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LUCRÈCE ET LA MORALE ÉPICURIENNE

Publié le 05/07/2011

Extrait du document

morale

De la Nature des choses dans la traduction revue par Paul Nizan. Éloges d'Épicure : « La religion... foulée aux pieds « « Quand la vie humaine était écrasée sur la terre, oppressée par une pesante religion, qui montrait du haut des régions célestes un visage dont l'aspect terrible menaçait l'homme, le premier, un Grec, osa lever contre elle ses yeux mortels et le premier osa contre elle se dresser. Ni les fables des dieux ni la foudre ni les grondements menaçants du ciel ne l'arrêtèrent. Ils ne firent qu'exciter davantage son courage, son désir de forcer le premier les portes étroitement closes de la nature. Ainsi la force vive de son esprit l'emporta, il s'avança au-delà des murailles enflammées du monde, par la pensée et par l'esprit il parcourut l'immense tout, pour nous en rapporter, vainqueur, la connaissance de ce qui peut et de ce qui ne peut pas naître, les lois qui délimitent la puissance de chaque chose suivant des bornes fixes. Ainsi la religion, à son tour foulée aux pieds, est renversée, et la victoire nous égale au ciel « ( Livre I, vers 62-79).

« Comme un plaisir divin « « Toi qui pus le premier faire jaillir de tant de phénomènes une lumière si belle et éclairer les vrais biens de la vie, je suis tes traces, ô honneur du peuple grec, et dans les empreintes laissées par tes pas, je pose maintenant le pied, moins désireux de rivaliser avec toi que poussé par l'amour qui m'engage à t'imiter. L'hirondelle peut-elle lutter avec les cygnes, les chevreaux peuvent-ils, avec leurs pattes tremblantes, égaler la puissante course du cheval ? O père, inventeur de vérité, tu nous prodigues des préceptes paternels ; dans tes livres, ô glorieux, — comme les abeilles, butinant tout dans les prés fleuris — nous nous repaissons de ces paroles d'or, les plus dignes qui fussent jamais de la vie éternelle. Dès que ta doctrine a commencé à proclamer la nature des choses, établie par ton esprit divin, les terreurs de l'esprit se dissipent, les murailles du monde s'écartent, à travers le tout, je vois les choses s'accomplir. Apparaissent la puissance des dieux et leurs séjours pacifiques que n'ébranlent pas les vents, que les nuages ne battent pas de leurs pluies, que la neige blanche, condensée par le froid aigu, n'outrage pas de sa chute, mais que couvre toujours un éther sans nuage et qui sont riants sous le vaste rayonnement de la lumière. La nature les comble, jamais rien n'effleure la paix de leur âme. Mais nulle part n'apparaissent les lieux de l'Achéron, et la terre n'empêche pas de discerner toutes les choses qui s'accomplissent sous nos pieds dans les profondeurs du vide. Devant ces choses, comme un plaisir divin, mêlé d'horreur, me saisit, à la pensée que la nature, ainsi découverte par ta puissance, se montre, totalement dépouillée de ses voiles « (Livre III, 1-30).

« II purifia donc les cœurs « « La première, Athènes au nom glorieux, distribua aux mortels malheureux les fruits des moissons, renouvela la vie et institua des lois ; la première aussi, elle donna les douces consolations de la vie, en engendrant l'homme au vaste génie, dont les lèvres véridiques donnèrent réponse à toutes choses. Il est mort : mais ses divines inventions ont répandu à travers les années sa gloire qui s'élève désormais jusqu'au ciel. Il vit que tout le nécessaire réclamé par les besoins de la vie était à peu près assuré aux mortels, que leur existence était, dans la mesure du possible, à l'abri du danger; il vit que les puissants regorgeaient de richesses, d'honneur et de gloire et se prévalaient de la bonne renommée de leurs enfants, et que pourtant, dans le secret d'eux-mêmes, ils avaient des cœurs angoissés qui tourmentaient sans répit la vie de l'esprit et le faisaient s'emporter en furieuses plaintes. Il comprit que tout le mal venait du vase lui-même, dont les défauts laissaient perdre tout ce qu'on y versait, et les biens mêmes : soit que, perméable et sans fond, il apparût incapable de se jamais remplir, soit que le goût infect dont il le sentait imprégné corrompît tout ce qu'il contenait. Par ses paroles véridiques, il purifia donc les cœurs, il fixa des limites aux désirs et aux terreurs, il définit ce souverain bien vers quoi nous tendons et il nous montra la voie la plus courte et la plus droite qui pût nous y conduire. Il fit voir tout ce qu'il y avait de malheur dans les choses humaines, comment il se produit et s'envole sous des formes diverses, soit par accident ou par cause naturelle, selon l'ordre établi par l'univers ; il enseigna par quelles portes il faut sortir pour le repousser et montra que c'est presque toujours sans raison que le genre humain roule dans sa poitrine les tristes flots de ses tourments. Comme les enfants qui tremblent et s'effrayent de tout dans les ténèbres aveugles, nous redoutons au grand jour des choses qui ne sont pas plus terribles que celles que les enfants craignent et voient s'approcher dans la nuit. Cette terreur, ces ténèbres spirituelles, ce ne sont pas les rayons du soleil, les flèches étincelantes du jour qui doivent les dissiper, mais le visage radieux de la nature et son explication « (Livre VI, 1-41).

Sérénité « Il est doux, quand sur la grande mer les vents bouleversent les eaux, de contempler de la terre les grandes épreuves d'autrui. Non point que la souffrance de l'homme soit un plaisir, mais parce qu'il est doux de voir à quels maux on échappe soi-même. Il est doux de regarder les grands engagements de la guerre qui se déroulent dans les campagnes, quand on n'a point de part au danger. Mais il n'y a rien de plus doux que de tenir les hauts lieux fortifiés par la science des sages, les séjours pacifiques d'où l'on peut voir errer les hommes qui cherchent à l'aveugle le chemin de la vie, qui rivalisent de génie, de noblesse, qui nuit et jour s'efforcent, par un travail sans égal, d'arriver au sommet de la fortune ou de s'emparer du pouvoir. Esprits misérables des hommes, cœurs aveugles, dans quelles ténèbres, dans quels périls se passe ce peu de chose qu'est la vie ! Ne sais-tu pas ce que crie la nature ? Qu'elle ne veut pour le corps que l'absence de douleur, pour l'esprit que le sentiment de bien-être, sans inquiétude et sans angoisse ? Il faut peu de chose au corps : tout ce qui supprime la douleur peut aussi lui procurer bien des délices. La nature elle-même ne réclame alors rien de plus agréable : s'il n'y a pas dans les maisons des statues dorées de jeunes gens tenant dans leurs mains droites des lampes allumées pour éclairer les orgies de la nuit, si la maison ne brille pas d'argent, n'éclate pas d'or, si les cithares ne font point résonner les salles à lambris et à dorures, c'est assez, étendus entre amis dans l'herbe élastique, au bord d'une eau courante, sous les branches d'un grand arbre, de pouvoir à peu de frais nourrir agréablement nos corps, surtout quand le temps est riant et que la saison couvre de fleurs l'herbe verte. Et les fièvres brûlantes ne quittent pas plus vite un corps couché sur des broderies ou sur la pourpre qu'un corps couché sur une couverture plébéienne. Puisque pour notre corps les trésors ne sont d'aucun secours, ni la naissance, ni la gloire du trône, pour le reste, il faut penser qu'ils ne sont pas plus utiles à l'esprit. Est-ce que par hasard, en voyant tes légions déployer avec ardeur sur le Champ-de- Mars les imitations de la guerre, soutenues par de nombreuses réserves, une puissante cavalerie, pourvues dans chaque parti des mêmes armes et animées du même courage, et voyant la flotte manœuvrer fiévreusement au large, — est-ce que les superstitions effrayées par ces choses s'enfuient, est-ce que les terreurs de la mort quittent ta poitrine, la laissant libre et délivrée de l'angoisse? « (Livre II, 1-46).

« Vivre de peu « « Si pourtant on gouvernait sa vie d'après la vraie raison, la grande richesse pour l'homme est de vivre le cœur content de peu : il n'y a jamais disette de ce peu. Mais les hommes se sont voulus célèbres et puissants, afin que leur fortune fût assise sur un solide fondement et qu'ils pussent vivre une vie opulente et tranquille. En vain, car luttant pour arriver au plus haut des honneurs, ils ont encombré de périls le chemin de la vie. Et même au sommet, l'envie les foudroie comme l'éclair et les jette honteusement dans le terrible Tartare. Car l'envie, comme l'éclair, incendie plutôt les hauts lieux et ce qui s'élève au- dessus du commun. Il vaut mieux obéir paisiblement que de vouloir soumettre le monde à son empire et tenir le pouvoir royal. Qu'ils suent leur sueur de sang, qu'ils s'épuisent dans leurs batailles vaines sur le chemin étroit de l'ambition, puisqu'ils n'ont de goût que par la bouche d'autrui et choisissent plutôt par ouï-dire que par leurs propres sensations « ( Livre V, 1117-1134).

Le mal « La violence et l'injustice sont comme des filets : d'où qu'elles viennent, elles reviennent toujours sur leur auteur, et il n'est pas facile de mener une vie calme et paisible quand on a violé par ses actes les contrats collectifs de la paix. Même si on échappe aux dieux et aux hommes, on ne doit pas croire que l'acte demeurera éternellement inconnu « ( Livre V, 1152- 1157).

Les effets du trouble « Il faut chasser et abattre cette peur de l'Achéron qui enfoncée dans l'homme bouleverse sa vie, colore tout du noir de la mort, ne laisse limpide aucun plaisir. Les hommes disent souvent que les maladies sont plus terribles que la mort, la honte plus terrible que le Tartare ; qu'ils savent que la nature de l'âme est faite de sang, ou de vent, si leur fantaisie les porte, et qu'ils n'ont pas besoin de nos raisons. Mais tu verras que ce sont là propos glorieux de vantards plutôt que conviction réelle. Chassés de leur patrie, bannis loin du regard des hommes, déshonorés par un crime infamant, accablés enfin de tous les malheurs, ils vivent, et partout où leur misère les a menés, ils sacrifient aux morts, ils égorgent des brebis noires, ils font des offrandes aux dieux mânes, l'amertume même du malheur tourne leur esprit à la religion. C'est dans l'incertitude des périls qu'il faut considérer l'homme, dans le malheur qu'il faut savoir qui il est. C'est alors que des paroles authentiques jaillissent de sa poitrine : le masque tombe, la vérité demeure. Enfin la cupidité, le désir aveugle des honneurs qui contraignent les misérables hommes à franchir les limites du droit, à se faire parfois complices et ministres des crimes, à travailler nuit et jour à arriver au sommet de la fortune, ces blessures de la vie sont presque toujours entretenues par la terreur de la mort. Car le mépris infamant, la poignante pauvreté paraissent éloignés d'une vie douce et stable, et semblent séjourner aux portes de la mort. Alors les hommes contraints par leur fausse terreur veulent fuir loin de ces maux et les écarter loin d'eux, ils enflent leur fortune par des crimes, ils doublent leurs richesses avidement, accumulant meurtre sur meurtre, ils tirent cruellement de la joie des funérailles d'un frère, et la table de leurs parents leur est un objet de haine et d'effroi. De la même manière c'est souvent cette même terreur qui fait naître l'envie desséchante : on voit un homme puissant, un homme qui attire les regards et qui marche dans l'éclat des honneurs, on est soi-même dans l'ombre et la boue, on se plaint. Des hommes meurent pour des statues, pour l'honneur du nom. Et souvent même, dans la terreur de la mort, le dégoût de la vie et de la lumière saisit si fort les hommes qu'ils se donnent volontairement la mort par excès de détresse, oubliant que la source des angoisses est cette terreur même, que c'est elle qui persécute la vertu, qui rompt les liens d'amitié, dont les conseils enfin détruisent la piété. Souvent déjà des hommes ont trahi leur patrie et leurs parents en cherchant à échapper aux séjours de l'Achéron « (Livre III, 37-88).

« La mort n'est donc rien pour nous « « La mort n'est donc rien pour nous, elle ne nous concerne point, puisque la nature de l'âme est mortelle. De même que nous n'avons point senti la douleur dans le passé, au temps où les Carthaginois arrivaient de partout pour nous combattre, où le monde, secoué par le tumulte effrayant de la guerre, tremblait d'horreur sous les voûtes profondes de l'éther, où les hommes se demandaient à qui reviendrait l'empire de la terre et de la mer, de même, quand nous ne serons plus, quand il y aura eu ce divorce du corps et de l'âme dont l'union fait notre être, alors rien ne pourra plus nous atteindre ou nous émouvoir, nous qui ne serons plus, même si la terre se mêle à la mer et la mer au ciel... Même si le temps rassemblait notre matière après notre mort et la remet dans le même ordre que maintenant et nous soient encore une fois données les lumières de la vie, cet événement ne nous touchera nullement, puisque la chaîne de nos souvenirs aura été rompue. Et de même, maintenant, il ne nous importe aucunement de savoir qui nous fûmes ; aucune angoisse ne nous saisit à la pensée de ce moi d'autrefois. Car si l'on considère toute l'étendue passée du temps infini, l'infinité des mouvements de la matière, il est facile de croire que ces mêmes éléments dont nous sommes faits ont déjà été rangés plus d'une fois dans le même ordre que maintenant, sans que nous puissions ressaisir dans notre mémoire cet état du passé. Entre-temps, il y a eu suppression de la vie et tous les mouvements se sont égarés au hasard, en dehors des sensations. Il faut que, pour que malheur et souffrance atteignent un homme, qu'il soit lui-même vivant au temps où le malheur peut l'atteindre. Puisque la mort détruit cette existence et empêche d'être celui que menaceraient tous ces maux, nous pouvons en conclure qu'il n'y a rien à redouter dans la mort, que celui qui n'est pas ne peut être malheureux et qu'il n'importe point qu'il soit ou non déjà né à un autre moment, puisque cette vie mortelle, une mort immortelle l'a détruite. Quand tu vois un homme se désespérer en pensant qu'après sa mort son corps abandonné pourrira ou sera dévoré par le feu ou la dent des bêtes sauvages, sache que sa voix sonne faux, qu'il y a dans son cœur quelque aiguillon aveugle, malgré son refus de croire qu'un sentiment puisse subsister en lui dans la mort. Je crois qu'il n'accorde pas ce qu'il annonce et ne donne pas ses vraies raisons, il ne se retranche pas, il ne s'arrache pas radicalement de la vie, mais à son insu même, il suppose que quelque chose de lui survit. Quand un vivant se représente son corps déchiré par les oiseaux et les bêtes, c'est sur lui-même qu'il s'apitoie : il ne se sépare, il ne se distingue pas assez de ce corps étendu, il s'imagine debout près de lui, et il lui prête sa sensibilité. Ainsi il s'indigne d'être né mortel, il ne voit pas que dans la véritable mort il n'y aura pas d'autre lui-même qui, toujours vivant, puisse pleurer sa propre perte et, resté debout, gémir de se voir inerte, dévoré ou brûlé... Si la nature parlait soudain et faisait à l'un de nous ces reproches : « Qu'est-ce qui te tient tant à cœur, mortel, pour que tu cèdes à ces plaintes trop amères ? Pourquoi la mort te fait-elle gémir et pleurer ? Car si la vie t'a été bonne, si tous les plaisirs n'ont pas été entassés dans un vase sans fond, s'ils ne sont pas écoulés, s'ils n'ont pas disparu en vain, pourquoi ne quittes-tu pas la vie comme un convive satisfait, pourquoi, pauvre sot, n'accueilles-tu pas sereinement un repos qui ne sera jamais menacé ? Et si les choses dont tu as joui ont passé en vain, si la vie t'est odieuse, pourquoi veux-tu l'allonger d'un temps qui aboutira à son tour à une triste fin et se dissipera tout entier sans profit? Ne vaut-il pas mieux mettre fin à ta vie et à tes peines ? Je ne veux plus imaginer quelque invention nouvelle pour te plaire : les choses sont éternellement les mêmes. Si ton corps n'est pas décrépit par les années, si tes membres ont gardé leur force, les choses restent pourtant les mêmes ; si même ta vie triomphait de toutes les générations et bien plus encore, si tu ne devais jamais mourir. «

Que répondre, sinon que la nature nous intente un juste procès et qu'elle plaide la cause de la vérité ?... Toutes les générations qui t'ont précédé sont mortes : celles qui te succéderont mourront. Ainsi les êtres ne cessent jamais de naître les uns des autres, la vie n'est la propriété de personne, elle est l'usufruit de tous. Regarde en arrière : vois quel néant a été pour nous cette antiquité du temps éternel qui précéda notre naissance. Voilà le miroir sur lequel la nature nous montre notre avenir au-delà de la mort. Y voit-on apparaître quelque chose d'horrible ou de désolé, n'est-ce pas un état plus tranquille que tous les sommeils ?... Si les hommes pouvaient, quand ils semblent sentir dans leur cœur un poids dont la lourdeur l'épuisé, savoir les causes de ce mal, savoir pourquoi demeure dans leur poitrine un si grand fardeau de malheur, ils ne vivraient pas comme nous les voyons presque tous vivre, ignorant ce qu'ils veulent, cherchant toujours à changer de place comme pour se délivrer d'un fardeau. Voici un homme qui passe sans cesse le seuil de sa grande maison parce qu'il en a soudain dégoût, mais il y revient brusquement parce qu'il ne se sent nullement mieux dehors. Il se précipite, poussant ses chevaux, à sa maison des champs comme s'il courait au secours de son toit incendié ; il s'ennuie dès qu'il en a touché le seuil, ou il tombe lourdement dans un sommeil où il cherche l'oubli, ou il revient en hâte vers la ville. C'est ainsi que chacun se fuit, mais comme il est impossible d'échapper, on reste attaché à ce moi qu'on déteste : le malade ne sait point la cause de sa maladie. Si on la voyait bien, abandonnant tout le reste, on chercherait d'abord à connaître la nature des choses : car c'est du temps éternel qu'il s'agit, et non d'une heure, ce temps éternel où les mortels passeront toute la durée qui reste à courir après la mort. Faut-il donc tellement trembler devant l'incertitude du danger ? Quel est donc ce grand désir misérable de la vie qui nous y contraint ? La fin de la vie est là, elle est fixée pour les mortels, personne n'échappera à cette comparution devant la mort. Nous tournons dans le même cercle, nous n'en sortirons pas : aucun plaisir nouveau ne naîtra de l'allongement de la vie. Mais quand ce que nous désirons est loin, il nous semble dépasser tout le reste. Quand nous l'avons atteint, la même soif de la vie nous tient toujours haletants. Nous ne savons rien du sort que l'avenir nous réserve, des traverses et de la mort qui nous attendent. Et la prolongation de notre vie ne soustrait rien au temps réservé à la mort : nous ne pouvons rien lui enlever pour diminuer la durée de notre néant. Tu pourras enterrer toutes les générations que tu voudras : la mort éternelle t'attendra toujours. L'homme dont la mort date d'hier et celui qui est mort depuis des mois et des années seront aussi longtemps plongés dans le néant « (extraits du Livre III).

Le temps « Ainsi continue avec des succès égaux la guerre que se font les principes depuis le commencement des temps infinis. Tantôt ici, tantôt là, les principes de la vie triomphent, puis sont vaincus. Au deuil se mêle le vagissement que poussent les enfants abordant aux rives de la lumière. Aucune nuit n'a suivi le jour, aucun jour n'a suivi la nuit qui n'aient entendu mêlés aux vagissements aigus les pleurs, compagnes de la mort et des sombres funérailles « (Livre II, 573-580). La nature des dieux, « subtile nature « « De même, il t'est impossible de croire que les séjours sacrés des dieux existent quelque part dans ce monde. Subtile en effet est la nature des dieux ; bien au-delà de la portée des sens, elle paraît à peine concevable à l'esprit. Comme elle échappe au contact et à la prise de nos mains, elle ne peut rien toucher qui nous soit tangible. Le toucher est interdit à ce qui est soi-même intangible. C'est pourquoi leurs séjours doivent être différents des nôtres, subtils comme leur substance même. Toutes choses que je prouverai plus tard en détail. Dire d'autre part que c'est pour les hommes que les dieux ont voulu préparer les merveilles du monde, et qu'il faut donc louer leur admirable ouvrage, le croire éternel et promis à l'immortalité, penser qu'il est sacrilège d'ébranler ses fondements par aucune attaque parce qu'il a été bâti par l'antique sagesse des dieux pour les hommes et institué sur l'éternité, qu'il ne faut point l'attaquer en paroles ni vouloir le bouleverser, toutes ces choses et tout ce qu'on peut imaginer de plus dans ce genre, Memmius, ne sont que folie. Quel bénéfice des êtres immortels et bienheureux pourraient-ils espérer de notre gratitude, pour entreprendre un acte pour l'amour de nous ? Quelle nouveauté a pu après tant d'années pacifiques les pousser à vouloir changer leur ancienne vie ? La joie des nouveautés ne séduit que ceux qui sont las du passé. Mais celui dont le passé a ignoré le malheur, celui qui a magnifiquement vécu, comment un tel amour de la nouveauté a-t-il pu l'enflammer? Quel mal y avait-il pour nous à n'être point créés?... Et le modèle des choses à créer et l'idée même des hommes, d'où sont-ils donc venus aux dieux ? Comment ont-ils pu savoir et voir ce qu'ils voulaient faire ? Comment ont-ils jamais pu connaître la vertu des corps premiers et ce que ceux-ci pouvaient réaliser en modifiant leur ordre, si la nature elle-même ne leur a pas donné le modèle de la création? « (V, 146-174 & 181-186).

morale

« qu'est la vie ! Ne sais-tu pas ce que crie la nature ? Qu'elle ne veut pour le corps que l'absence de douleur, pourl'esprit que le sentiment de bien-être, sans inquiétude et sans angoisse ?Il faut peu de chose au corps : tout ce qui supprime la douleur peut aussi lui procurer bien des délices.

La natureelle-même ne réclame alors rien de plus agréable : s'il n'y a pas dans les maisons des statues dorées de jeunes genstenant dans leurs mains droites des lampes allumées pour éclairer les orgies de la nuit, si la maison ne brille pasd'argent, n'éclate pas d'or, si les cithares ne font point résonner les salles à lambris et à dorures, c'est assez,étendus entre amis dans l'herbe élastique, au bord d'une eau courante, sous les branches d'un grand arbre, depouvoir à peu de frais nourrir agréablement nos corps, surtout quand le temps est riant et que la saison couvre defleurs l'herbe verte.

Et les fièvres brûlantes ne quittent pas plus vite un corps couché sur des broderies ou sur lapourpre qu'un corps couché sur une couverture plébéienne.Puisque pour notre corps les trésors ne sont d'aucun secours, ni la naissance, ni la gloire du trône, pour le reste, ilfaut penser qu'ils ne sont pas plus utiles à l'esprit.

Est-ce que par hasard, en voyant tes légions déployer avecardeur sur le Champ-de- Mars les imitations de la guerre, soutenues par de nombreuses réserves, une puissantecavalerie, pourvues dans chaque parti des mêmes armes et animées du même courage, et voyant la flottemanœuvrer fiévreusement au large, — est-ce que les superstitions effrayées par ces choses s'enfuient, est-ce queles terreurs de la mort quittent ta poitrine, la laissant libre et délivrée de l'angoisse? » (Livre II, 1-46). « Vivre de peu »« Si pourtant on gouvernait sa vie d'après la vraie raison, la grande richesse pour l'homme est de vivre le cœurcontent de peu : il n'y a jamais disette de ce peu.

Mais les hommes se sont voulus célèbres et puissants, afin queleur fortune fût assise sur un solide fondement et qu'ils pussent vivre une vie opulente et tranquille.

En vain, carluttant pour arriver au plus haut des honneurs, ils ont encombré de périls le chemin de la vie.

Et même au sommet,l'envie les foudroie comme l'éclair et les jette honteusement dans le terrible Tartare.

Car l'envie, comme l'éclair,incendie plutôt les hauts lieux et ce qui s'élève au- dessus du commun.

Il vaut mieux obéir paisiblement que devouloir soumettre le monde à son empire et tenir le pouvoir royal.

Qu'ils suent leur sueur de sang, qu'ils s'épuisentdans leurs batailles vaines sur le chemin étroit de l'ambition, puisqu'ils n'ont de goût que par la bouche d'autrui etchoisissent plutôt par ouï-dire que par leurs propres sensations » ( Livre V, 1117-1134). Le mal« La violence et l'injustice sont comme des filets : d'où qu'elles viennent, elles reviennent toujours sur leur auteur,et il n'est pas facile de mener une vie calme et paisible quand on a violé par ses actes les contrats collectifs de lapaix.

Même si on échappe aux dieux et aux hommes, on ne doit pas croire que l'acte demeurera éternellementinconnu » ( Livre V, 1152- 1157). Les effets du trouble« Il faut chasser et abattre cette peur de l'Achéron qui enfoncée dans l'homme bouleverse sa vie, colore tout dunoir de la mort, ne laisse limpide aucun plaisir.Les hommes disent souvent que les maladies sont plus terribles que la mort, la honte plus terrible que le Tartare ;qu'ils savent que la nature de l'âme est faite de sang, ou de vent, si leur fantaisie les porte, et qu'ils n'ont pasbesoin de nos raisons.

Mais tu verras que ce sont là propos glorieux de vantards plutôt que conviction réelle.Chassés de leur patrie, bannis loin du regard des hommes, déshonorés par un crime infamant, accablés enfin de tousles malheurs, ils vivent, et partout où leur misère les a menés, ils sacrifient aux morts, ils égorgent des brebis noires,ils font des offrandes aux dieux mânes, l'amertume même du malheur tourne leur esprit à la religion.

C'est dansl'incertitude des périls qu'il faut considérer l'homme, dans le malheur qu'il faut savoir qui il est.

C'est alors que desparoles authentiques jaillissent de sa poitrine : le masque tombe, la vérité demeure.Enfin la cupidité, le désir aveugle des honneurs qui contraignent les misérables hommes à franchir les limites du droit,à se faire parfois complices et ministres des crimes, à travailler nuit et jour à arriver au sommet de la fortune, cesblessures de la vie sont presque toujours entretenues par la terreur de la mort.

Car le mépris infamant, la poignantepauvreté paraissent éloignés d'une vie douce et stable, et semblent séjourner aux portes de la mort.

Alors leshommes contraints par leur fausse terreur veulent fuir loin de ces maux et les écarter loin d'eux, ils enflent leurfortune par des crimes, ils doublent leurs richesses avidement, accumulant meurtre sur meurtre, ils tirentcruellement de la joie des funérailles d'un frère, et la table de leurs parents leur est un objet de haine et d'effroi.De la même manière c'est souvent cette même terreur qui fait naître l'envie desséchante : on voit un hommepuissant, un homme qui attire les regards et qui marche dans l'éclat des honneurs, on est soi-même dans l'ombre etla boue, on se plaint.

Des hommes meurent pour des statues, pour l'honneur du nom.

Et souvent même, dans laterreur de la mort, le dégoût de la vie et de la lumière saisit si fort les hommes qu'ils se donnent volontairement lamort par excès de détresse, oubliant que la source des angoisses est cette terreur même, que c'est elle quipersécute la vertu, qui rompt les liens d'amitié, dont les conseils enfin détruisent la piété.

Souvent déjà des hommesont trahi leur patrie et leurs parents en cherchant à échapper aux séjours de l'Achéron » (Livre III, 37-88). « La mort n'est donc rien pour nous »« La mort n'est donc rien pour nous, elle ne nous concerne point, puisque la nature de l'âme est mortelle.

De mêmeque nous n'avons point senti la douleur dans le passé, au temps où les Carthaginois arrivaient de partout pour nouscombattre, où le monde, secoué par le tumulte effrayant de la guerre, tremblait d'horreur sous les voûtes profondesde l'éther, où les hommes se demandaient à qui reviendrait l'empire de la terre et de la mer, de même, quand nous. »

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