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Mille et un jours en prison a Berlin en pleine lumière.

Publié le 11/04/2014

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prison
Mille et un jours en prison a Berlin en pleine lumière. Ce jour-là, en rentrant à la prison mon sous-officier annonça, à coup de trompe, qu'il avait vu, de ses yeux vu: Hindenburg! Les autres sous-officiers le regardaient en ayant l'air de dire:--"Vous vous vantez!" Je dus intervenir pour confirmer son assertion, et je suis sûr qu'à ce moment, moi, simple prisonnier et sujet anglais, je fus considéré comme un des hommes les plus chanceux qui soient, tant ce chef du grand État-Major était entouré de respect, d'admiration et de vénération. Bismarck lui-même, de son vivant, n'a jamais vu son front nimbé d'une pareille auréole. Le peuple allemand n'est pas démonstratif: il est plutôt taciturne et songeur. Un jour, comme nous étions sur le quai de la gare, attendant le train pour nous rendre au parc, les journaux du midi venaient d'être mis en vente, et tous ces gens les lisaient posément, religieusement, mais sans faire le moindre mouvement indiquant l'impression ressentie au cours de cette lecture. C'était à l'époque de la grande offensive austro-allemande contre l'Italie, en novembre 1917, si j'ai bonne mémoire. Une nouvelle sensationnelle venait d'être publiée: des titres flamboyants annonçaient une grande avance allemande et la prise d'une quarantaine de mille prisonniers. Après avoir pris connaissance de cette dépêche, je me mis à observer les gens qui lisaient dans mon voisinage. Je continuai mon observation au cours du trajet, dans le compartiment que nous occupions, et je n'ai jamais remarqué le moindre sourire de satisfaction se dessiner sur la figure de ces Allemands. Personne ne semblait devoir en causer avec ses compagnons de route. Cela semblait la chose la plus naturelle, ou la plus insignifiante du monde. Le peuple allemand commençait-il à réaliser que toutes ces victoires remportées par leurs armées depuis trois années ne laissaient entrevoir aucune solution heureuse, ou bien le sentiment de l'enthousiasme s'était-il émoussé chez lui après trois années de luttes, de privations et de sacrifices?... Ou bien encore, entre la bureaucratie gouvernementale, intensément militarisée, et la masse du peuple n'y avait-il plus aucune entente, ni aucun lien de sympathie? Je laisse au lecteur la solution de ce problème. Je ne me rappelle plus maintenant le nom de cet Américain qui, le premier de sa nationalité, fut interné à la Stadvogtei. C'était un homme maladif. Il nous arriva vers le temps où l'ambassadeur M. Gérard était absent. Cela se passait, je crois, au mois d'octobre ou de novembre 1916. Cet Américain prétendait qu'il n'eût jamais été interné si M. Gérard n'avait pas quitté Berlin. Il nous a souvent exprimé des craintes au sujet de la sécurité de M. Gérard. Il était sous l'impression que l'Allemagne désirait sa perte, et qu'en retournant en Amérique, M. Gérard courait grand risque d'aller au fond de la mer. Il prétendait qu'on le détestait souverainement à Berlin, et qu'on le considérait comme un ennemi des intérêts allemands. Il ne me semble pas hors de propos de mentionner ici qu'une petite polémique eut lieu, dans les journaux allemands, au sujet de Madame Gérard. Certaines feuilles l'avaient accusée d'avoir ignoré les bienséances jusqu'au point d'attacher la croix de fer au cou de son chien et de s'être promenée, avec son chien ainsi affublé, dans les rues de Berlin. L'affaire fit tellement de bruit, qu'un journal semi-officiel, la Gazette de l'Allemagne du Nord, publia un éditorial à ce sujet. On y disait que les remarques qui avaient circulé à propos de Madame Gérard étaient fausses de toute façon sous tous rapports, et que M. et Mme Gérard, en toutes occasions, avaient été d'une correction irréprochable... Il se passait rarement un jour sans que l'un des sous-officier de service, à la prison, ne vint près des Anglais internés pour leur faire la question suivante: --Quand aurons-nous la paix?... A cette question, nous répondions invariablement que nous ne le savions pas. C'était là un moyen, pour le sous-officier, d'entrer en matière puis de prolonger une conversation au cours de laquelle il trouvait le tour de dire que l'Allemagne voulait la paix, mais que l'obstacle était l'Angleterre. Plusieurs d'entre nous, et en particulier un Belge du nom de Dumont,--qui n'avait pas la langue dans sa poche,--rétorquaient alors:--Mais pourquoi avez-vous donc commencé?... Un jour, le sous-officier Chapitre XXV. INCIDENTS ET REMARQUES 55 Mille et un jours en prison a Berlin protestait, disant que l'Allemagne n'avait ni voulu ni commencé la guerre. Alors Dumont, anti-boche enragé, et violent dans la manière de s'exprimer, se mit à crier:--Vous avez raison, vous avez mille fois raison, ce n'est pas l'Allemagne qui a commencé, c'est la Belgique!!! Éclat de rire général! Le sous-officier, confus et confondu, tourne les talons et quitte la cellule. Chapitre XXVI. QUESTION D'ÉCHANGE Le 19 avril 1918 restera pour moi une date mémorable. Je venais d'être prié de me rendre à la Kommandantur: un sous-officier, qui avait reçu l'ordre de m'y accompagner, m'attendait au rez-de-chaussée. De quoi pouvait-il s'agir?... On avait eu maintes fois l'exemple de prisonniers appelés à la Kommandantur, qui n'étaient jamais revenus chez nous mais avaient été transférés dans une autre prison. Je pouvais être un peu inquiet, mais il n'y avait pas à hésiter, surtout quand il s'agissait d'un ordre donné par l'autorité militaire. En sortant de la prison, j'entamai avec le sous-officier une conversation un peu vague. --Mais, me dit-il, savez-vous pourquoi vous êtes appelé à la Kommandantur?... --Oui, lui répondis-je. --Qu'est-ce? dit-il. --Je vais être libéré!... --Eh! bien, c'est cela, mais je vous prie de n'en pas desserrer les dents, car je serais fortement réprimandé, et même puni pour vous avoir communiqué cette nouvelle moi-même. C'était la première fois que je me rendais à la Kommandantur. Je fus introduit dans une certaine pièce, où je me trouvai en présence d'un officier, le capitaine Wolff, le même qui venait à la prison, de temps à autre, recevoir les dépositions des prisonniers. En tout ce qui regardait l'administration de la prison, c'est-lui qui semblait faire le chaud et le froid. Cet homme a laissé un souvenir peu enviable chez tous les Anglais qui ont été mes compagnons de captivité. Quant à moi, je lui pardonnerai difficilement d'avoir ignoré et laissé sans réponse des douzaines et des douzaines de suppliques que je lui ai adressées pendant trois années. Il était là, me regardant et ne disant mot. --Bonjour, Monsieur, lui dis-je. --Bonjour!... Je vous ai fait venir pour vous apprendre que vous serez bientôt libéré. --Quand?... --La semaine prochaine. --Quel jour?... --Jeudi. --Au moins, est-ce que c'est bien certain?... --Comment?... Chapitre XXVI. QUESTION D'ÉCHANGE 56
prison

« protestait, disant que l'Allemagne n'avait ni voulu ni commencé la guerre.

Alors Dumont, anti-boche enragé, et violent dans la manière de s'exprimer, se mit à crier:—Vous avez raison, vous avez mille fois raison, ce n'est pas l'Allemagne qui a commencé, c'est la Belgique!!! Éclat de rire général! Le sous-officier, confus et confondu, tourne les talons et quitte la cellule. Chapitre XXVI.

QUESTION D'ÉCHANGE Le 19 avril 1918 restera pour moi une date mémorable.

Je venais d'être prié de me rendre à la Kommandantur: un sous-officier, qui avait reçu l'ordre de m'y accompagner, m'attendait au rez-de-chaussée.

De quoi pouvait-il s'agir?...

On avait eu maintes fois l'exemple de prisonniers appelés à la Kommandantur, qui n'étaient jamais revenus chez nous mais avaient été transférés dans une autre prison.

Je pouvais être un peu inquiet, mais il n'y avait pas à hésiter, surtout quand il s'agissait d'un ordre donné par l'autorité militaire. En sortant de la prison, j'entamai avec le sous-officier une conversation un peu vague. —Mais, me dit-il, savez-vous pourquoi vous êtes appelé à la Kommandantur?... —Oui, lui répondis-je. —Qu'est-ce? dit-il. —Je vais être libéré!... —Eh! bien, c'est cela, mais je vous prie de n'en pas desserrer les dents, car je serais fortement réprimandé, et même puni pour vous avoir communiqué cette nouvelle moi-même. C'était la première fois que je me rendais à la Kommandantur.

Je fus introduit dans une certaine pièce, où je me trouvai en présence d'un officier, le capitaine Wolff, le même qui venait à la prison, de temps à autre, recevoir les dépositions des prisonniers.

En tout ce qui regardait l'administration de la prison, c'est-lui qui semblait faire le chaud et le froid.

Cet homme a laissé un souvenir peu enviable chez tous les Anglais qui ont été mes compagnons de captivité.

Quant à moi, je lui pardonnerai difficilement d'avoir ignoré et laissé sans réponse des douzaines et des douzaines de suppliques que je lui ai adressées pendant trois années. Il était là, me regardant et ne disant mot. —Bonjour, Monsieur, lui dis-je. —Bonjour!...

Je vous ai fait venir pour vous apprendre que vous serez bientôt libéré. —Quand?... —La semaine prochaine. —Quel jour?... —Jeudi. —Au moins, est-ce que c'est bien certain?... —Comment?...

Mille et un jours en prison a Berlin Chapitre XXVI.

QUESTION D'ÉCHANGE 56. »

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