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Le Corricolo Ma sincerite d'historien m'oblige a faire un aveu, quelque effort qu'il en coute a mon amitie.

Publié le 11/04/2014

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amitie
Le Corricolo Ma sincerite d'historien m'oblige a faire un aveu, quelque effort qu'il en coute a mon amitie. Tout ce que je voyais et tout ce que j'entendais me paraissait si nouveau, si etrange et pourtant si simple, que j'avais completement oublie Jadin, Jadin avec lequel j'avais jusque alors partage en frere mes plaisirs et mes peines, mes impressions douces ou penibles, ma bonne et ma mauvaise fortune; Jadin que j'avais laisse dans l'affreux bouge que vous savez, a peu pres dans la position d'Ugolin, plus Milord, moins les cadavres de ses enfans. Oui, je l'avais oublie! Mais je dois le dire aussi a mon honneur: a la seule idee de repas, je me souvins de mon ami, et me penchant a l'oreille du petit Salvator, je lui dis a voix basse: --J'ai mille graces a vous rendre pour votre bonne hospitalite; je dois cependant vous declarer que je n'accepterai le diner que vous m'offrez qu'a la condition que mon camarade aussi en profitera. Songez donc qu'il se morfond a cette heure, un peu par votre faute, dans cette horrible caverne ou vous nous avez envoyes. Il peut bien se passer d'admirer vos tableaux, puisque tel est votre bon plaisir, mais je ne puis pas sans crime et sans remords le laisser mourir de faim la-bas, tandis que je nage ici dans l'abondance. --Soyez tranquille; je ne suis pas aussi mechant diable que j'en ai l'air. Votre ami aura sa part du festin. Seulement, comme il s'est un peu trop moque de mes guenilles, on la lui servira a la nobile locanda del Sole. Et sans plus m'ecouter il tourna lestement sur ses talons. --Enfin, dit le vieillard en respirant, il nous laisse un peu en repos! Venez, venez, signor forestiere, mes chefs-d'oeuvre vous attendent. --A vos ordres, signor pittore, lui repondis-je en m'inclinant. Alors il poussa la porte par laquelle j'etais entre, ecarta doucement une vieille tapisserie qui masquait une seconde porte interieure, celle que nous avions entendu fermer a notre arrivee, tira une cle de sa poche, ouvrit cette seconde porte et me fit passer dans une petite piece d'une architecture simple et severe, qui n'avait pour tout ameublement que deux chaises et une armoire. --Ah ca! mon cher hote, lui dis-je en m'asseyant sans facon, mais c'est une veritable chapelle que vous me montrez la, et je commence a croire que vos tableaux pourraient bien etre des reliques. --Vous me rappelez, monsieur, toutes les persecutions que je me suis attirees par ma persistance a garder mes chefs-d'oeuvre. On m'a traite tantot de fou, tantot d'egoiste, quelquefois de sorcier, quelque autre fois de saint. Tout cela, je vous le repete, parce que j'ai entoure ces peintures d'une espece de culte, parce que je n'ai jamais pu me decider a les vendre aux juifs ou a les montrer aux sots. J'ai vu passer les habitans de Sainte-Agathe de la curiosite a l'envie, et de l'envie a la superstition. Croiriez-vous qu'ils sont alles jusqu'a pretendre que je devais leur preter mes tableaux pour guerir les hydropiques et pour exorciser les possedes. Un soir, il y a long-temps de cela, la femme d'un de mes voisins etait en mal d'enfant et souffrait d'atroces douleurs. Quant a cela, je la plains, la pauvre femme; mais etait-ce ma faute a moi, si elle ne pouvait pas accoucher? Eh bien! ne voila-t-il pas que ses parens et ses amis s'avisent de venir me demander une de mes images! De mes images! monsieur. Et vous allez voir bientot que dans mes trois tableaux il n'y a pas l'ombre d'un saint. C'est egal, il leur fallait un miracle. Je tins bon au commencement; mais le pays s'ameutait, on menacait d'enfoncer les portes et de mettre le feu a la maison. Il n'y avait pas de temps a perdre. Illumine par une idee subite, a la place du chef-d'oeuvre demande, je leur livre une vieille croute, ouvrage d'un de mes oncles, qui a ete, apres moi, le plus mauvais barbouilleur de la famille. Le tumulte s'apaise, on recoit avec des cris de joie le vieux tableau tout noirci de fumee et de poussiere, on le porte en procession a la maison du voisin, on allume des cierges, on se prosterne et on entonne les litanies. Miracle! les douleurs cessent, la femme est sauvee: elle accouche de deux jumeaux! Le mari, tout en larmes, veut savoir a quelle sainte effigie il doit l'heureuse delivrance de sa femme. C'est sans doute la Vierge-aux-Sept-Douleurs, ou sainte Elisabeth, ou tout au moins XX. Les Heritiers d'un grand Homme. 332 Le Corricolo sainte Anne. Dans l'exces de sa reconnaissance, il prend une eponge et commence a laver les nombreuses couches de poussiere qui lui cachent les traits de sa celeste protectrice. Tous les yeux sont fixes sur le tableau, toutes les levres repetent des prieres, lorsque sur la toile mise a nu on voit apparaitre tout a coup... Devinez qui, monsieur?... Le portrait d'un vieil avocat en robe noire! A dater de ce jour, on m'a laisse tranquille! --Votre histoire est parfaite, mon cher maitre; mais, en verite, il me tarde de voir enfin ces tableaux qui vous ont donne tant de mal. --Vous avez raison, monsieur, je vous fatigue avec mes redites, mais a mon age il est permis de radoter. --A Dieu ne plaise, mon hote, que vous interpretiez si mal mes paroles. Vos recits m'interessent au plus haut degre, et si j'ai montre quelque impatience... --Allons, allons! voici la premiere de mes reliques, comme vous venez de le dire. Ce n'est, a proprement parler, qu'une esquisse, mais vous y verrez le germe d'un grand genie. Et il tira de l'armoire un petit tableau carre de deux pieds de haut et de deux de large, ota avec toutes sortes de precautions le morceau de drap dont ledit tableau etait enveloppe, et s'approchant de la croisee me montra le precieux croquis dans tout son jour. C'etait prodigieux d'eclat, d'originalite, de vigueur. Peut-etre un critique meticuleux eut trouve a redire sur quelques parties de cette esquisse, peut-etre les lignes n'en etaient-elles pas tres correctes, ni la composition irreprochable; mais il y avait dans cette improvisation de quelques heures une touche si hardie et si franche, une conception si puissante et si naive, une telle verite de details, qu'il etait impossible de ne pas y voir le cachet d'un grand maitre. C'etait a coup sur un souvenir des Calabres ou des Abruzzes. Figurez-vous des rochers noirs, devastes, menacans, suspendus comme un pont sur l'abime; une plaine aride et maudite, eclairee par la lumiere intermittente et livide d'un ciel orageux; de vieux troncs seculaires se tordant sous l'etreinte de l'ouragan, ou calcines par la foudre. Nul vivant n'est temoin de cette scene de desolation et d'horreur; ou plutot dans la lutte affreuse que les elemens livrent a la nature, l'homme a succombe le premier. De quelle mort? Dieu seul le sait! Des os fractures, des lambeaux de chair humaine sont semes ca et la sur le sol, mais nul indice ne pouvait vous dire si le miserable auquel appartenaient ces tristes debris s'est brise le crane en tombant du precipice, ou s'il a ete broye sous la dent des betes feroces. On dirait une page du Dante traduite en peinture. Je tournai et retournai le tableau en tous sens; je l'approchai et l'eloignai de ma vue pour le contempler a mon aise, tandis que le vieillard se frottait les mains de satisfaction et jouissait de ma surprise. --Savez-vous que ce que vous me montrez la est admirable, lui dis-je en lui rendant son esquisse, et que ce petit chef-d'oeuvre, bien qu'il ne soit pas fini, ne deparerait pas le musee des Studi, ou la galerie du prince Borghese? --Ainsi vous ne trouvez pas que j'aie tort d'en avoir le soin que j'en ai? --Bien au contraire. --Et de ne pas jeter mes perles devant... mes compatriotes? --Je ne saurais que vous approuver. --Et d'en avoir refuse six cents ducats du prince de Salerne? XX. Les Heritiers d'un grand Homme. 333
amitie

« sainte Anne.

Dans l'exces de sa reconnaissance, il prend une eponge et commence a laver les nombreuses couches de poussiere qui lui cachent les traits de sa celeste protectrice.

Tous les yeux sont fixes sur le tableau, toutes les levres repetent des prieres, lorsque sur la toile mise a nu on voit apparaitre tout a coup...

Devinez qui, monsieur?...

Le portrait d'un vieil avocat en robe noire! A dater de ce jour, on m'a laisse tranquille! —Votre histoire est parfaite, mon cher maitre; mais, en verite, il me tarde de voir enfin ces tableaux qui vous ont donne tant de mal. —Vous avez raison, monsieur, je vous fatigue avec mes redites, mais a mon age il est permis de radoter. —A Dieu ne plaise, mon hote, que vous interpretiez si mal mes paroles.

Vos recits m'interessent au plus haut degre, et si j'ai montre quelque impatience... —Allons, allons! voici la premiere de mes reliques, comme vous venez de le dire.

Ce n'est, a proprement parler, qu'une esquisse, mais vous y verrez le germe d'un grand genie. Et il tira de l'armoire un petit tableau carre de deux pieds de haut et de deux de large, ota avec toutes sortes de precautions le morceau de drap dont ledit tableau etait enveloppe, et s'approchant de la croisee me montra le precieux croquis dans tout son jour. C'etait prodigieux d'eclat, d'originalite, de vigueur.

Peut-etre un critique meticuleux eut trouve a redire sur quelques parties de cette esquisse, peut-etre les lignes n'en etaient-elles pas tres correctes, ni la composition irreprochable; mais il y avait dans cette improvisation de quelques heures une touche si hardie et si franche, une conception si puissante et si naive, une telle verite de details, qu'il etait impossible de ne pas y voir le cachet d'un grand maitre. C'etait a coup sur un souvenir des Calabres ou des Abruzzes.

Figurez-vous des rochers noirs, devastes, menacans, suspendus comme un pont sur l'abime; une plaine aride et maudite, eclairee par la lumiere intermittente et livide d'un ciel orageux; de vieux troncs seculaires se tordant sous l'etreinte de l'ouragan, ou calcines par la foudre.

Nul vivant n'est temoin de cette scene de desolation et d'horreur; ou plutot dans la lutte affreuse que les elemens livrent a la nature, l'homme a succombe le premier.

De quelle mort? Dieu seul le sait! Des os fractures, des lambeaux de chair humaine sont semes ca et la sur le sol, mais nul indice ne pouvait vous dire si le miserable auquel appartenaient ces tristes debris s'est brise le crane en tombant du precipice, ou s'il a ete broye sous la dent des betes feroces.

On dirait une page du Dante traduite en peinture. Je tournai et retournai le tableau en tous sens; je l'approchai et l'eloignai de ma vue pour le contempler a mon aise, tandis que le vieillard se frottait les mains de satisfaction et jouissait de ma surprise. —Savez-vous que ce que vous me montrez la est admirable, lui dis-je en lui rendant son esquisse, et que ce petit chef-d'oeuvre, bien qu'il ne soit pas fini, ne deparerait pas le musee des Studi, ou la galerie du prince Borghese? —Ainsi vous ne trouvez pas que j'aie tort d'en avoir le soin que j'en ai? —Bien au contraire. —Et de ne pas jeter mes perles devant...

mes compatriotes? —Je ne saurais que vous approuver. —Et d'en avoir refuse six cents ducats du prince de Salerne? Le Corricolo XX.

Les Heritiers d'un grand Homme.

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