Devoir de Philosophie

Monsieur Parent Dans quelques jours allaient commencer les vacances, et il s'agissait de faire venir leurs fils élevés chez les Jésuites et chez les Dominicains.

Publié le 11/04/2014

Extrait du document

Monsieur Parent Dans quelques jours allaient commencer les vacances, et il s'agissait de faire venir leurs fils élevés chez les Jésuites et chez les Dominicains. Or ces dames n'avaient point envie d'entreprendre elles-mêmes le voyage pour ramener leurs descendants, et elles ne connaissaient justement personne qu'elles pussent charger de ce soin délicat. On touchait aux derniers jours de juillet. Paris était vide. Elles cherchaient, sans trouver, un nom qui leur offrît les garanties désirées. Leur embarras s'augmentait de ce qu'une vilaine affaire de moeurs avait eu lieu quelques jours auparavant dans un wagon. Et ces dames demeuraient persuadées que toutes les filles de la capitale passaient leur existence dans les rapides, entre l'Auvergne et la gare de Lyon. Les échos de Gil Blas, d'ailleurs, au dire M. de Bridoie, signalaient la présence à Vichy, au Mont-Dore et à la Bourboule, de toutes les horizontales connues et inconnues. Pour y être, elles avaient dû y venir en wagon; et elles s'en retournaient indubitablement encore en wagon; elles devaient même s'en retourner sans cesse pour revenir tous les jours. C'était donc un va-et-vient continu d'impures sur cette maudite ligne. Ces dames se désolaient que l'accès des gares ne fût pas interdit aux femmes suspectes. Or, Roger de Sarcagnes avait quinze ans, Gontran de Vaulacelles treize ans et Roland de Bridoie onze ans. Que faire? Elles ne pouvaient pas, cependant, exposer leurs chers enfants au contact de pareilles créatures. Que pouvaient-ils entendre, que pouvaient-ils voir, que pouvaient-ils apprendre, s'ils passaient une journée entière, ou une nuit, dans un compartiment qui enfermerait, peut-être, une ou deux de ces drôlesses avec un ou deux de leurs compagnons? La situation semblait sans issue, quand madame de Martinsec vint à passer. Elle s'arrêta pour dire bonjour à ses amies qui lui racontèrent leurs angoisses. --Mais c'est bien simple, s'écria-t-elle, je vais vous prêter l'abbé. Je peux très bien m'en passer pendant quarante-huit heures. L'éducation de Rodolphe ne sera pas compromise pour si peu. Il ira chercher vos enfants et vous les ramènera. Il fut donc convenu que l'abbé Lecuir, un jeune prêtre, fort instruit, précepteur de Rodolphe de Martinsec, irait à Paris, la semaine suivante, chercher les trois jeunes gens. L'abbé partit donc le vendredi; et il se trouvait à la gare de Lyon le dimanche matin pour prendre, avec ses trois gamins, le rapide de huit heures, le nouveau rapide-direct organisé depuis quelques jours seulement, sur la réclamation générale de tous les baigneurs de l'Auvergne. Il se promenait sur le quai de départ, suivi de ses collégiens, comme une poule de ses poussins, et il cherchait un compartiment vide ou occupé par des gens d'aspect respectable, car il avait l'esprit hanté par toutes les recommandations minutieuses que lui avaient faites mesdames de Sarcagnes, de Vaulacelles et de Bridoie. Or il aperçut tout à coup devant une portière un vieux monsieur et une vieille dame à cheveux blancs qui causaient avec une autre dame installée dans l'intérieur du wagon. Le vieux monsieur était officier de la Légion d'honneur; et ces gens avaient l'aspect le plus comme il faut. «Voici mon affaire,» pensa l'abbé. Il fit monter les trois élèves et les suivit. La vieille dame disait: --Surtout soigne-toi bien, mon enfant. La jeune répondit: EN WAGON 71 Monsieur Parent --Oh! oui, maman, ne crains rien. --Appelle le médecin aussitôt que tu te sentiras souffrante. --Oui, oui, maman. --Allons, adieu, ma fille. --Adieu, maman. Il y eut une longue embrassade, puis un employé ferma les portières et le train se mit en route. Ils étaient seuls. L'abbé, ravi, se félicitait de son adresse, et il se mit à causer avec les jeunes gens qui lui étaient confiés. Il avait été convenu, le jour de son départ, que madame de Martinsec l'autoriserait à donner des répétitions pendant toutes les vacances à ces trois garçons, et il voulait sonder un peu l'intelligence et le caractère de ses nouveaux élèves. Roger de Sarcagnes, le plus grand, était un de ces hauts collégiens poussés trop vite, maigres et pâles, et dont les articulations ne semblent pas tout à fait soudées. Il parlait lentement, d'une façon naïve. Gontran de Vaulacelles, au contraire, demeurait tout petit, trapu, et il était malin, sournois, mauvais et drôle. Il se moquait toujours de tout le monde, avait des mots de grande personne, des répliques à double sens qui inquiétaient ses parents. Le plus jeune, Roland de Bridoie, ne paraissait montrer aucune aptitude pour rien: C'était une bonne petite bête qui ressemblerait à son papa. L'abbé les avait prévenus qu'ils seraient sous ses ordres pendant ces deux mois d'été: et il leur fit un sermon bien senti sur leurs devoirs envers lui, sur la façon dont il entendait les gouverner, sur la méthode qu'il emploierait envers eux. C'était un abbé d'âme droite et simple, un peu phraseur et plein de systèmes. Son discours fut interrompu par un profond soupir que poussa leur voisine. Il tourna la tête vers elle. Elle demeurait assise dans son coin, les yeux fixes, les joues un peu pâles. L'abbé revint à ses disciples. Le train roulait à toute vitesse, traversait des plaines, des bois, passait sous des ponts et sur des ponts, secouait de sa trépidation frémissante le chapelet de voyageurs enfermés dans les wagons. Gontran de Vaulacelles, maintenant, interrogeait l'abbé Lecuir sur Royat, sur les amusements du pays. Y avait-il une rivière? Pouvait-on pêcher? Aurait-il un cheval, comme l'autre année? etc. La jeune femme, tout à coup, jeta une sorte de cri, un «ah!» de souffrance vite réprimé. Le prêtre, inquiet, lui demanda: --Vous sentez-vous indisposée, madame? --Elle répondit:--Non, non, monsieur l'abbé, ce n'est rien, une légère douleur, ce n'est rien. Je suis un peu malade depuis quelque temps, et le mouvement du train me fatigue. Sa figure était devenue livide, en effet. EN WAGON 72

« —Oh! oui, maman, ne crains rien. —Appelle le médecin aussitôt que tu te sentiras souffrante. —Oui, oui, maman. —Allons, adieu, ma fille. —Adieu, maman. Il y eut une longue embrassade, puis un employé ferma les portières et le train se mit en route. Ils étaient seuls.

L'abbé, ravi, se félicitait de son adresse, et il se mit à causer avec les jeunes gens qui lui étaient confiés.

Il avait été convenu, le jour de son départ, que madame de Martinsec l'autoriserait à donner des répétitions pendant toutes les vacances à ces trois garçons, et il voulait sonder un peu l'intelligence et le caractère de ses nouveaux élèves. Roger de Sarcagnes, le plus grand, était un de ces hauts collégiens poussés trop vite, maigres et pâles, et dont les articulations ne semblent pas tout à fait soudées.

Il parlait lentement, d'une façon naïve. Gontran de Vaulacelles, au contraire, demeurait tout petit, trapu, et il était malin, sournois, mauvais et drôle.

Il se moquait toujours de tout le monde, avait des mots de grande personne, des répliques à double sens qui inquiétaient ses parents. Le plus jeune, Roland de Bridoie, ne paraissait montrer aucune aptitude pour rien: C'était une bonne petite bête qui ressemblerait à son papa. L'abbé les avait prévenus qu'ils seraient sous ses ordres pendant ces deux mois d'été: et il leur fit un sermon bien senti sur leurs devoirs envers lui, sur la façon dont il entendait les gouverner, sur la méthode qu'il emploierait envers eux. C'était un abbé d'âme droite et simple, un peu phraseur et plein de systèmes. Son discours fut interrompu par un profond soupir que poussa leur voisine.

Il tourna la tête vers elle.

Elle demeurait assise dans son coin, les yeux fixes, les joues un peu pâles.

L'abbé revint à ses disciples. Le train roulait à toute vitesse, traversait des plaines, des bois, passait sous des ponts et sur des ponts, secouait de sa trépidation frémissante le chapelet de voyageurs enfermés dans les wagons. Gontran de Vaulacelles, maintenant, interrogeait l'abbé Lecuir sur Royat, sur les amusements du pays.

Y avait-il une rivière? Pouvait-on pêcher? Aurait-il un cheval, comme l'autre année? etc. La jeune femme, tout à coup, jeta une sorte de cri, un «ah!» de souffrance vite réprimé. Le prêtre, inquiet, lui demanda: —Vous sentez-vous indisposée, madame? —Elle répondit:—Non, non, monsieur l'abbé, ce n'est rien, une légère douleur, ce n'est rien.

Je suis un peu malade depuis quelque temps, et le mouvement du train me fatigue.

Sa figure était devenue livide, en effet.

Monsieur Parent EN WAGON 72. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles