L'Argent Enfin, on entra en séance.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Lorsque Hamelin cessa de lire, il se produisit un brouhaha d'approbation.
C'était parfait, pas une observation
à faire.
Pendant tout le temps qu'avait duré la lecture, Daigremont, très intéressé par un examen soigneux de
ses ongles, avait souri à des pensées vagues ; et le député Huret, renversé dans son fauteuil, les yeux clos,
sommeillait à demi, se croyant à la Chambre ; tandis que Kolb, le banquier, tranquillement, sans se cacher,
s'était livré à un long calcul, sur les quelques feuilles de papier qu'il avait devant lui, ainsi que chaque
administrateur.
Pourtant, Sédille, toujours anxieux et méfiant, voulut poser une question : que deviendraient
les actions abandonnées par ceux des actionnaires qui ne voudraient pas user de leur droit ? la société les
garderait-elle à son compte, ce qui était illicite, puisque la déclaration légale ne pouvait avoir lieu, chez le
notaire, que lorsque le capital était intégralement souscrit ? et, si elle s'en débarrassait, à qui et comment
comptait-elle les céder ? Mais, dés les premiers mots du fabricant de soie, le marquis de Bohain, voyant
l'impatience de Saccard, lui coupa la parole, en disant, de son grand air noble, que le conseil s'en remettait de
ces détails à son président et au directeur, tous les deux si compétents et si dévoués.
Et il n'y eut plus que des
congratulations, la séance fut levée au milieu du ravissement de tous.
Le lendemain, l'assemblée générale donna lieu à des manifestations vraiment touchantes.
Elle se tint encore
dans la salle de la rue Blanche, où un entrepreneur de bals publics avait fait faillite ; et, avant l'arrivée du
président, dans cette salle déjà pleine, couraient les meilleurs bruits, un surtout qu'on se chuchotait à oreille :
violemment attaqué par l'opposition grandissante, Rougon, le ministre, le frère du directeur, était disposé à
favoriser l'Universelle, si le journal de la société, L'Espérance , un ancien organe catholique, défendait le
gouvernement.
Un député de la gauche venait de lancer le terrible cri " Le 2 décembre est un crime ! " qui
avait retenti d'un bout de la France à l'autre, comme un réveil de la conscience publique.
Il était nécessaire de
répondre par de grands actes, la prochaine Exposition universelle décuplerait le chiffre des affaires, on allait
gagner gros au Mexique et ailleurs, dans le triomphe de l'empire à son apogée.
Et, parmi un petit groupe
d'actionnaires, qu'endoctrinaient Jantrou et Sabatani, on riait beaucoup d'un autre député qui, lors de la
discussion sur l'armée, avait eu l'extraordinaire fantaisie de proposer d'établir en France le système de
recrutement de la Prusse.
La Chambre s'en était amusée : fallait-il que la terreur de la Prusse troublât
certaines cervelles, à la suite de l'affaire du Danemark et sous le coup de la rancune sourde que nous gardait
l'Italie, depuis Solferino ! Mais le bruit des conversations particulières, le grand murmure de la salle, tomba
brusquement, lorsque Hamelin et le bureau parurent.
Plus modeste encore que dans le conseil de surveillance,
Saccard s'effaçait, perdu au milieu de la foule ; et il se contenta de donner le signal des applaudissements,
approuvant le rapport qui soumettait à l'assemblée les comptes du premier exercice, revus et acceptés par les
commissaires- censeurs, Lavignière et Rousseau, et qui lui proposait de doubler le capital.
Elle seule était
compétente pour autoriser cette augmentation, qu'elle décida d'ailleurs d'enthousiasme, absolument grisée par
les millions de la Compagnie générale des Paquebots réunis et de la Banque nationale turque, reconnaissant la
nécessité de mettre le capital en rapport avec l'importance que l'Universelle allait prendre.
Quant aux mines
d'argent du Carmel, elles furent accueillies par un frémissement religieux.
Et, lorsque les actionnaires se
furent séparés, en votant des remerciements au président, au directeur et aux administrateurs, tous rêvèrent du
Carmel, de cette miraculeuse pluie d'argent, tombant des lieux saints, au milieu d'une gloire.
Deux jours après, Hamelin et Saccard, accompagnés cette fois du vice- président, le vicomte de
Robin-Chagot, retournèrent rue Sainte-Anne, chez maître Lelorrain pour déclarer l'augmentation du capital,
qu'ils affirmaient avoir été intégralement souscrit.
La vérité était que trois mille actions environ, refusées par
les premiers actionnaires à qui elles appartenaient de droit, restaient aux mains de la société, laquelle les
passa de nouveau au compte Sabatani, par un jeu d'écritures.
C'était l'ancienne irrégularité, aggravée, le
système qui consistait à dissimuler dans les caisses de l'Universelle une certaine quantité de ses propres
valeurs, une sorte de réserve de combat, qui lui permettait de spéculer, de se jeter en pleine bataille de
Bourse, s'il le fallait, pour soutenir les cours, au cas d'une coalition de baissiers.
D'ailleurs, Hamelin, tout en désapprouvant cette tactique illégale, avait fini par s'en remettre complètement à
Saccard, pour les opérations financières ; et il y eut une conversation à ce sujet, entre eux et Mme Caroline,
relative seulement aux cinq cents actions qu'il les avait forcés de prendre, lors de la première émission, et que L'Argent
V 92.
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