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L'Argent qu'on lui rapportait de toutes parts.

Publié le 11/04/2014

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L'Argent qu'on lui rapportait de toutes parts. Les portes de son cabinet immense claquaient, tout son personnel tremblait de sa colère, il accueillit les remisiers si brutalement, que leur défilé accoutumé se tournait en un galop de déroute. " Ah ! c'est vous, dit Gundermann à la baronne, sans politesse aucune. Je n'ai pas de temps à perdre avec les femmes, aujourd'hui. " Elle en fut déconcertée, au point qu'elle supprima toutes les préparations et lâcha d'un coup la nouvelle qu'elle apportait. " Si l'on vous prouvait que l'Universelle est à bout d'argent, après les achats considérables qu'elle a faits, et qu'elle en est réduite à escompter, à l'étranger, du papier de complaisance, pour continuer la campagne ? " Le juif avait réprimé un tressaillement de joie. Son oeil restait mort, il répondit de la même voix grondeuse. " Ce n'est pas vrai. Comment ! pas vrai ? Mais j'ai entendu de mes oreilles, j'ai vu de mes yeux. " Et elle voulut le convaincre, en lui expliquant qu'elle avait eu entre les mains les billets signés par des hommes de paille. Elle nommait ces derniers, elle disait aussi les noms des banquiers, qui, à Vienne, à Francfort, à Berlin, avaient escompté les billets. Ses correspondants pourraient le renseigner, il verrait bien qu'elle ne lui apportait pas un cancan en l'air. De même, elle affirmait que la société avait acheté pour elle, dans l'unique but de maintenir la hausse, et que deux cents millions déjà étaient engloutis. Gundermann, qui l'écoutait de son air morne, réglait déjà sa campagne du lendemain, d'un travail d'intelligence si prompt, qu'il avait en quelques secondes réparti ses ordres, arrêté les chiffres. Maintenant, il était certain de la victoire, sachant bien de quelle ordure lui venaient les renseignements, plein de mépris pour ce Saccard jouisseur, stupide au point de s'abandonner à une femme et de se laisser vendre. Quand elle eut fini, il leva la tête, et, la regardant de ses gros yeux éteints : " Eh bien, qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse, tout ce que vous me racontez là ? " Elle en resta saisie, tellement il paraissait désintéressé et calme. " Mais il me semble que votre situation à la baisse... Moi ! qui vous a dit que j'étais à la baisse ? Je ne vais jamais à la Bourse, je ne spécule pas... Tout ça m'est bien égal ! " Et sa voix était si innocente, que la baronne, ébranlée, effarée, aurait fini par le croire, sans certaines inflexions d'une naïveté trop goguenarde. Evidemment, il se moquait d'elle, dans son absolu dédain, en homme fini, sans désir aucun. " Alors, ma bonne amie, comme je suis très pressé, si vous n'avez rien de plus intéressant à me dire... " Il la mettait à la porte. Alors, furieuse, elle se révolta. " J'ai eu confiance en vous, j'ai parlé la première... C'est un guet- apens véritable... Vous m'aviez promis, si je vous étais utile, de m'être utile à votre tour, de me donner un conseil... " X 179 L'Argent Se levant, il l'interrompit. Lui qui ne riait jamais, il eut un petit ricanement, tellement cette duperie brutale à l'égard d'une femme jeune et jolie, l'amusait. " Un conseil, mais je ne vous le refuse pas, ma bonne amie... Ecoutez-moi bien. Ne jouez pas, ne jouez jamais. Ça vous rendra laide, c'est très vilain, une femme qui joue. " Et, quand elle s'en fut allée, hors d'elle, il s'enferma avec ses deux fils et son gendre, distribua les rôles, envoya tout de suite chez Jacoby et chez d'autres agents de change, pour préparer le grand coup du lendemain. Son plan était simple : faire ce que la prudence l'avait empêché de risquer jusque-là, dans son ignorance de la véritable situation de l'Universelle ; écraser le marché sous des ventes énormes, maintenant qu'il savait cette dernière bout de ressources, incapable de soutenir les cours. Il allait faire avancer la réserve formidable de son milliard, en général qui veut en finir et que ses espions ont renseigné sur le point faible de l'ennemi. La logique triompherait, toute action est condamnée, qui monte au-delà de la valeur vraie qu'elle représente. Justement, ce jour-là, vers cinq heures, Saccard, averti du danger par son flair, se rendit chez Daigremont. Il était fiévreux, il sentait que l'heure devenait pressante de porter un coup aux baissiers, si l'on ne voulait se laisser battre définitivement par eux. Et son idée géante le travaillait, la colossale armée de six cents millions à lever encore pour la conquête du monde. Daigremont le reçut avec son amabilité ordinaire, dans son hôtel princier, au milieu de ses tableaux de prix, de tout ce luxe éclatant, que payaient, chaque quinzaine, les différences de Bourse, sans qu'on sût au juste ce qu'il y avait de solide derrière ce décor, toujours sous la menace d'être emporté par un caprice de la chance. Jusque-là, il n'avait pas trahi l'Universelle, refusant de vendre, affectant de montrer une confiance absolue, heureux de cette attitude de beau joueur à la hausse, dont il tirait du reste de gros profits ; et même il s'était plu à ne pas broncher, après la liquidation mauvaise du 15, convaincu, disait-il partout, que la hausse allait reprendre, l'oeil aux aguets pourtant, prêt à passer à l'ennemi, dès le premier symptôme grave. La visite de Saccard, l'extraordinaire énergie dont il faisait preuve, l'idée énorme qu'il lui développa de tout ramasser sur le marché le frappèrent d'une véritable admiration. C'était fou, mais les grands hommes de guerre et de finance ne sont-ils pas souvent que des fous qui réussissent ? Et il promit formellement de se porter à son secours, dès la Bourse du lendemain : il avait déjà de fortes positions, il passerait chez Delarocque, son agent, pour en prendre de nouvelles ; sans compter ses amis qu'il irait voir, toute une sorte de syndicat dont il amènerait le renfort. On pouvait, selon lui, chiffrer à une centaine de millions ce nouveau corps d'armée, d'un emploi immédiat. Cela suffirait. Saccard, radieux, certain de vaincre, s'arrêta sur-le-champ le plan de la bataille, tout un mouvement tournant d'une rare hardiesse, emprunté aux plus illustres capitaines d'abord, au début de la Bourse, une simple escarmouche pour attirer les baissiers et leur donner confiance ; puis, quand ils auraient obtenu un premier succès, quand les cours baisseraient, l'arrivée de Daigremont et de ses amis avec leur grosse artillerie, tous ces millions inattendus, débouchant d'un pli de terrain, prenant les baissiers en queue et les culbutant. Ce serait un écrasement, un massacre. Les deux hommes se séparèrent avec des poignées de main et des rires de triomphe. Une heure plus tard, comme Daigremont, qui dînait en ville, allait s'habiller, il reçut une autre visite, celle de la baronne Sandorff. Dans son désarroi, elle venait d'avoir l'inspiration de le consulter. On l'avait un instant dite sa maîtresse ; mais, réellement, il n'y avait eu entre eux qu'une camaraderie très libre d'homme à femme. Tous deux étaient trop félins, se devinaient trop, pour en arriver à la duperie d'une liaison. Elle conta ses craintes, la démarche chez Gundermann, la réponse de celui-ci, en mentant d'ailleurs sur la fièvre de trahison qui l'avait poussée. Et Daigremont s'égaya, s'amusa à l'effarer davantage, l'air ébranlé, près de croire que Gundermann disait vrai, quand il jurait qu'il n'était pas à la baisse ; car est-ce qu'on sait jamais ? c'est un vrai bois que la Bourse, un bois par une nuit obscure, où chacun marche à tâtons. Dans ces ténèbres, si l'on a le malheur d'écouter tout ce qu'on invente d'inepte et de contradictoire, on est certain de se casser la figure. " Alors, demanda-t-elle anxieusement, je ne dois pas vendre ? X 180

« Se levant, il l'interrompit.

Lui qui ne riait jamais, il eut un petit ricanement, tellement cette duperie brutale à l'égard d'une femme jeune et jolie, l'amusait.

" Un conseil, mais je ne vous le refuse pas, ma bonne amie...

Ecoutez-moi bien.

Ne jouez pas, ne jouez jamais.

Ça vous rendra laide, c'est très vilain, une femme qui joue.

" Et, quand elle s'en fut allée, hors d'elle, il s'enferma avec ses deux fils et son gendre, distribua les rôles, envoya tout de suite chez Jacoby et chez d'autres agents de change, pour préparer le grand coup du lendemain.

Son plan était simple : faire ce que la prudence l'avait empêché de risquer jusque-là, dans son ignorance de la véritable situation de l'Universelle ; écraser le marché sous des ventes énormes, maintenant qu'il savait cette dernière bout de ressources, incapable de soutenir les cours.

Il allait faire avancer la réserve formidable de son milliard, en général qui veut en finir et que ses espions ont renseigné sur le point faible de l'ennemi.

La logique triompherait, toute action est condamnée, qui monte au-delà de la valeur vraie qu'elle représente.

Justement, ce jour-là, vers cinq heures, Saccard, averti du danger par son flair, se rendit chez Daigremont.

Il était fiévreux, il sentait que l'heure devenait pressante de porter un coup aux baissiers, si l'on ne voulait se laisser battre définitivement par eux.

Et son idée géante le travaillait, la colossale armée de six cents millions à lever encore pour la conquête du monde.

Daigremont le reçut avec son amabilité ordinaire, dans son hôtel princier, au milieu de ses tableaux de prix, de tout ce luxe éclatant, que payaient, chaque quinzaine, les différences de Bourse, sans qu'on sût au juste ce qu'il y avait de solide derrière ce décor, toujours sous la menace d'être emporté par un caprice de la chance.

Jusque-là, il n'avait pas trahi l'Universelle, refusant de vendre, affectant de montrer une confiance absolue, heureux de cette attitude de beau joueur à la hausse, dont il tirait du reste de gros profits ; et même il s'était plu à ne pas broncher, après la liquidation mauvaise du 15, convaincu, disait-il partout, que la hausse allait reprendre, l'oeil aux aguets pourtant, prêt à passer à l'ennemi, dès le premier symptôme grave.

La visite de Saccard, l'extraordinaire énergie dont il faisait preuve, l'idée énorme qu'il lui développa de tout ramasser sur le marché le frappèrent d'une véritable admiration.

C'était fou, mais les grands hommes de guerre et de finance ne sont-ils pas souvent que des fous qui réussissent ? Et il promit formellement de se porter à son secours, dès la Bourse du lendemain : il avait déjà de fortes positions, il passerait chez Delarocque, son agent, pour en prendre de nouvelles ; sans compter ses amis qu'il irait voir, toute une sorte de syndicat dont il amènerait le renfort.

On pouvait, selon lui, chiffrer à une centaine de millions ce nouveau corps d'armée, d'un emploi immédiat.

Cela suffirait.

Saccard, radieux, certain de vaincre, s'arrêta sur-le-champ le plan de la bataille, tout un mouvement tournant d'une rare hardiesse, emprunté aux plus illustres capitaines d'abord, au début de la Bourse, une simple escarmouche pour attirer les baissiers et leur donner confiance ; puis, quand ils auraient obtenu un premier succès, quand les cours baisseraient, l'arrivée de Daigremont et de ses amis avec leur grosse artillerie, tous ces millions inattendus, débouchant d'un pli de terrain, prenant les baissiers en queue et les culbutant.

Ce serait un écrasement, un massacre.

Les deux hommes se séparèrent avec des poignées de main et des rires de triomphe.

Une heure plus tard, comme Daigremont, qui dînait en ville, allait s'habiller, il reçut une autre visite, celle de la baronne Sandorff.

Dans son désarroi, elle venait d'avoir l'inspiration de le consulter.

On l'avait un instant dite sa maîtresse ; mais, réellement, il n'y avait eu entre eux qu'une camaraderie très libre d'homme à femme. Tous deux étaient trop félins, se devinaient trop, pour en arriver à la duperie d'une liaison.

Elle conta ses craintes, la démarche chez Gundermann, la réponse de celui-ci, en mentant d'ailleurs sur la fièvre de trahison qui l'avait poussée.

Et Daigremont s'égaya, s'amusa à l'effarer davantage, l'air ébranlé, près de croire que Gundermann disait vrai, quand il jurait qu'il n'était pas à la baisse ; car est-ce qu'on sait jamais ? c'est un vrai bois que la Bourse, un bois par une nuit obscure, où chacun marche à tâtons.

Dans ces ténèbres, si l'on a le malheur d'écouter tout ce qu'on invente d'inepte et de contradictoire, on est certain de se casser la figure.

" Alors, demanda-t-elle anxieusement, je ne dois pas vendre ? L'Argent X 180. »

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