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Le Grand Meaulnes Souvent, l'hiver, passaient ainsi parmi nous des élèves de hasard, mariniers pris par les glaces dans le canal, apprentis, voyageurs immobilisés par la neige.

Publié le 11/04/2014

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Le Grand Meaulnes Souvent, l'hiver, passaient ainsi parmi nous des élèves de hasard, mariniers pris par les glaces dans le canal, apprentis, voyageurs immobilisés par la neige. Ils restaient au cours deux jours, un mois, rarement plus... Objets de curiosité durant la première heure, ils étaient aussitôt négligés et disparaissaient bien vite dans la foule des élèves ordinaires. ais celui-ci ne devait pas se faire aussitôt oublier. Je me rappelle encore cet être singulier et tous les trésors étranges apportés dans ce cartable qu'il s'accrochait au dos. Ce furent d'abord les porte-plume "à vue" qu'il tira pour écrire sa dictée. Dans un oeillet du manche, en fermant un oeil, on voyait apparaître, trouble et grossie, la basilique de Lourdes ou quelque monument inconnu. Il en choisit un et les autres aussitôt passèrent de main en main. Puis ce fut un plumier chinois rempli de compas et d'instruments amusants qui s'en allèrent par le banc de gauche, glissant silencieusement, sournoisement, de main en main, sous les cahiers, pour que M. Seurel ne pût rien voir. Passèrent aussi des livres tout neufs, dont j'avais, avec convoitise, lu les titres derrière la couverture des rares bouquins de notre bibliothèque: La Teppe aux Merles, La Roche aux Mouettes, Mon ami Benoist... Les uns feuilletaient d'une main sur leurs genoux ces volumes, venus on ne savait d'où, volés peut-être, et écrivaient la dictée de l'autre main. D'autres faisaient tourner le compas au fond de leurs casiers. D'autres brusquements, tandis que M. Seurel tournant le dos continuait la dictée en marchant du bureau à la fenêtre, fermaient un oeil et se collaient sur l'autre la vue glauque et trouée de Notre-Dame de Paris. Et l'élève étranger, la plume à la main, son fin profil contre le poteau gris, clignait des yeux, content de tout ce jeu furtif qui s'organisait autour de lui. Peu à peu cependant toute la classe s'inquiéta: les objets, qu'on "faisait passer" à mesure, arrivaient l'un après l'autre dans les mains du grand Meaulnes qui, négligemment, sans les regarder, les posait auprès de lui. Il y en eut bientôt un tas, mathématique et diversement coloré, comme aux pieds de la femme qui représente la Science, dans les compositions allégoriques. Fatalement M. Seurel allait découvrir ce déballage insolite et s'apercevoir du manège. Il devait songer, d'ailleurs, à faire une enquête sur les événements de la nuit. La présence du bohémien allait faciliter sa besogne... Bientôt, en effet, il s'arrêtait, surpris, devant le grand Meaulnes. "A qui appartient tout cela? demanda-t-il en désignant "tout cela" du dos de son livre refermé sur son index. Je n'en sais rien", répondit Meaulnes d'un ton bourru, sans lever la tête. Mais l'écolier inconnu intervint: "C'est à moi", dit-il. Et il ajouta aussitôt, avec un geste large et élégant de jeune seigneur auquel le vieil instituteur ne sut pas résister: "Mais je les mets à votre disposition, monsieur, si vous voulez regarder". Alors, en quelques secondes, sans bruit, comme pour ne pas troubler le nouvel état de choses qui venait de se créer, toute la classe se glissa curieusement autour du maître qui penchait sur ce trésor sa tête demi-chauve, demi-frisée, et du jeune personnage blême qui donnait avec un air de triomphe tranquille les explications nécessaires. Cependant, silencieux à son banc, complètement délaissé, le grand Meaulnes avait ouvert son cahier de brouillons et, fronçant le sourcil, s'absorbait dans un problèe difficile. Le "quart d'heure" nous surprit dans ces occupations. La dictée n'était pas finie et le désordre régnait dans la CHAPITRE III. Le Bohémien à l'école. 46 Le Grand Meaulnes classe. A vrai dire, depuis le matin la récréation durait. A dix heures et demie, donc, lorsque la cour sombre et boueuse fut envahie par les élèves, on s'aperçut bien vite qu'un nouveau maître régnait sur les jeux. De tous les plaisirs nouveaux que le bohémien, dès ce matin-là, introduisit chez nous, je ne me rappelle que le plus sanglant: c'était une espèce de tournoi où les chevaux étaient les grands élèves chargés des plus jeunes grimpés sur leurs épaules. Partagés en deux groupes qui partaient des deux bouts de la cour, ils fondaient les uns sur les autres, cherchant à terrasser l'adversaire par la violence du choc, et les cavaliers, usant de cache-nez comme de lassos, ou de leurs bras tendus comme de lances, s'efforçaient de désarçonner leurs rivaux. Il y en eut dont on esquivait le choc et qui, perdant l'équilibre, allaient s'étaler dans la boue, le cavalier roulant sous sa monture. Il y eut des écoliers à moitié désarçonnés que le cheval rattrapait par les jambes et qui, de nouveau acharnés à la lutte, regrimpaient sur ses épaules. Monté sur le grand Delage qui avait des membres démesurés, le poil roux et les oreilles décollées, le mince cavalier à la tête bandée excitait les deux troupes rivales et dirigeait malignement sa monture en riant aux éclats. Augustin, debout sur le seuil de la classe, regardait d'abord avec mauvaise humeur s'organiser ces jeux. Et j'étais auprès de lui, indécis. "C'est un malin, dit-il entre ses dents, les mains dans les poches. Venir ici, dès ce matin, c'était le seul moyen de n'être pas soupçonné. Et . Seurel s'y est laissé prendre!" Il resta là un long moment, sa tête rase au vent, à maugréer contre ce comédien qui allait faire assommer tous ces gars dont il avait été peu de temps auparavant le capitaine. Et, enfant paisible que j'étais, je ne manquais pas de l'approuver. Partout, dans tous les coins, en l'absence du maître, se poursuivait la lutte: les plus petits avaient fini par grimper les uns sur les autres; ils couraient et culbutaient avant même d'avoir reçu le choc de l'adversaire... Bientôt il ne resta plus debout, au milieu de la cour, qu'un groupe acharné et tourbillonnant d'où surgissait par moments le bandeau blanc du nouveau chef. Alors le grand Meaulnes ne sut plus résister. Il baissa la tête, mit ses mains sur ces cuisses et me cria: "Allons-y, François!" Surpris par cette décision soudaine, je sautai pourtant sans hésiter sur ses épaules et en une seconde nous étions au fort de la mêlée, tandis que la plupart des combattants, éperdus, fuyaient en criant: "Voilà Meaulnes! Voilà le grand Meaulnes!" Au milieu de ceux qui restaient il se mit à tourner sur lui-même en me disant: "Etends les bras: empoigne-les comme j'ai fait cette nuit". Et moi, grisé par la bataille, certain du triomphe, j'agrippais au passage les gamins qui se débattaient, oscillaient un instant sur les épaules des grands et tombaient dans la boue. En moins de rien il ne resta debout que le nouveau venu monté sur Delage; mais celui-ci, peu désireux d'engager la lutte avec Augustin, d'un violent coup de reins en arrière se redressa et fit descendre le cavalier blanc. CHAPITRE III. Le Bohémien à l'école. 47
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« classe.

A vrai dire, depuis le matin la récréation durait. A dix heures et demie, donc, lorsque la cour sombre et boueuse fut envahie par les élèves, on s'aperçut bien vite qu'un nouveau maître régnait sur les jeux. De tous les plaisirs nouveaux que le bohémien, dès ce matin-là, introduisit chez nous, je ne me rappelle que le plus sanglant: c'était une espèce de tournoi où les chevaux étaient les grands élèves chargés des plus jeunes grimpés sur leurs épaules. Partagés en deux groupes qui partaient des deux bouts de la cour, ils fondaient les uns sur les autres, cherchant à terrasser l'adversaire par la violence du choc, et les cavaliers, usant de cache-nez comme de lassos, ou de leurs bras tendus comme de lances, s'efforçaient de désarçonner leurs rivaux.

Il y en eut dont on esquivait le choc et qui, perdant l'équilibre, allaient s'étaler dans la boue, le cavalier roulant sous sa monture. Il y eut des écoliers à moitié désarçonnés que le cheval rattrapait par les jambes et qui, de nouveau acharnés à la lutte, regrimpaient sur ses épaules.

Monté sur le grand Delage qui avait des membres démesurés, le poil roux et les oreilles décollées, le mince cavalier à la tête bandée excitait les deux troupes rivales et dirigeait malignement sa monture en riant aux éclats. Augustin, debout sur le seuil de la classe, regardait d'abord avec mauvaise humeur s'organiser ces jeux.

Et j'étais auprès de lui, indécis. "C'est un malin, dit-il entre ses dents, les mains dans les poches.

Venir ici, dès ce matin, c'était le seul moyen de n'être pas soupçonné.

Et .

Seurel s'y est laissé prendre!" Il resta là un long moment, sa tête rase au vent, à maugréer contre ce comédien qui allait faire assommer tous ces gars dont il avait été peu de temps auparavant le capitaine.

Et, enfant paisible que j'étais, je ne manquais pas de l'approuver. Partout, dans tous les coins, en l'absence du maître, se poursuivait la lutte: les plus petits avaient fini par grimper les uns sur les autres; ils couraient et culbutaient avant même d'avoir reçu le choc de l'adversaire... Bientôt il ne resta plus debout, au milieu de la cour, qu'un groupe acharné et tourbillonnant d'où surgissait par moments le bandeau blanc du nouveau chef. Alors le grand Meaulnes ne sut plus résister.

Il baissa la tête, mit ses mains sur ces cuisses et me cria: "Allons-y, François!" Surpris par cette décision soudaine, je sautai pourtant sans hésiter sur ses épaules et en une seconde nous étions au fort de la mêlée, tandis que la plupart des combattants, éperdus, fuyaient en criant: "Voilà Meaulnes! Voilà le grand Meaulnes!" Au milieu de ceux qui restaient il se mit à tourner sur lui-même en me disant: "Etends les bras: empoigne-les comme j'ai fait cette nuit". Et moi, grisé par la bataille, certain du triomphe, j'agrippais au passage les gamins qui se débattaient, oscillaient un instant sur les épaules des grands et tombaient dans la boue.

En moins de rien il ne resta debout que le nouveau venu monté sur Delage; mais celui-ci, peu désireux d'engager la lutte avec Augustin, d'un violent coup de reins en arrière se redressa et fit descendre le cavalier blanc.

Le Grand Meaulnes CHAPITRE III.

Le Bohémien à l'école.

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