Devoir de Philosophie

Marcel PROUST (1871-1922) La complexité de nos perceptions Mes promenades de cet automne-là furent d'autant plus agréables que je les faisais après de longues heures passées sur un livre.

Publié le 21/10/2016

Extrait du document

proust
Marcel PROUST (1871-1922) La complexité de nos perceptions Mes promenades de cet automne-là furent d'autant plus agréables que je les faisais après de longues heures passées sur un livre. Quand j'étais fatigué d'avoir lu toute la matinée dans la salle, jetant mon plaid sur mes épaules, je sortais : mon corps obligé depuis longtemps de garder l'immobilité, mais qui s'était chargé sur place d'animation et de vitesse accumulées, avait besoin ensuite, comme un toupie qu'on lâche, de les dépenser dans toutes les directions. Les murs des maisons, la haie de Tansonville, les arbres du bois de Roussainville, les buissons auxquels s'adosse Montjouvain recevaient des coups de parapluie ou de canne, entendaient des cris joyeux, qui n'étaient, les uns et les autres, que des idées confuses qui m'exaltaient et qui n'ont pas atteint le repos dans la lumière, pour avoir préféré à un lent et difficile éclaircissement, le plaisir d'une dérivation plus aisée vers une issue immédiate. La plupart des prétendues traductions de ce que nous avons ressenti ne font ainsi que nous en débarrasser en les faisant sortir de nous sous une forme indistincte qui ne nous apprend pas à le connaître. Quand j'essaye de faire le compte de ce que je dois au côté de Méséglise, des humbles découvertes dont il fut le cadre fortuit ou le nécessaire inspirateur, je me rappelle que c'est, cet automne-là, dans une de ces promenades, près du talus broussailleux qui protège Montjouvain, que je fus frappé pour la première fois de ce désaccord de nos impressions et leur expression habituelle. Après une heure de pluie et de vent contre lesquels j'avais lutté avec allégresse, comme j'arrivais au bord de la mare de Montjouvain, devant une petite cahute recouverte en tuiles où le jardinier de M. Vinteuil serrait ses instruments de travail, le soleil venait de reparaître, et ses dorures lavées par l'averse reluisaient à neuf dans le ciel, sur les arbres, sur le mur de la cahute, sur son toit de tuile encore mouillé, à la crête duquel se promenait une poule. Le vent qui soufflait tirait horizontalement les herbes folles qui avaient passé dans la paroi du mur, et les plumes de duvet de la poule, qui, les unes et les autres se laissaient filer au gré de son souffle jusqu'à l'extrémité de leur longueur, avec l'abandon de choses inertes et légères. Le toit de tuile faisait dans la mare, que le soleil rendait de nouveau réfléchissante, une marbrure rose, à laquelle je n'avais encore jamais fait attention. Et voyant sur l'eau et à la face du mur un pâle sourire répondre au sourire du ciel, je m'écriai dans mon enthousiasme en brandissant mon parapluie fermé : « Zut, zut, zut, zut. » Mais en même temps je sentis que mon devoir eût été de ne pas m'en tenir à ces mots opaques et de tâcher voir plus clair dans mon ravissement. Et c'est à ce moment-là encore - grâce à un paysan qui passait, l'air déjà d'être d'assez mauvaise humeur, qui le fut davantage quand il faillit recevoir mon parapluie dans la figure, et qui répondit sans chaleur à mes « beau, n'est-ce pas, il fait bon marcher » - que j'appris que les mêmes émotions ne se produisent pas simultanément dans un ordre préétabli, chez tous les hommes. 00020000004000000C7B3B,Du côté de chez Swann, 1913, première partie, chapitre II.
proust

« souffle jusqu'? l'extr?mit? de leur longueur, avec l'abandon de choses inertes et l?g?res.

Le toit de tuile faisait dans la mare, que le soleil rendait de nouveau r?fl?chissante, une marbrure rose, ? laquelle je n'avais encore jamais fait attention.

Et voyant sur l'eau et ? la face du mur un p?le sourire r?pondre au sourire du ciel, je m'?criai dans mon enthousiasme en brandissant mon parapluie ferm?: ??Zut, zut, zut, zut.?? Mais en m?me temps je sentis que mon devoir e?t ?t? de ne pas m'en tenir ? ces mots opaques et de t?cher voir plus clair dans mon ravissement. Et c'est ? ce moment-l? encore - gr?ce ? un paysan qui passait, l'air d?j? d'?tre d'assez mauvaise humeur, qui le fut davantage quand il faillit recevoir mon parapluie dans la figure, et qui r?pondit sans chaleur ? mes ??beau, n'est-ce pas, il fait bon marcher?? - que j'appris que les m?mes ?motions ne se produisent pas simultan?ment dans un ordre pr??tabli, chez tous les hommes. 00020000004000000C7B3B,Du c?t? de chez Swann, 1913, premi?re partie, chapitre?II.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles