premier siecle de l'Islam avaient pourtant rejetes
et confines en Perse sur les bords de l'Euphrate) et qui se ramifie vers l'est jusqu'au dela de Tombouctou (les
Kounta du Tagant s'echelonnent ainsi jusqu'au nord de la boucle du Niger), presente un echantillon d'humanite
extremement evolue et ou pourtant la simplicite des moeurs est restee grande, ou l'ardeur du sang primitif est
restee vierge.
Ces gens d'esprit tres cultive generalement, retors en politique, habiles dans la discussion, et qui,
en religion, vont jusqu'au mysticisme le plus ardent (Cheickh el Ghaswani devore en ce moment un traite de La vie d'Ernest Psichari
NOTES ET DOCUMENTS 16.
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