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Le travail à la chaîne et le taylorisme

Publié le 12/06/2011

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travail

« Une voiture Ford est composée d'environ cinq mille pièces, en comptant les boulons, les vis, etc. Quelques-unes de ces pièces sont assez volumineuses et d'autres presque aussi petites que celles d'une montre. Notre première manière de faire l'assemblage consistait à monter notre voiture sur place, les ouvriers apportant les pièces au fur et à mesure qu'il en était besoin, comme quand on construit une maison. Quand nous nous mîmes à fabriquer des pièces, il fut naturel d'assigner une section particulière de l'usine à la fabrication de chacune, mais en général un seul ouvrier faisait toutes les opérations exigées par une petite pièce. L'augmentation rapide de la production nous obligea à imaginer un système pour éviter que les ouvriers ne se gênassent mutuellement. Les travailleurs mal dirigés passent plus de temps à courir après les matériaux ou les outils qu'à travailler, et ils touchent un faible salaire, parce que la marche à pied n'est pas une occupation rémunératrice. « Notre premier progrès dans l'assemblage consista à apporter le travail à l'ouvrier, au lieu d'amener l'ouvrier au travail. Aujourd'hui, toutes nos opérations s'inspirent de ces deux principes. Nul homme ne doit avoir plus d'un pas à faire ; autant que possible, nul homme ne doit avoir à se baisser. « Les principes de l'assemblage sont les 'suivants : — Placer l'outillage et les hommes suivant l'ordre des opérations de la fabrication, de façon que chaque pièce ait la moindre distance à parcourir de la première à la dernière opération. — Employer des glissières ou quelque autre appareil de transmission conçu de telle sorte que, lorsqu'un ouvrier a terminé son opération, sa pièce tombe toujours au même endroit, qui doit être le plus à portée de sa main, et, si c'est possible, que par son propre poids la pièce soit entraînée vers l'ouvrier suivant. — Employer un réseau de glissières d'assemblage au moyen desquelles les pièces à assembler soient réparties aux distances convenables. « Le résultat net de l'application de ces principes est de réduire pour l'ouvrier la nécessité de penser et de réduire ses mouvements au minimum. Il doit parvenir autant que possible à faire une seule chose avec un seul mouvement. «

Henry FORD, industriel américain (1863-1947), Ma vie et mon oeuvre, Payot.

« Les principes de Taylor consacrent une observation déjà faite plus de cent ans auparavant sur les rapports de l'homme et de la machine par des économistes comme Adam Smith, qui notaient qu'elle ramène souvent l'activité de l'ouvrier à quelques gestes limités et toujours les mêmes. Conséquence plutôt fâcheuse à leur avis, règle à généraliser selon Taylor. Pourquoi, en effet, ne pas incorporer l'homme à la machine en le traitant comme elle, puisque leur commun travail est incorporé, sans distinction possible, dans l'objet fabriqué ? L'acte de fabrication lui-même n'a-t-il pas une structure où les mouvements de l'homme et de la machine ne font que se compléter ? Les mouvements de celle-ci se règlent rigoureusement, pourquoi pas les mouvements de celui-là ? Taylor avait imaginé des méthodes précises pour la taille des métaux, pourquoi compromettre les résultats de cette rigueur en laissant subsister cette marge d'indétermination qu'est l'intervention de l'ouvrier ? « L'innovation de Taylor, c'est d'étendre au geste de l'homme les mêmes soucis de précision et d'économie que dans l'usage de la machine. À tout travail doivent répondre certains mouvements particulièrement bien adaptés et qu'il s'agit de reconnaître, de sélectionner, d'enseigner, d'imposer. « Même le travail le plus humble ne peut échapper à cette loi : ainsi celui du portefaix. Taylor a minutieusement étudié la manoeuvre qui consiste à transporter des gueuses de fonte, et il s'est efforcé d'en diminuer la fatigue, d'en augmenter le rendement en éliminant les gestes qui l'accompagnent sans utilité et souvent lui font obstacle. De même, pour le maçon qui montera le mur d'autant plus vite qu'il trouvera les briques mieux à la portée de sa main. De même pour le pelleteur, de charbon ou de terre, dont les mouvements doivent être solidaires de la pelle ou réciproquement, c'est-à-dire qu'elle doit avoir une longueur de manche, une forme, une capacité en rapport avec les caractéristiques physiques de l'ouvrier en même temps qu'avec l'objet de la manutention. De même enfin, pour l'ouvrier métallurgiste. Ce n'est pas assez de lui indiquer exactement le réglage de son tour, il faut aussi régler la suite de ses attitudes et de ses gestes. «

Henri WALLON, in revue Technique, art, science.

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