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Louise Labbe, femme et poète au 16eme siècle

Publié le 06/02/2011

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Table des matières

Table des matières. 3

Introduction. 4

1.     L’Imitation au féminin. 5

A. Ovide. 5

B. Platon. 6

C. Pétrarque. 7

2.     Le Lyrisme au féminin. 8

A. Une écriture sensualiste. 8

B. Réciprocité des sentiments. 9

C. L’expression de la crainte et du désespoir 10

3.     Un Engagement au féminin. 11

A. L’usage de l’ironie. 11

B. Une femme qui écrit pour les femmes. 12

C. Un combat universel 13

Conclusion. 14

Bibliographie. 15

Introduction

 

La littérature est un puits incessant de créations toujours nouvelles qui prennent forme suivant différents critères sociaux, historiques, économiques ou politiques. Une période en particulier a révolutionné la littérature se situant comme le point de renverse de l’histoire de la littérature française. C’est en effet, à la Renaissance, époque paradoxale des grandes découvertes et du retour vers le passé, que tout s’est joué. Chaque domaine artistique a pu prendre un nouveau départ et la littérature a vu naître des genres, mourir d’autres.           Dans la lignée de ces changements, il faut savoir que le XVIe siècle assiste à l’essor de l’écriture féminine dans les différents genres littéraires. En poésie, une femme semble avoir bouleversé le genre de part son caractère battant et sa volonté puissante de transformer une société masculine en société mixte. Louise Labé a permis de soulever les questions de la féminité dans la poésie mais également du féminisme dans la politique. Nous nous intéresserons à son œuvre poétique sachant qu’elle est également l’auteur d’un discours philosophique intitulé Débat de Folie et d’Amour, dont nous ne parlerons pas afin de centrer notre analyse sur son œuvre poétique. Notons simplement qu’elle est l’auteur d’un seul ouvrage intitulé Œuvres et publié en 1555 dans lequel se suivent son unique discours philosophique, ses trois élégies et ses vingt quatre sonnets amoureux.

Nous analyserons dans cette étude de quelle manière Louise Labé insère son identité sexuelle dans son œuvre poétique et quelles questions politiques et philosophiques cela a pu questionner à son époque.

Pour cela nous observerons en premier lieu comment Labé transpose son imitation des écrivains passés au féminin, puis nous analyserons la portée de son lyrisme féminin, pour ensuite considérer de quelle manière sa poésie est un engagement pour la cause des femmes de son époque.

 

1. L’Imitation au féminin

La Renaissance a instauré une esthétique nouvelle en prônant notamment le retour aux textes antiques. A l’époque, les poètes pratiquent assidûment les auteurs anciens donnant entre autres, une très grande importance à la mythologie. Louise Labé ne déroge pas à la règle : bien qu’étant une femme, celle-ci ne s’inscrit pas en marge de l’évolution poétique du siècle, bien au contraire. Le poète suit ses acolytes masculins dans les formes et les thèmes poétiques, s’inspirant des auteurs antiques. Ainsi, le poète féminin est en quête d’égalité avec les hommes, utilisant les mêmes conventions littéraires qu’eux à sa manière. Nous allons à présent examiner quels auteurs communs à ses contemporains se retrouvent dans la poésie de Louise Labé et comment transpose-t-elle l’imitation jusqu’alors masculine à une imitation féminine.

A. Ovide

Tout d’abord, on peut voir qu’Ovide a une grande influence dans les sonnets et élégies de Labé. L’élégie est la forme de l’épître amoureuse qui traite des plaisirs et des malheurs de l’amour selon Ovide son modèle. Dans les Héroïdes d'Ovide s'expriment des voix féminines abandonnées par leurs amants, qui sont des figures célèbres de la mythologie telles que Pénélope à Ulysse, Phèdre à Hippolyte ou encore Didon à Enée. Seule l’épître de Sapho à Phaon renvoie à une vérité historique. Ainsi, la voix de l'amante qui se cache derrière Louise Labé s'inscrit à son tour dans une tradition où se côtoient toutes les héroïnes ovidiennes. De plus, on remarque que le premier sonnet du recueil fait référence à Ulysse, en écho à la première épître d’Ovide, mettant en scène Pénélope qui écrit à son mari. L’absence de l’homme aimé avec les soupçons qui accompagnent le manque est un thème récurrent chez les deux poètes. Le parallèle ovidien est donc nécessaire. Pour illustrer concrètement cela, nous pouvons nous reporter à cette fameuse épître de Pénélope à Ulysse :

« Tandis que je me livre follement à ces pensées, peut-être, car quels ne sont pas vos caprices, peut-être es-tu retenu par l'amour sur une rive étrangère. Peut-être parles-tu avec mépris de la rusticité de ton épouse, qui ne sait que dégrossir la laine des troupeaux. «[1]

 

Ces quelques lignes peuvent être comparées à l’Elégie II de Louise Labé qui semble se cacher derrière la voix de Pénélope :

 

 

« Du Pô cornu peut-être ton courage

S’est embrasé d’une nouvelle flamme,

        En me changeant pour prendre une autre Dame.«[2]

 

Les Héroïdes ont donc joué un rôle très important dans les élégies et les sonnets du poète. Notons également que les Métamorphoses  sont très présentes dans son œuvre. En effet, la mythologie ovidienne pouvait offrir à Labé tout un panel de représentation de la figure féminine. Ainsi, dans le sonnet V, « la belle cordière « s’adresse à Vénus, déesse de l’amour et la supplie d’entendre ses paroles. Dans le sonnet XXII « T’amie « fait référence à la lune, Séléné ou Diane, qui aima le berger Endymion, qu’elle contemple à présent dans le sommeil éternel où elle l’a plongé. Les dieux et les figures de la mythologie présente dans les Métamorphoses  se retrouvent sans cesse dans la poésie de Louise Labé de la même manière qu’elle se retrouve dans les poètes de la Pléiade, contemporains de « la belle cordière «.  Il en est de même dans ses élégies : dans l’élégie III, Louise Labé fait référence au mythe d’Arachné, lorsque cette tisseuse douée défia Pallas dans son travail : « de celle-là qui plus docte que sage, avec Pallas comparait son ouvrage. «[3] Ainsi, on peut remarquer que Labé a sélectionné quelques figures de l’antiquité pour illustrer sa féminité dans sa poésie. Cela montre que toute mythologie est une mythologie dans laquelle on peut se projeter. Le mythe alors devient le claque d’une vision personnelle puisqu’il est une sorte de « système planétaire qui regroupe (…) des facettes innombrables où chacun peut apercevoir son vrai visage. «[4]

B. Platon

Paradoxalement, Louise Labé ne tourne pas complètement le dos au néo-platonisme. En effet, malgré l’importance qu’elle donne au plaisir des sens dans ses poèmes, « la belle cordière « fait preuve d’un intérêt certain pour les théories platoniciennes. En effet, ses œuvres poétiques, en apparence dénuées de toute réflexion autres que amoureuse sont en fait parfois l’illustration même de ce qu’elle considère être la mission du poète. Comme Platon, Labé croit en la fureur poétique :

« Encor Phébus, ami des lauriers verts,

N’avait permit que je fisse des vers.

Mais maintenant que sa fureur divine,

Remplit d’ardeur ma hardie poitrine, (…) «[5]

 

Cette citation tirée de l’Elégie I, en est la preuve. Cependant, on peut se demander si ce n’est pas une manière pour elle de s’élever au même rang que ses contemporains masculins en imitant leur style antiquisant. En effet, le combat de Louise Labé est un peu différent de celui des autres poètes masculins tel que Ronsard par exemple. Labé doit, avant de défendre son statut de poète, défendre son statut de femme grâce à la poésie. Le néo-platonisme qu’elle utilise est certainement une manière pour elle de prouver son intelligence « malgré « son sexe. Ainsi, la femme ne serait plus un être de chair mais également un être d’idées. A propos de cela, Louise Labé affirme « élever un peu [son] esprit par-dessus (…) quenouilles et fuseaux «[6], comme elle le dit si bien dans sa préface aux Œuvres, parue en 1555 dans laquelle elle demande aux autres femmes d’en faire de même.  

C. Pétrarque

Le profil du poète pétrarquiste s’inscrit dans une attitude particulière qui commande le style élevé du poète. Ainsi, on passe de la fureur poétique à l’amour pour montrer les facteurs de l’inspiration poétique. Les sentiments du poète oscillent entre colère et calme, espoir et désespoir et ainsi, le style pétrarquiste renferme bon nombre de figures de style telles que la métaphore, l’oxymore, l’hyperbole et l’antithèse. Louise Labé est clairement inspiré du pétrarquisme. Cependant, nous verrons de quelle manière celle-ci glisse d’un style pétrarquiste à un anti-pétrarquisme certain conférant une sorte d’ironie particulière. On a en fait affaire à un refus ou plutôt à un détournement des conventions pétrarquistes. Certes, le poète reprend des thèmes du pétrarquisme tels que la souffrance et le désespoir qu’engendre l’amour, la reverdie et des métaphores-clichés telles que le naufrage amoureux, le feu ardent de l’amour, l’or des cheveux, etc. On remarque également l’usage des figures antithétiques pour exprimer le déchirement de l’âme du poète. On retrouve tout cela dans les Sonnets de Louise Labé. Un exemple parmi d’autre peut être visible dans les deux premiers vers du sonnet VIII : « Je vis, je meurs, je me brûle et me noie ; j’ai chaud extrême en endurant froidure «[7]. Ici, on remarque à la fois le feu ardent de l’amour, la noyade du naufrage amoureux, et l’antithèse de ces deux sentiments. De même, Labé respecte les conventions amoureuses du pétrarquisme qui obligent l’homme à s’éprendre de la Dame nécessairement avant que celle-ci ne le fasse. La différence profonde est que le point de vue n’est pas le même. C’est Laure, la Dame tant aimée de Pétrarque, qui pourrait parler à la place de Labé. En fait « la belle cordière « donne une voix à la muette, celle que l’on s’est privé d’entendre n’écoutant que les plaintes incessantes de son prétendant. Ainsi, Louise Labé garde cette chronologie amoureuse mais change le point de vue et fait parler la Dame. Par exemple, dans le sonnet XX, celle-ci explique comment elle a « forcé la nature «[8] pour répondre à l’amour de son amant et comment elle est finalement devenue une victime délaissée par ce dernier une fois la réponse à son amour faite. Ainsi, les codes du pétrarquisme sont parfois contournés, ou devrions nous dire, métamorphosés pour répondre à l’écriture féminine. On peut dire que notre lyonnaise inverse les rôles de l’Amant et de l’Amante faisant apparaître les artifices du pétrarquisme. Par exemple, dans le Sonnet II, celle-ci entreprend l’élaboration d’un blason à l’égard de son amant. Les rôles sont inversés.

On a vu que le poète se place à égalité avec les poètes masculins de son temps mais on a pu remarquer également que « la belle cordière « utilisait son imitation des anciens en prenant en compte sa propre féminité. Nous allons observer à présent les marques de son lyrisme féminin qui ajoutent à la singularité de son écriture.

 

2.     Le Lyrisme au féminin

Louise Labé incarne dans sa poésie le discours lyrique féminin. Tout en utilisant les conventions poétiques de l’époque, celle-ci ajoute sa propre signature à la poésie, et, par sa féminité, permet d’engendrer un nouveau genre : le genre poétique féminin. Il est vrai que le langage a un code neutre mais suivant le sexe, l’écriture laisse se dessiner en filigrane le visage de l’homme ou de la femme qui écrit. C’est ce que nous allons essayer de déterminer.

A. Une écriture sensualiste

Tout d’abord, on remarque la présence de l’Eros dans la poésie de Labé. Cependant, c’est à un Eros féminin auquel nous avons affaire.  Il est vrai que nous avons énoncé auparavant l’existence du néo-platonisme dans la poésie de Louise Labé. Cependant, le poète ajoute une vision physiologique et charnelle de l’amour. Ainsi, d’un côté, l’amour semble être une ascension amoureuse vers l’esprit, tandis que d’un autre, « la belle Cordière « décrit la chute dans les délices des sens et de la chair. La description anatomique est assez rare chez Louise Labé, elle n’existe réellement que dans le sonnet II qui énumère les beaux traits de son amant, mais ce sont surtout dans l’expression du désir que les sens transparaissent. Tous les sonnets respirent de sensualité dans le vocabulaire que Labé utilise : elle parle de « baiser savoureux « dans le sonnet II, elle affirme avoir « senti mille torches ardentes « dans le dernier sonnet, la chaleur et la froideur se succèdent en elle dans le sonnet VIII, etc. C’est une grande nouveauté au XVIe siècle qui lui vaudra de nombreux siècles de critique, la faisant passer pour une courtisane. Qu’une femme puisse exprimer aussi concrètement son désir charnel que son amant lui inspire a été longtemps difficile à accepter. 

B. Réciprocité des sentiments

La singularité de la poésie amoureuse de Labé tient également dans le rapport amoureux qu’elle décrit. Il y a un réel échange qui semble exister entre les deux amants. L’amour qu’elle éprouve n’est pas que sensualité, il est aussi réciprocité avec l’amant. Aux rares occasions où Labé parle du corps de son ami, elle réussit à combiner le beau et le sensuel et évoque ainsi une union, à la différence de Ronsard par exemple, qui décrit la beauté de sa Dame sans pour autant chercher à montrer la relation plus profonde qui pourrait exister entre les deux êtres. Pour Scève, autre poète contemporain, le « vrai « amour a lieu en l’absence de l’aimée, pour Labé, cela semble être le contraire, elle privilégie alors le contact sensuel entre les deux amants, contact qui se fait principalement par les lèvres comme le montre le sonnet XVIII. Ainsi, la marque de la féminité laisse transparaître une sensualité qui ne permet pas l’absence de l’amour psychique. La sensualité en est en fait une illustration. Ainsi, la femme ne conçoit pas la possibilité d’un amour charnel sans un amour spirituel. On voit cela dans la réciprocité ou du moins la recherche de réciprocité des sentiments. Dans le sonnet XVIII, Labé supplie son amant de lui donner un baiser auquel cas elle lui en rendra « quatre plus chaud que braise «[9]. Le moi de Labé est vide de toute identité tant qu’il n’entre pas en relation avec l’être aimé. L’entrée en relation lui permet de se construire, de se façonner en tant que sensibilité car seule la puissance d’aimer et d’être aimé lui confère la possibilité d’être, d’exister. En effet, vivre pleinement son amour, contraint à changer, à devenir autre et ainsi à se construire. En renonçant à l’individualité, l’amante s’élève au dessus de son ancien moi. Dans l’Elégie III, Louise Labé conclut sur une exaltation et un appel à la réciprocité amoureuse :

« Fais que celui que j’estime mon tout,

Qui seul me peut faire plorer et rire,

Et pour lequel si souvent je soupire,

Sente en ses os, en son sang, en son âme,

Ou plus ardente, ou bien égale flamme. «[10]

Cette quête de la réciprocité est une marque profonde de la vision féminine de l’amour pour une femme-poète du XVIe siècle. En effet, les poètes masculins de son époque ne semblent pas rechercher cet échange. Ils basent leur poésie sur une expression individualiste des sentiments. On pense à Ronsard, par exemple qui à la manière de Pétrarque, se place en voyeur de cette femme qu’il adule et qu’il aime :

« Ce doux parler qui les mourants éveille,

Ce chant qui tient mes soucis enchantés,

Et ces deux cieux sur deux astres entés

De ma Déesse annoncent la merveille. «[11]

Ajoutons que pour Labé, l’inspiration poétique est nécessairement liée aux sentiments amoureux. Son amant la rend autre, il lui permet de devenir poète.  

C. L’expression de la crainte et du désespoir

Enfin, les indices d’une écriture féminine résident aussi dans l’expression du désespoir et les peurs qui habitent le poète. En effet, le poète se plaçant du côté de Laure, de la dame muette amoureuse, courtisée tout d’abord puis parfois délaissée, les craintes changent nécessairement. C’est le changement de point de vue qui nous permet donc de déceler l’écriture féminine de Labé. Tandis que Ronsard se désole du temps qui passe et qui enlaidit sa dame, Labé cultive la peur de vieillir et de n’être plus désirable et donc plus aimée. A la fin de l’Elégie I, celle-ci décrit le désespoir de la femme qui se farde en vain voulant cacher ses rides et qui est impuissante face à son amant qui s’enfuit, honteux d’être aimé d’elle. Il y a donc, comme chez Labé, l’omniprésence du temps qui passe mais cette question est traitée du point de vue féminin. Dans l’Elégie II, « la belle Cordière « exprime la crainte de l’oubli, incarnant presque le personnage mythologique de Pénélope qui attend vainement le retour de son amant. Une fois encore la crainte et le désespoir sont transposés au féminin. C’est donc l’inconstance de l’homme qui est traitée dans sa poésie. La femme subit les humeurs changeantes de l’homme qu’elle aime et qui peut à tout moment décider de la remplacer. Le sonnet XX, par exemple traite également de cette question.

Ainsi, temps qui passe, inconstance de l’amant, telles sont les craintes éclairées par Louise Labé faisant de sa poésie, une poésie pleinement féminine.

3.     Un Engagement au féminin

Il convient à présent de se demander si cette écriture féminine ne possède pas un but féministe. Clément Marot a nommé Louise Labé « la Belle Rebelle « et il y a une raison à cela. On peut se demander si la poésie de Louise Labé n’est pas avant tout une poésie de la liberté et de la tolérance, plaidant pour l’émancipation intellectuelle de la femme et critiquant ainsi de manière sous jacente, la société plus « homaniste « qu’ « humaniste « du XVIe siècle.

A. L’usage de l’ironie

On remarque tout d’abord un bouleversement de la tradition lyrique par la prise de parole féminine qui entraîne bon nombre de modifications du modèle pétrarquiste comme on a pu le voir. Ajoutons à cela le ton ironique de Labé mis à profit dans les railleries qu’elle adresse au style pétrarquiste trop masculin à son goût. Ainsi,  elle fait dire à l’amant ce qu’elle voudrait entendre et met ironiquement le portrait de l’être aimé au masculin ou encore évoque avec une amertume désillusionnée la grandiloquence des louanges dont il la comblait. Elle va donc plus loin en dénonçant l’hypocrisie de la célébration pétrarquiste. Par exemple, dans le sonnet XXIII, Louise Labé rappelle avec finesse ces codes pour ensuite les tourner en dérision de manière tout aussi intelligente. Ainsi, « la belle cordière « interpelle son amant et lui parle ironiquement du blason qu’il lui avait auparavant consacré : « Las que me sert que si parfaitement louas jadis (…) ma tresse dorée «[12] lui demandant ensuite la chose suivante : « Doncques c’était le but de ta malice, de m’asservir sous ombre de service ? «[13]. Mais la parodie du discours pétrarquiste atteint son apogée dans le sonnet XXI où une énumération innombrable d’interrogations met en lumière les excès de la poésie maniériste quant aux descriptions de l’anatomie féminine. Ainsi, Louise Labé demande avec ironie comment définir les canons de la beauté masculine :

« Quelle grandeur rend l’homme vénérable ?

Quelle grosseur ? Quel poil ? Quelle couleur ?

Qui a des yeux les plus emmielleurs ?

Qui fait plus tôt une plaie incurable ? «[14]

 Il y a ici une palinodie de la part de « la Belle Rebelle « puisqu’elle reprend les thèmes traditionnels du pétrarquisme pour ensuite faire preuve d’anti-pétrarquisme. Ainsi, Labé refuse que les apparences extérieures dirigent les sentiments comme le laissent à penser les sonnets pétrarquistes. Elle dénonce un voyeurisme doté d’une mauvaise foi qui ose faire passer cela pour de l’ « art «.  Elle veut ainsi montrer sa définition de l’amour : une attirance pour l’esprit de l’être aimé autant si ce n’est plus que pour sa beauté. En cela, elle parle implicitement au nom de toutes les femmes et de leurs craintes silencieuses : on comprend mieux le qualificatif que Marot employa à son sujet.

B. Une femme qui écrit pour les femmes

Tout d’abord, il faut savoir que la préface aux Œuvres est dédiée à Clémence de Bourges jeune lyonnaise cultivée de l’époque. Cela inscrit d’emblée sa volonté d’une écriture féministe. De plus, nous remarquerons que Louise Labé s’adresse directement aux femmes dans trois endroits stratégiques de son œuvre poétique : dans la première et la dernière élégie, ainsi que dans le dernier sonnet. Le pluriel collectif « Dames Lionnoizes « désigne les femmes de son temps que Louise Labé semblait vouloir représenter et auxquelles elle devait sensiblement s’identifier. Elle paraît chercher avant tout à convaincre ces « Dames Lionnoizes «, ses lectrices et ses juges de s’élever par-dessus « quenouilles et fuseaux « comme elle le déclare dans cette préface. Son écrit est d’ailleurs considéré aujourd’hui comme le premier manifeste féministe de l’histoire de France. On y trouve donc les aspirations de la « Lionnoize « et l’engouement avec lequel elle défend son sexe appelant toutes ses égales à en faire de même par l’élévation intellectuelle. Les Élégies I et III sont cette fois adressées directement aux « Dames Lyonnoises« en général. Le poète leur demande de ne pas la blâmer et explique une fois encore ses aspirations diverses. Elle n’hésite pas à étaler les désirs charnels qu’elle éprouve et parle avec passion de l’amour puissant qui la ronge et la comble à la fois. C’est un acte très indécent pour l’époque et Louise Labé n’hésite pas à se compromettre pour défendre sa condition. Consciente de la limite des pensées de l’époque, elle sait le jugement qui habitera femmes qui la liront et met en place l’idée d’une censure fictive de la part de ces femmes, tout en leur demandant de réfléchir et de la comprendre ; les poussant également à faire de même : vivre au grand jour leurs aspirations, devenir les égales des hommes, apprendre autre chose que les tâches ménagères. De plus, elle n’hésite pas non plus à chanter son hypothétique gloire poétique dans l’Elégie II.  Son insistance sur la qualité du sujet lyrique féminin sonne comme une provocation à l’Amant, rival poétique présumé. Il faut savoir que Louise Labé entretenait une relation très complice avec Olivier de Magny, poète également et cette insistance est peut-être un clin d’œil au poète. Quoi qu’il en soit, cette volonté de rééquilibrage du rapport de force entre l’homme et la femme dans la renommée poétique à laquelle « la Belle Rebelle « s’adonne, illustre encore une fois les aspirations politiques de Labé.

 

C. Un combat universel

Enfin, nous pouvons dire que son combat inscrit son œuvre et son personnage dans l’éternité. En effet, Louise Labé est persuadée que l’écriture est pour la femme le seul moyen d’atteindre la gloire éternelle, par opposition à la beauté fugace de la jeunesse que lui promet Ronsard. C’est pour cette raison que « la belle Cordière « prie les femmes de se mettre au travail dans le but de « passer ou égaler les hommes «. Dégagée des justifications traditionnelles d’édification morale ou de la soumission à un amant, Louise Labé incarne l’écriture féministe à travers les siècles. Sa démarche d’engagement mobilisateur explique le fait que son image ait été beaucoup controversée et parfois utilisée comme une personnification de la liberté. On dit d’ailleurs que « la Belle Rebelle « a été une icône lors de la révolution française et nous savons que les discours féministes du XXe siècle ont repris sa figure de femme libre. La jeune femme a été considérée de manière différente au fil des siècles. La constante reste cependant la figure de la liberté. En effet, qu’elle ait été considérée comme courtisane ou libre penseuse empreinte de modernité, celle-ci a toujours répondu au critère de la femme libre, la « Belle Rebelle « comme le soulignait Marot à l’époque, alors qu’il était épris de la jeune femme. Elle cultive ainsi le modèle de la femme libre. Elle représente a sa façon une facette de la Renaissance : elle illustre une époque heureuse où la parole est libérée, où les langues et les mœurs se délient, où l’on chante le plaisir charnel et où une femme d’extraction modeste a pu se hisser au sommet de la gloire poétique.

Bibliographie

 

 

Etudes réunies par B. ALONSO et E. VIENNOT, Louise Labé 2005, Publ. De l’Université de St Etienne, St Etienne, 2004.

 

K. BERRIOT, Louise Labé, Ed. Le Seuil, Paris, 1985.

 

J. CEARD, G. TIN, Anthologie de la poésie française du XVIème siècle, éd. Gallimard, Paris, p. 280

 

Textes réunis par G. Demerson, Louise Labé, les voix du lyrisme, Ed. du CNRS, St Etienne, 1990.

 

M. DEPILLIER, Louise Labé la première féministe, Ed. du losange, Paris, 2003.

 

F. JOUKOVSKY, Orphée et ses disciples dans la poésie française et néo-latine du XVIe siècle, Droz, Genève, 1970.

 

Louise LABE, Œuvres poétiques, Ed. Gallimard, NRF, Paris, 2003.

M. LAZARD, Louise Labé, Ed Arthème Fayard, Paris, 2004.

OVIDE, Héroides, épître I, [en ligne], consulté le 22 novembre 2009, disponible sur : http://remacle.org/bloodwolf/poetes/Ovide/heroides.htm#XV

 

F. RIGOLOT, Louise Labé Lyonnoise ou  La Renaissance au féminin, Champion, Paris, 1997.

 


[1] OVIDE, Héroides, épître I, disponible sur : http://remacle.org/bloodwolf/poetes/Ovide/heroides.htm#XV [en ligne], consulté le 22 novembre 2009

[2] Louise LABE, Œuvres poétiques, Ed. Gallimard, NRF, Paris, 2003, p.101

[3] Ibid. ,p.106

[4] F. JOUKOVSKY, Orphée et ses disciples dans la poésie française et néo-latine du XVIe siècle, Droz, Genève, 1970, p.111

[5]  Louise LABE, Œuvres poétiques, Ed. Gallimard, NRF, Paris, 2003,p. 97

[6] Ibid., p. 94

[7] Ibid, p. 116

[8] Ibid., sonnet XX, p. 128

[9] Ibid., p. 126

[10] Ibid, p. 108

[11] J. CEARD, G. TIN, Anthologie de la poésie française du XVIème siècle, éd. Gallimard, Paris, p. 280

[12] Louise LABE, Œuvres poétiques, Ed. Gallimard, NRF, Paris, 2003, p. 131

[13] Ibid, p. 131

[14] Ibid, p. 129

« Introduction La littérature est un puits incessant de créations toujours nouvelles qui prennent forme suivant différents critères sociaux,historiques, économiques ou politiques.

Une période en particulier a révolutionné la littérature se situant comme le point derenverse de l'histoire de la littérature française.

C'est en effet, à la Renaissance, époque paradoxale des grandes découvertes etdu retour vers le passé, que tout s'est joué.

Chaque domaine artistique a pu prendre un nouveau départ et la littérature a vu naîtredes genres, mourir d'autres.

Dans la lignée de ces changements, il faut savoir que le XVIe siècle assiste à l'essor del'écriture féminine dans les différents genres littéraires.

En poésie, une femme semble avoir bouleversé le genre de part soncaractère battant et sa volonté puissante de transformer une société masculine en société mixte.

Louise Labé a permis de souleverles questions de la féminité dans la poésie mais également du féminisme dans la politique.

Nous nous intéresserons à son œuvrepoétique sachant qu'elle est également l'auteur d'un discours philosophique intitulé Débat de Folie et d'Amour , dont nous ne parlerons pas afin de centrer notre analyse sur son œuvre poétique.

Notons simplement qu'elle est l'auteur d'un seul ouvrageintitulé Œuvres et publié en 1555 dans lequel se suivent son unique discours philosophique, ses trois élégies et ses vingt quatre sonnets amoureux. Nous analyserons dans cette étude de quelle manière Louise Labé insère son identité sexuelle dans son œuvre poétique et quellesquestions politiques et philosophiques cela a pu questionner à son époque. Pour cela nous observerons en premier lieu comment Labé transpose son imitation des écrivains passés au féminin, puis nousanalyserons la portée de son lyrisme féminin, pour ensuite considérer de quelle manière sa poésie est un engagement pour lacause des femmes de son époque.. »

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