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Monologue de Don Carlos à Aix-la-Chapelle (1830) - Hugo

Publié le 31/05/2011

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Au quatrième acte d'Hernani, tous les personnages se retrouvent à Aix-la-Chapelle. Le roi d'Espagne, Don Carlos, pénètre dans le caveau qui contient le sépulcre de Charlemagne, et, tout en attendant le résultat de la diète rassemblée à Spire, où l'on doit élire un empereur, il médite. — Ce monologue, trop critiqué, n'en est pas moins en situation. Carlos est inquiet,. il se demande avec anxiété s'il sera choisi comme empereur; dans cet état de trouble et d'énervement, rien de plus naturel que ces réflexions sur la formidable puissance qu'il souhaite et qu'il redoute en même temps. Mais Hugo ne sait pas résister, même quand il a une idée dramatique, aux poussées de son lyrisme.

DON CARLOS, seul.

Charlemagne, pardon! ces voûtes solitaires

Ne devraient répéter que paroles austères.

Tu t'indignes sans doute à ce bourdonnement

Que nos ambitions font sur ton monument.

— Charlemagne est ici! Comment, sépulcre sombre,

Peux-tu sans éclater contenir si grande ombre?

Es-tu bien là, géant d'un monde créateur,

Et t'y peux-tu coucher de toute ta hauteur?

— Ah! c'est un beau spectacle à ravir la pensée

Que l'Europe ainsi faite et comme il l'a laissée!

Un édifice, avec deux hommes au sommet,

Deux chefs élus auxquels tout roi né se soumet.

Presque tous les États, duchés, fiefs militaires,

Royaumes, marquisats, tous sont héréditaires.

Mais le peuple a parfois son pape ou son césar;

Tout marche, et le hasard corrige le hasard.

De là vient l'équilibre, et toujours l'ordre éclate.

Électeurs de drap d'or, cardinaux d'écarlate,

Double sénat sacré dont la terre s'émeut,

Ne sont là qu'en parade, et Dieu veut ce qu'il veut.

Qu'une idée, au besoin des temps, un jour éclose,

Elle grandit, va, court, se mêle à toute chose,

Se fait homme, saisit les coeurs, creuse un sillon ; Maint roi la foule aux pieds ou lui met un bâillon; Mais qu'elle entre un matin à la diète, au conclave, Et tous les rois soudain verront l'idée esclave,

Sur leurs têtes de rois que ses pieds courberont, Surgir, le globe en main ou la tiare au front.

Le pape et l'empereur sont tout. Rien n'est sur terre Que pour eux et par eux. Un suprême mystère

Vit en eux, et le ciel, dont ils ont tous les droits, Leur fait un grand festin des peuples et des rois, Et les tient sous sa nue, où son tonnerre gronde, Seuls, assis à la table où Dieu leur sert le monde. Tête à tête ils sont là, réglant et retranchant,

Arrangeant l'univers comme un faucheur son champ. Tout se passe entre eux deux. Les rois sont à la porte, Respirant la vapeur des mets que l'on apporte, Regardant à la vitre, attentifs, ennuyés,

Et se haussant, pour voir, sur la pointe des pieds. Le monde au-dessous d'eux s'échelonne et se groupe. Ils font et défont. L'un délie, et l'autre coupe.

L'un est la vérité, l'autre est la force. Ils ont

Leur raison en eux-mêmes et sont parce qu'ils sont. Quand ils sortent, tous deux égaux, du sanctuaire, L'un dans sa pourpre, et l'autre avec son blanc suaire, L'univers ébloui contemple avec terreur

Ces deux moitiés de Dieu, le pape et l'empereur.

— Puis, quand j'aurai ce globe entre mes mains, qu'en faire? Être empereur, mon Dieu! j'avais trop d'être roi!

Cerf e, il n'est qu'un mortel de race peu commune Dont puisse s'élargir l'âme avec la fortune.

Mais, moi! qui me fera grand? qui sera ma loi?

Qui me conseillera?

Il tombe à deux genoux devant le tombeau.

Charlemagne, c'est toi!

Ah! puisque Dieu, pour qui tout obstacle s'efface,

Prend nos deux majestés et les met face à face,

Verse-moi dans le coeur, du fond de ce tombeau,

Quelque chose de grand, de sublime et de beau!

Oh! par tous ses côtés fais-moi voir toute chose,

Montre-moi que le monde est petit, car je n'ose

Y toucher. Montre-moi que sur cette Babel

Qui du pâtre à César va montant jusqu'au ciel,

Chacun en son degré se complaît et s'admire,

Voit l'autre par-dessous et se retient d'en rire.

Apprends-moi tes secrets de vaincre et de régner,

Et dis-moi qu'il vaut mieux punir que pardonner!

— N'est-ce pas? — S'il est vrai qu'en son lit solitaire Parfois une grande ombre au bruit que fait la terre

S'éveille, et que soudain son tombeau large et clair

S'entr'ouvre, et dans la nuit jette au monde un éclair, Si cette chose est vraie, empereur d'Allemagne,

Oh! dis-moi ce qu'on peut faire après Charlemagne!

Parle! dût en parlant ton souffle souverain

Me briser sur le front cette porte d'airain!

Ou plutôt, laisse-moi seul dans ton sanctuaire

Entrer, laisse-moi voir ta face mortuaire,

Ne me repousse pas d'un souffle d'aquilons,

Sur ton chevet de pierre accoude-toi. Parlons.

Oui, dusses-tu me dire, avec ta voix fatale,

De ces choses qui font l'oeil sombre et le front pâle!

Parle, et n'aveugle pas ton fils épouvanté,

Car ta tombe sans doute est pleine de clarté!

Ou, Si tu ne dis rien, laisse en ta paix profonde

Carlos étudier ta tête comme un monde;

Laisse qu'il te mesure à loisir, ô géant!

Car rien n'est ici-bas si grand que ton néant!

Que la cendre, à défaut de l'ombre, me conseille!

Il approche la clef de la serrure.

Entrons.

Il recule.

Dieu! s'il allait me parler à l'oreille!

S'il était là, debout et marchant à pas lents!

Si j'allais ressortir avec des cheveux blancs!

(Hernani, IV, sc. II, Hetzel, éditeur.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Un monologue: méditation de Don Carlos devant le tombeau de Charlemagne. — De quel drame de Victor Hugo est tiré ce monologue? Dans quelle situation se trouve Don Carlos quand il se rend auprès du tombeau de Charlemagne? Quels sont les sentiments qui l'agitent à ce moment-là? (espérance, crainte, anxiété...) ; N'est-il pas naturel, étant donné son état d'âme, qu'il parle seul? Montrez ce qu'il y a de dramatique dans ce monologue.

II. — L'analyse du morceau. — Distinguez les différentes parties du monologue : a) Apostrophe à Charlemagne, — à son tombeau; b) Réflexions de Don Carlos; puissance du pape et de l'empereur; c) Demande adressée à Charlemagne; d) Sentiment d'effroi; Si l'on considère l'attitude de Don Carlos, ne remarque-t-on pas une progression croissante dans le monologue? Indiquez-la (Don Carlos debout devant le tombeau : réflexions générales; à genoux devant le tombeau : paroles directement adressées à Charlemagne ; — puis, se décidant à entrer dans le tombeau); Quels sentiments exprime Don Carlos en s'adressant à Charlemagne, — puis à son tombeau? Quels sont les deux hommes qui étaient au sommet de l'Europe au moyen âge? L'histoire est-elle d'accord avec le drame? Que représente le pape, d'après le poète? Que représente l'empereur? Par quelle expression frappante est caractérisée la puissance de l'un et de l'autre? (Ces deux moitiés de Dieu...); Que demande Don Carlos à Charlemagne? (à préciser).

III. — Le style ; — les expressions. — N'y a-t-il pas des longueurs dans ce monologue? Dans quelle partie, notamment? Quels vous paraissent être les plus beaux vers du morceau étudié? Par quelles qualités se distinguent-ils? (le relief, la sonorité, la hardiesse des images); N'y retrouve-t-on pas parfois le souffle cornélien? (Citez quelques vers à l'appui, d'une inspiration aussi haute que les deux suivants, par exemple :

Verse-moi dans le coeur, du fond de ce tombeau, Quelque chose de grand, de sublime et de beau!

N'est-il pas quelques antithèses, dans le monologue? Indiquez-en quelques-unes; Expliquez les mots répéter et bourdonnement (2e et 3e vers).

IV. — La grammaire. — Quelle est la composition des mots repousser, ressortir? Indiquez un nom de la même famille que chacun des verbes suivants : contempler, vaincre, régner, briser; Nature et fonction des mots indiqués ci-après : Oui, dusses-tu me dire....

Rédaction. — Don Carlos s'adressant à Charlemagne, devant son tombeau, lui dit :

Je t'ai crié : « Par où faut-il que je commence? « Et tu m'as répondu : « Mon fils, par la clémence! «

Comparez, à cet égard, la situation de Don Carlos à celle d'Auguste. — Réflexions.

don

« L'un est la vérité, l'autre est la force.

Ils ont Leur raison en eux-mêmes et sont parce qu'ils sont.

Quand ils sortent, tous deux égaux, du sanctuaire, L'un dans sapourpre, et l'autre avec son blanc suaire, L'univers ébloui contemple avec terreur Ces deux moitiés de Dieu, le pape et l'empereur. — Puis, quand j'aurai ce globe entre mes mains, qu'en faire? Être empereur, mon Dieu! j'avais trop d'être roi! Cerf e, il n'est qu'un mortel de race peu commune Dont puisse s'élargir l'âme avec la fortune. Mais, moi! qui me fera grand? qui sera ma loi? Qui me conseillera? Il tombe à deux genoux devant le tombeau. Charlemagne, c'est toi! Ah! puisque Dieu, pour qui tout obstacle s'efface, Prend nos deux majestés et les met face à face, Verse-moi dans le coeur, du fond de ce tombeau, Quelque chose de grand, de sublime et de beau! Oh! par tous ses côtés fais-moi voir toute chose, Montre-moi que le monde est petit, car je n'ose Y toucher.

Montre-moi que sur cette Babel Qui du pâtre à César va montant jusqu'au ciel, Chacun en son degré se complaît et s'admire, Voit l'autre par-dessous et se retient d'en rire. Apprends-moi tes secrets de vaincre et de régner, Et dis-moi qu'il vaut mieux punir que pardonner! — N'est-ce pas? — S'il est vrai qu'en son lit solitaire Parfois une grande ombre au bruit que fait la terre S'éveille, et que soudain son tombeau large et clair S'entr'ouvre, et dans la nuit jette au monde un éclair, Si cette chose est vraie, empereur d'Allemagne, Oh! dis-moi ce qu'on peut faire après Charlemagne! Parle! dût en parlant ton souffle souverain Me briser sur le front cette porte d'airain! Ou plutôt, laisse-moi seul dans ton sanctuaire Entrer, laisse-moi voir ta face mortuaire, Ne me repousse pas d'un souffle d'aquilons, Sur ton chevet de pierre accoude-toi.

Parlons. Oui, dusses-tu me dire, avec ta voix fatale, De ces choses qui font l'oeil sombre et le front pâle! Parle, et n'aveugle pas ton fils épouvanté, Car ta tombe sans doute est pleine de clarté!. »

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