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P. Emmanuel : Qu'est-ce qu'un symbole ?

Publié le 29/03/2011

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Par le symbole, j'écoute et je dis. Le symbole, au sens originel, c'est le signe formé par les deux moitiés d'un objet brisé quand on les rapproche1. Ainsi refait, l'objet n'est que lui-même : mais le geste de le refaire est un acte du langage — un signe de reconnaissance ou d'identification. Ce signe accrédite l'un près de l'autre les possesseurs des deux moitiés de l'objet. A l'absent que je ne connais pas, mais avec lequel j'ai conclu alliance, j'envoie un messager porteur de la moitié d'un anneau. Quand un jour nous nous rencontrerons, le lointain destinataire et moi-même, nous nous « connaîtrons « à cet objet reformé. L'anneau, la pièce d'argent, la tessère brisée, dont je garde une moitié par devers moi, c'est déjà le signe du signe — l'attente de la rencontre qui refasse l'unité. Ma moitié visible se rapporte à l'autre invisible, me rapporte à l'absent qui possède cette autre moitié. De même que je pense à lui en contemplant le fragment que je garde, il se relie à moi en pensée par le fragment qui lui fut confié. Quand même le jour ne viendrait jamais de rapprocher ces deux moitiés, de réunir nos deux présences en une seule, l'autre, l'absent, le lointain n'en resterait pas moins présent à ma pensée par la vertu du signe que je conserve, moi qui attends, qui toujours espère la rencontre et l'identification. Ainsi le signe du signe — signe qu'il existe une autre moitié, donc un tout dont la reconstitution est possible, et qui n'est encore que l'attestation concrète d'une autre et plus intime unité — devient, dans le pressentiment et l'espérance, le substitut ou plutôt l'image réelle de cette totalité sans figure, moi dans l'autre et l'autre en moi. Ivoire brisé dans ma paume, quelqu'un que je ne connais pas pourrait te compléter et se faire ainsi connaître de moi, dans et par notre commun secret. Je t'examine pour la centième fois, mais ce n'est pas toi seul que je regarde : tu me sers à diriger mon regard au-delà de toi, vers ce que tu annonces ou présupposes, vers une vivante présence cachée, distincte de la mienne et pourtant tissée d'elle par ces fils mêmes qui forment en nous, que nous soyons un ou coupés l'un de l'autre, un dessin, un dessein commun. Telle est la fonction du symbole : être le signe concret d'une chose ou d'un être qui pour être physiquement absents n'en sont pas moins présents en l'esprit, dans l'invisible ou l'ineffable. [...] Un symbole n'est ni une comparaison, ni une suite de comparaisons dont le terme initial — ce terme qui en est le principe — resterait tu. Il est une organisation d'images ayant une loi d'unité. La Considération de l'extase, Seghers, 1971, p. 203-204.

1. Dans l'antiquité grecque, deux hôtes partageaient en deux un objet, de terre cuite.de bois ou de métal : les deux parties rapprochées servaient à faire reconnaître les porteurs et à prouver les relations d'hospitalité contractées.   

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