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Pension bourgeoise (1834). Goriot. Balzac

Publié le 21/06/2011

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Voici une autre description, d'un réalisme plus moderne, d'une minutie presque fatigante. Mais qui lit le Père Goriot tout entier sent la vérité et l'utilité de ce décor prosaïque et presque répugnant. Les personnages et l'action y sont attachés par des liens mystérieux.

La façade de la pension (r) donne sur un jardinet, en sorte que la maison tombe à angle droit sur la rue Neuve-Sainte-Geneviève, où vous la voyez coupée dans sa profondeur. Le long de cette façade, entre la maison et le jardinet, règne un cailloutis en cuvette, large d'une toise, devant lequel est une allée sablée, bordée de géraniums, de lauriers-roses et de grenadiers plantés dans de grands vases de faïence bleue et blanche. On entre dans cette allée par une porte bâtarde, surmontée d'un écriteau sur lequel est écrit : Maison Vauquier, et au-dessous : Pension bourgeoise des deux sexes et autres.... Le jardinet, aussi large que la façade est longue, se trouve encaissé par le mur de la rue et par le mur mitoyen de la maison voisine, le long de laquelle pend un manteau de lierre qui la cache entièrement, et attire les yeux des passants par un effet pittoresque dans Paris. Chacun de ces murs est tapissé d'espaliers et de vignes, dont les fructifications grêles et poudreuses sont l'objet des craintes annuelles de Mme Vauquier et de ses conversations avec les pensionnaires. Le long de chaque Muraille règne une étroite allée qui mène à un couvert de tilleuls, mot que Mme Vauquier, quoique née de Conflans prononce obstinément tieuilles, malgré les observations grammaticales de ses hôtes. Entre les deux allées latérales est un carré d'artichauts flanqué d'arbres fruitiers en quenouille, et bordé d'oseille, de laitue ou de persil. Sous le couvert de tilleuls est plantée une table ronde peinte en vert, et entourée de sièges. Là, durant les jours caniculaires, les convives assez riches pour se permettre de prendre du café, viennent le savourer par une chaleur capable de faire éclore des oeufs. La façade, élevée de trois étages et surmontée de mansardes, est bâtie en moellons et badigeonnée avec cette couleur jaune qui donne un caractère ignoble à presque toutes les maisons de Paris. Les cinq-croisées percées à chaque étage ont de petits carreaux et sont garnies de jalousies dont aucune n'est relevée de la même manière, en sorte que toutes leurs lignes jurent entre elles. La profondeur de cette maison comporte deux croisées qui, au rez-de-chaussée, ont pour ornements des barreaux en fer, grillagés. Derrière le bâtiment est une cour large d'environ vingt pieds, où vivent en bonne intelligence des cochons, des poules, des lapins, et du fond de laquelle s'élève un hangar à serrer le bois. Entre ce hangar et la fenêtre de la cuisine se suspend le garde-manger, au-dessous duquel tombent les eaux grasses de l'évier. Cette cour a sur la rue Neuve-Sainte-Geneviève une porte étroite par où la cuisinière chasse les ordures de la maison en nettoyant cette sentine à grand renfort d'eau, sous peine de pestilence. Naturellement destiné à l'exploitation de la maison bourgeoise, le rez-de-chaussée se compose. d'une première pièce éclairée par les deux croisées de la rue, et où l'on entre par une porte-fenêtre. Ce salon communique à une salle à manger qui est séparée de la cuisine par la cage d'un escalier dont les marches sont en bois et en carreaux mis en couleur et frottés. Rien n'est plus triste à voir que ce salon meublé de fauteuils et de chaises en étoffes de crin à raies alternativement mates et luisantes. Au milieu se trouve une table ronde, à dessus de marbre Sainte-Anne, décorée de ce cabaret en porcelaine blanche ornée de filets d'or effacés à demi, que l'on rencontre partout aujourd'hui. Cette pièce, assez mal planchéiée, est lambrissée à hauteur d'appui. Le surplus des parois est tendu d'un papier verni représentant les principales scènes de Télémaque et dont les classiques personnages sont coloriés. Le panneau d'entre les croisées grillagées offre aux pensionnaires le tableau du festin donné au fils d'Ulysse par Calypso. Depuis quarante ans cette peinture excite les plaisanteries des jeunes pensionnaires, qui se croient supérieurs à leur position en se moquant du dîner auquel la misère les condamne. La cheminée en pierre, dont le foyer toujours propre atteste qu'il ne s'y fait de feu que dans les grandes occasions, est ornée de deux vases pleins de fleurs artificielles, vieillies et encagées, qui accompagnent une pendule en marbre bleuâtre du plus mauvais goût. Cette première pièce exhale une odeur sans nom dans la langue, et qu'il faudrait appeler l'odeur de pension. Elle sent le renfermé, le moisi, le rance; elle donne froid, elle est humide au nez, elle pénètre les vêtements; elle a le goût d'une salle où l'on a dîné; elle pue le service, l'office, l'hospice. Peut-être pourrait-elle se décrire si l'on inventait un procédé pour évaluer les quantités élémentaires et nauséabondes qu'y jettent les atmosphères catarrhales et sui generis de chaque pensionnaire, jeune ou vieux. Eh bien! malgré ces plates horreurs, si vous le compariez à la salle à manger, qui lui est contiguë, vous trouveriez ce salon élégant et parfumé comme doit l'être un boudoir. Cette salle, entièrement boisée, fut jadis peinte en une couleur indistincte aujourd'hui, qui forme un fond sur lequel la crasse a imprimé ses couches de manière à y dessiner des figures bizarres. Elle est plaquée de buffets gluants sur lesquels sont des carafes échancrées, ternies, des ronds de moiré métallique, des piles d'assiettes en porcelaine épaisse, à bords bleus, fabriquées à Tournai. Dans un angle est placée une boîte à cases numérotées qui sert à garder les serviettes ou tachées ou vineuses de chaque pensionnaire. Il s'y rencontre de ces meubles indestructibles proscrits partout, mais placés là comme le sont les débris de la civilisation aux Incurables. Vous y verriez un baromètre à capucin qui sort quand il pleut, des gravures exécrables qui ôtent l'appétit, toutes encadrées en bois noir verni à filets dorés; un cartel en écaille incrustée de cuivre; un poêle vert, des quinquets d'Argand où la poussière se combine avec l'huile, une longue table couverte en toile cirée assez grasse pour qu'un facétieux externe y écrive son nom en se servant de son doigt comme de style, des chaises estropiées, de petits paillassons piteux en sparterie qui se déroule toujours sans se perdre jamais, puis des chaufferettes misérables à trous cassés, à charnières défaites, dont le bois se carbonise. Pour expliquer combien ce mobilier est vieux, crevassé, pourri, tremblant, rongé, manchot, borgne, invalide, expirant, il faudrait en faire une description qui retarderait trop l'intérêt de cette histoire, et que les gens pressés ne pardonneraient pas. Le carreau rouge est plein de vallées produites par le frottement ou par les mises en couleur. Enfin, là règne une misère sans poésie; une misère économe, concentrée, râpée. Si elle n'a pas de fange encore, elle a des taches ; si elle n'a ni trous ni haillons, elle va tomber en pourriture.

(Le Père Goriot, I.)  

QUESTIONS D'EXAMEN

I.— L'ensemble. — Nature du morceau : une description. — Description d'une pension bourgeoise, résultant d'une observation attentive et minutieuse. — Montrez que l'auteur, aux regards de qui rien n'échappe, indique à la fois les traits saillants et les plus petits détails; Il est des détails caractéristiques (en signaler quelques-uns), mais n'est-il pas aussi de menus détails qui auraient pu être négligés ? (quelques exemples); A quel défaut peut donner lieu, dans une description, l'abondance des détails? Néanmoins, la lecture de ce morceau ne laisse-t-elle pas en vous une impression très nette? Nature de cette impression.

II. — L'analyse du morceau. — Montrez que l'auteur suit un ordre logique dans sa description : a) ce que l'on voit à l'extérieur (la porte, l'allée, le jardinet..., le fond de la maison, la cour...) ; b) ce que l'on voit à l'intérieur (le salon, la salle à manger); Faites une étude particulière de la description du jardinet; voyez-vous ce jardinet en imagination? pourriez-vous en faire le croquis? Quel genre de pensionnaires devait, pensez-vous, recevoir la pension bourgeoise; Le portrait de Mme Vauquier n'est pas tracé par l'auteur : l'un des traits dominants de son caractère ne nous est-il pas cependant indiqué ? — lequel ?

III. — Le style; — les expressions.— Insistez sur le réalisme de cette description (Emploi du mot propre; d'où le caractère pittoresque du style : le moisi, le rance...; la salle pue le service... ; les couches de crasse... les buffets gluants...; les serviettes vineuses...; la toile cirée grasse...); Le style est imagé; — il est également clair, précis; — vous paraît-il sobre? (expressions abondantes : neuf qualificatifs pour caractériser le mobilier de la salle à manger); Quelle est la signification des mots : toise, pieds (large d'environ vingt pieds), sentine? Quel est le sens des expressions suivantes : porte bâtarde, jours caniculaires?

IV. — La grammaire. — Composition des mots : indestructibles (meubles indestructibles), incrustée (écaille incrustée...), ignoble (un caractère ignoble); Nature et fonction de chacun des mots suivants : Là, règne une misère sans poésie.

Rédaction. — Description d'un rez-de-chaussée, précédé d'un jardinet, et comprenant une cuisine, une salle à manger et un salon.

balzac

« (Le Père Goriot, I.) QUESTIONS D'EXAMEN I.— L'ensemble.

— Nature du morceau : une description.

— Description d'une pension bourgeoise, résultant d'uneobservation attentive et minutieuse.

— Montrez que l'auteur, aux regards de qui rien n'échappe, indique à la fois lestraits saillants et les plus petits détails; Il est des détails caractéristiques (en signaler quelques-uns), mais n'est-ilpas aussi de menus détails qui auraient pu être négligés ? (quelques exemples); A quel défaut peut donner lieu, dansune description, l'abondance des détails? Néanmoins, la lecture de ce morceau ne laisse-t-elle pas en vous uneimpression très nette? Nature de cette impression. II.

— L'analyse du morceau.

— Montrez que l'auteur suit un ordre logique dans sa description : a) ce que l'on voit àl'extérieur (la porte, l'allée, le jardinet..., le fond de la maison, la cour...) ; b) ce que l'on voit à l'intérieur (le salon,la salle à manger); Faites une étude particulière de la description du jardinet; voyez-vous ce jardinet enimagination? pourriez-vous en faire le croquis? Quel genre de pensionnaires devait, pensez-vous, recevoir la pensionbourgeoise; Le portrait de Mme Vauquier n'est pas tracé par l'auteur : l'un des traits dominants de son caractère nenous est-il pas cependant indiqué ? — lequel ? III.

— Le style; — les expressions.— Insistez sur le réalisme de cette description (Emploi du mot propre; d'où lecaractère pittoresque du style : le moisi, le rance...; la salle pue le service...

; les couches de crasse...

les buffetsgluants...; les serviettes vineuses...; la toile cirée grasse...); Le style est imagé; — il est également clair, précis; —vous paraît-il sobre? (expressions abondantes : neuf qualificatifs pour caractériser le mobilier de la salle à manger);Quelle est la signification des mots : toise, pieds (large d'environ vingt pieds), sentine? Quel est le sens desexpressions suivantes : porte bâtarde, jours caniculaires? IV.

— La grammaire.

— Composition des mots : indestructibles (meubles indestructibles), incrustée (écailleincrustée...), ignoble (un caractère ignoble); Nature et fonction de chacun des mots suivants : Là, règne unemisère sans poésie. Rédaction.

— Description d'un rez-de-chaussée, précédé d'un jardinet, et comprenant une cuisine, une salle àmanger et un salon.. »

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